Pourquoi la NBA a choisi Paris pour un match de saison régulière?

La date était tout à fait symbolique. Voir la NBA revenir à Paris en 2023 pour la rencontre entre les Detroit Pistons et les Chicago Bulls, 20 ans tout pile après le passage de Tony Parker et sa bande des San Antonio Spurs dans la capitale, a sûrement rappelé des souvenirs aux plus nostalgiques. Et permis de mesurer le chemin parcouru en l’espace de deux décennies. "Le game changer, c’est 2003, rembobine Julien Lepron, expert basket à l’Observatoire du Sport Business. Ça a été un tournant, car on a vu ce que cette sphère très inaccessible comme la NBA pouvait être rapatriée le temps d’une soirée."

En octobre 2003, lorsque les Spurs, tout juste sacrés champions NBA, avaient battu les Memphis Grizzlies, il s’agissait "seulement" d’un match de pré-saison. Deux décennies plus tard, c’est bien pour un match de saison régulière que la plus grande ligue de basket au monde débarque dans la capitale pour la troisième édition du NBA Paris Game, ce jeudi entre les Brooklyn Nets et les Cleveland Cavaliers à l’Accor Arena (20h). Après le succès populaire de Milwaukee Bucks-Charlotte Hornets (2020) puis de Detroit-Chicago l'année dernière, la NBA, contrainte de ronger son frein pendant deux saisons en raison du Covid-19, réinstalle son grand barnum sur le Vieux-Continent le temps d’un match évènement.

Des raisons avant tout marketing et économiques

Car le mot évènement n’est en aucun cas galvaudé. À ce jour, la France est le seul pays (hors Mexique et Canada, deux pays limitrophes des Etats-Unis) à accueillir un match officiel. Pour expliquer la venue de la NBA dans la Ville lumière après huit éditions à Londres (2011-2019), il faut d’abord comprendre pourquoi la Grande Ligue a jeté son dévolu sur l’Europe.

Comme souvent avec la NBA, les raisons sont avant tout marketing et économiques. "Lorsque vous avez une audience, il faut se présenter auprès de cette audience. C’est devenu assez évident que la NBA se présente en Europe. La question est de savoir comment la NBA continue de générer et développer ses activités sur la base qu’elle a très bien instaurée il y a une vingtaine d'années", analyse Julien Lepron. Et l’audience répond présente. Lors du NBA Paris Game 2020, plus de 200.000 demandes de billets ont été enregistrées (Bercy contient environ 15.000 places en configuration basket) et tous se sont vendus en dix minutes.

Chasser sur les terres de la Ligue des champions

Venir sur le Vieux Continent, c’est aussi chasser sur les terres de la Ligue des champions. "Il y a une concurrence entre la NBA et la Ligue des champions pour savoir qui réussira à capter la plus grande audience internationale, analyse Pierre Rondeau, spécialiste de l’économie du sport. La NBA a un avantage sur la Ligue des champions, c’est qu’elle n’a pas vraiment d’ancrage local. Les franchises peuvent se déplacer de ville en ville sans faire dans le sentiment et donc la NBA délocaliser des matchs à l’étranger, ce que ne peut pas faire la Ligue des champions."

L’intérêt d’organiser ce NBA Paris Game ne réside pas seulement dans le match en lui-même. La rencontre est seulement la vitrine, voire un prétexte pour que tout l’éco-système NBA aille à la rencontre de ces nombreux partenaires. "On trouve que le succès de la billetterie est extraordinaire. Mais l’impact et l’intérêt de ces rencontres à Paris, c’est avant tout la plateforme qui est mise en place pendant une semaine. Quand vous regardez le programme de la semaine, le match est la porte d’entrée. Mais c’est avant tout une plateforme qui est produite en Europe pendant toute la semaine", éclaire Julien Lepron.

