Pourquoi la Grande-Bretagne n'est (toujours) pas une terre de basket

C’est l’histoire d’un territoire qui n’a pas peur des paradoxes. Une île où les ventes du NBA League Pass sont parmi les plus importantes en Europe mais dont la sélection masculine n’a jamais participé à la moindre Coupe du monde. Une ville - Londres - capable de remplir une aréna d’environ 20.000 places en quelques heures pour un match délocalisé de saison régulière de NBA… mais où il faut s’armer de patience pour trouver le moindre terrain de basket amateur.

La Grande-Bretagne (Angleterre, pays de Galles, Ecosse) fait figure d’anomalie dans le paysage de la balle orange. Parmi les meilleures nations sportives du monde, avec notamment une quatrième place au classement des médailles des JO de Tokyo 2021 (première délégation européenne), elle peine à exister dans le basket. La présence des London Lions en demi-finale d’Eurocoupe, avec un match 2 à venir ce vendredi (20h30) face au Paris Basket (victoire du club français lors du match 1), prouve que la tendance est positive. Mais elle met également en avant un constat implacable: avant le club londonien, aucune équipe, club et sélection confondus, n’a réussi à tirer son épingle du jeu sur la scène continentale.

Avec environ 55.000 licenciés (une estimation), la Grande Bretagne est bien loin de la France et de ses 714.000 licenciés en 2023-2024, les deux pays comptant sensiblement le même nombre d’habitants. Dans son histoire, la sélection masculine n’a jamais fait mieux qu’une 13e place à l’Euro (2013) et n’a jamais participé à un Mondial. Du côté de ses clubs, en dehors de la locomotive des London Lions, devenu ambitieux sur la scène européenne que très récemment (avec notamment un ticket pour l’Euroligue, ligue semi-fermée, dans le viseur), le championnat britannique est toujours en dessous de ses homologues français, allemands, espagnols, italiens, turcs ou grecs.

Alors comment expliquer que le basket peine autant à exister outre manche? Lorsque l’on interroge des joueurs passés par la BBL (British Basketball League) sur les raisons de ce faible développement, tous livrent un premier coupable: le foot. "Le football a une place inimaginable. Il faut vraiment être sur place pour le voir", confie Harold Trobo, joueur des Manchester Giants entre 2016 et 2018. "À Manchester, tu sens tout de suite que tu arrives dans une ville de football. Tout est tourné vers le foot. Le basket est un sport très apprécié en Angleterre, mais le football prend une telle place au niveau des droits TV, des publicités, des sponsors… Le foot bouffe tout."

"Complètement ignoré par les médias"

Avec son omniprésence - la ville de Londres compte à elle seule cinq clubs en Premier League - et sa forte professionnalisation, les quatre premières divisions étant professionnelles, le football ne laisse que des miettes. "J’ai quand même vu une culture basketball, mais elle est recouverte par la culture football qui est énorme", insiste Marc Kwedi, passé par l’équipe de Glasgow lors de la saison 2020-2021. "Le basket-ball est perçu culturellement comme un sport américain et non comme quelque chose que les Britanniques pratiquent, il reste donc une niche et est complètement ignoré par les médias", tranche Sam Neter, journaliste pour le site Hoopsfix.com, l’un des médias de référence sur le basket en Grande-Bretagne.

Difficile de trouver sa place dans le cœur des pratiquants dans un pays autant dominé par le football, sachant que le rugby ou encore le cricket atteignent également des sommets de popularité. Mais l’engouement pour les NBA London Games (délocalisation annuelle de matchs entre 2011 et 2019) et les fortes audiences réalisées par la ligue nord-américaine au pays de Shakespeare prouvent qu’il existe bel et bien un public. Et donc que le problème vient d’ailleurs. "Pourquoi ce sport peine autant à se développer? Il n'y a pas de réponse simple à cette question. S'il y en avait une, on pourrait espérer que le sport n'en soit pas là", sourit notre confrère Sam Neter. On va quand même essayer.

Un système bien moins structuré

Il y a d’abord un problème d’accessibilité aux infrastructures. Cela peut paraître tout bête, mais pour pouvoir jouer au basket, il faut d’abord des terrains. "C’est très très dur de trouver des salles de basket à Londres, que ce soit pour jouer ou pour s’entraîner. Ça vous coûte très cher. C’est un sport qui nécessite d’être joué en intérieur et c’est difficile de trouver des gymnases quand on est un jeune joueur amateur", indique Navid Niktash, qui a porté les couleurs des London Lions lors de la saison 2016-2017.

Pour un club amateur, la logique est similaire. "Les gymnases, on les loue. C’est de la location. On ne paye pas de licence à l’année, c’est extrêmement rare. Il y a beaucoup de clubs qui existent, sauf qu’on paye à la demande pour aller s'entraîner", détaille de son côté Vincent Lavandier, élu coach de l’année de la BBL en 2020 lors de son passage sur le banc de Glasgow et aujourd’hui conseiller technique pour plusieurs clubs du championnat britannique. "Il y a un manque total d'installations pour jouer au basket en salle, il n'y a pas assez de basketball organisé dès le plus jeune âge. Ici, la grande majorité des joueurs commencent tard", souffle le journaliste Sam Neter.

Pas facile, donc, de s’essayer au basket pour un jeune Britannique. Et si jamais ce dernier se prend de passion pour la balle orange, il débarque dans un système bien moins structuré qu’en France. "L’approche n’est pas la même. Il n’y a pas, comme en France, des clubs qui sont des associations et qui vont permettre de jouer au basket quel que soit le niveau et l’âge", poursuit Navid Niktash. "Les gens qui font du basket, c’est sous forme d'académie. C’est privé. Les gens viennent, payent et font partie d’une académie. On n’est pas sur un format de clubs bien organisés sous une fédération."

"Un vivier de malade"... mais une fuite des talents

Malgré cela, la demande existe. Selon Vincent Lavandier, qui a toujours un pied dans le basket britannique de par ses activités de conseiller technique, le basket est le deuxième sport collectif - derrière le foot - où il y a le plus de licenciés chez les moins de 25 ans. "Le vivier des jeunes joueurs existe, il y a un vrai potentiel", assure le technicien français. "Je suis scout pour certaines équipes et il y a un vivier de malade. S’ils mettent quelques entraîneurs formateurs, ils vont nous faire concurrence. Dans le domaine athlétique, c’est un peu comme la France, il y a un vivier énorme. Mais c’est la structure globale qui est très lourde. British Basketball, Wales Basketball, Scotland Basketball… Il faut que tout le monde s’accorde."

Mettre en place une politique de formation cohérente quand votre championnat englobe trois pays différents est forcément un sacré challenge. D’autant plus quand vous êtes confronté à une fuite des talents. Dans son développement, le basket britannique se trouve freiné par sa trop grande proximité culturelle avec les Etats-Unis. La plupart des jeunes joueurs décident de quitter la Grande Bretagne pour parfaire leur formation en NCAA, le championnat universitaire américain. "Le cursus logique pour un joueur britannique qui a moins de 18 ans et qui performe dans les différentes classes d’âge, c’est de partir aux Etats Unis. Ils sont attirés par le style de vie, la langue, ils savent que c’est un environnement dans lequel ils vont être à l’aise", approuve Marc Kwedi. "L’Angleterre est très proche des Etats-Unis", confirme Vincent Lavandier. "Nick Nurse (actuel coach des Philadelphia Sixers) et Chris Finch (coach de Rudy Gobert aux Minnesota Timberwolves) ont été champions d’Angleterre avant d’aller en NBA. Le GM des Raptors (Masai Ujiri, NDLR) a été joueur en Angleterre. Un grand nombre de dirigeants en G-League sont anglais. Pour eux, les Etats-Unis sont à côté."

Outre cette proximité avec la culture américaine, l’une des raisons qui pousse les jeunes britanniques à déserter leur championnat local est le faible niveau des entraîneurs. "Sur les premières semaines, j’étais un peu choqué par le laxisme. Je suis arrivé, c’était un entraîneur-joueur", illustre Harold Trobo, passé par les Manchester Giants.

En tenant compte de cette donnée, le championnat britannique tente de se structurer. Et pour ça, les clubs d’outre-Manche doivent exclusivement compter sur des investissements privés, l’un des modèles à suivre étant celui des London Lions, rachetés en 2020 par la société américaine d'investissement 777 Partners. Également propriétaire du Red Star en France, 777 Partners détient par ailleurs 45% des parts de la British Basketball League.

Dépendance aux investissements privés

"Contrairement à ce qu’on peut voir dans le reste de l’Europe, les infrastructures ne sont pas gratuites. Ce ne sont pas les mairies ou les collectivités qui mettent à disposition les infrastructures. Même pour un entraînement, il faut payer le parquet", glisse Vincent Lavandier. "Pour se développer, les clubs sont obligés de faire construire leur salle d'entraînement et de match, ou alors payer très cher la possibilité de s'entraîner ou de jouer dans des infrastructures dignes de ce nom. C’est un vrai frein dans le développement des clubs. Les clubs commencent à construire leur propre salle: Newcastle a sa propre salle, Leicester a sa propre salle, Bristol est en train de le faire, Glasgow va aussi construire une salle de 8.000 places. Tout ça, ce sont des partenaires privés. Ce sont les propriétaires des équipes qui les construisent. Le développement est donc forcément restreint. C’est pour ça qu’il y a un championnat de 10 clubs, pour les autres c’est difficile d’exister."

Et le rôle de la Fédération, dans tout ça? "British Basketball, c’est une catastrophe. Il n’y a pas de moyens", tranche Vincent Lavandier. "En 2012, les filles ont menacé de faire grève car elles n’étaient pas sûres de pouvoir faire le Tournoi de qualification olympique (TQO) à cause d’un manque de moyens. ll n’y aura pas d’investissement de la Fédération, ce ne sera que des investissements privés. Le système du sport anglais n’est pas le même qu’en France. Pour avoir des moyens, il faut être sport olympique, point final. Donc ça limite le développement du basket car les deux équipes nationales ne sont pas souvent olympiques."

La tendance est désormais vers la nomination d’anciens joueurs professionnels britanniques dans les instances dirigeantes. Mais elle est récente. Luol Deng, sans doute le meilleur basketteur de l’histoire de la sélection britannique du haut de ses 900 matchs NBA, n’a par exemple jamais eu de rôle au sein des instances fédérales. Il a finalement choisi de s’investir à la présidence de la Fédération de basket du Soudan du Sud, qu’il a mené vers une qualification historique aux Jeux olympiques de Paris.

"Il n'y a pas de personnes en position de pouvoir pour faire entendre la voix du basket. Le basket a souffert d'un manque de leadership en interne et d'un manque de financement en externe", résume ainsi Sam Neter.

"Une petite NBA" dans la manière de consommer le basket

Le tableau n’est pas idyllique. Et pourtant, la NBA continue de drainer un grand nombre de fans et le public répond bien souvent présent lors de grands matchs entre équipes britanniques. En 2023, plus de 15.000 personnes étaient par exemple présentes dans les travers de l’O2 Arena de Londres pour la finale du championnat entre Londres et Leicester. Mais, là encore, l’influence des Etats-Unis est très forte.

"L’Angleterre est une petite NBA dans le sens où tout est vraiment business", estime Harold Trobo. "Les salles sont pleines, mais la moitié des gens sont là pour le côté spectacle et le marketing, pas du tout pour le basket pur. Lorsque je portais les couleurs de Manchester, on jouait dans un Soccer Dome, où il y a plusieurs terrains de foot. On jouait ici car ça se situait juste à côté d’un grand centre commercial, l’un des plus grands d’Europe. Ils faisaient les matchs ici pour attirer les gens qui font leur shopping. On jouait sur un terrain aménagé au milieu d’un terrain de foot alors qu’on avait une salle dédiée à ça, juste pour que ça amène plus de monde."

"Ils sont très portés sur l'événementiel", approuve Vincent Lavandier. "Pour eux, le basket c’est de l'événementiel. Lors de la dernière finale des playoffs, tout a été vendu sans savoir qui allait y aller. Pour eux, c’est un show. La vision est différente, il n’y a pas vraiment d’enjeux sportifs ou d’histoire de rivalité." Cela pourrait peut être changer en fonction de l’avenir à court ou moyen terme des London Lions sur la scène continentale.

Article original publié sur RMC Sport