L'Europe a un temps d'avance sur les autres marchés

Certains pourraient cependant s'interroger sur le choix de l’Europe quand d’autres marchés - comme celui en Asie - ont encore plus de potentiel. Mais la NBA active de nombreux leviers, dont certains, certes moins visibles qu’un match de saison régulière délocalisé, répondent à la même logique. "Le NBA a créé tellement de plus-values sur sa marque qu’elle a la capacité d’activer les deux, indique Julien Lepron. Le marché est un petit peu moins mâture en Asie aujourd’hui. Là, on parle d'un match extrêmement médiatisé. Mais il faut aussi regarder les éléments déployés par la NBA qui sont un petit peu moins visibles. La Junior League à Abu Dhabi, une ligue de développement en Chine… Ils mettent leurs pions sur différents formats de manière assez efficace."

Dans ce monde régi par les logiques de business, il existe également un argument sportif. En investissant l’Europe, la NBA vient sur les terres de plusieurs stars de la ligue. Ces dernières années, l’internationalisation de la NBA a passé un tel cap que les meilleurs joueurs européens regardent désormais les stars américaines droit dans les yeux. Quatre des cinq derniers titres de MVP (le meilleur joueur de saison régulière) ont été remportés par le Grec Giannis Antetokounmpo (2019, 2020) et le Serbe Nikola Jokic (2021-2022). Sur les dernières saisons, trois Européens (Jokic, Antetokounmpo et Luka Doncic) ont intégré la All-NBA First Team, le meilleur cinq de la saison.

Paris, un choix logique par rapport aux autres villes européennes

L’analyse de tous ces facteurs permet de comprendre pourquoi l’Europe a les faveurs de la NBA. Mais comment expliquer le choix de Paris par rapport à d’autres grandes villes européennes où le basket est tout aussi populaire? Après huit ans à Londres, la Ville lumière n’a évidemment pas été choisie au hasard. En plus de l'évidence du côté glamour et bling-bling de sa capitale, la France est à l'heure actuelle le plus gros marché de la NBA en Europe. Même si la Ligue ne divulgue pas de chiffres précis à ce sujet, Forbes indiquait en 2020 que l’Hexagone occupait la première place en termes de ventes de produits dérivés et la seconde (derrière la Grande-Bretagne) sur les abonnements au NBA League Pass, qui permet de regarder les matchs.

L’important contingent de représentants tricolores de l’autre côté de l’Atlantique plaide également pour la France. Avec 14 joueurs (Nicolas Batum, Malcolm Cazalon, Sidy Cissoko, Bilal Coulibaly, Moussa Diabaté, Ousmane Dieng, Evan Fournier, Rudy Gobert, Killian Hayes, Theo Maledon, Frank Ntilikina, Rayan Rupert, Olivier Sarr et Victor Wembanyama), l’Hexagone est le deuxième pays hors Etats-Unis le plus représenté en NBA, derrière le Canada (24). Une forte présence qui permet aisément de proposer au public français de venir applaudir l’un de ses chouchous lors du NBA Paris Game, à l’image de Batum avec les Charlotte Hornets en 2020 ou de Hayes en 2023 avec les Detroit Pistons.

Le basketteur français n'a jamais été autant à la mode

Le séisme de l'arrivée de Wembanyama sur les parquets américains a permis à notre pays de passer - encore un peu plus - dans une nouvelle dimension. C'est un constat implacable qui permet de mesurer la place prise par le basket tricolore sur la planète basket: depuis plusieurs mois, le joueur dont tout le monde parle est Français. À l'approche du NBA Paris Game 2024, les regards sont d'ores et déjà tournés vers l'édition 2025, lors de laquelle se sont cette fois-ci les San Antonio Spurs de "Wemby" qui devraient s'inviter dans la capitale. Et la "mode" du jeune basketteur français qui s'exporte en NBA est loin d'être terminée au regard des récentes projections pour la draft 2024, où trois Français (Alexandre Sarr, Zaccharie Risacher, Tidjane Salaün) figurent tout en haut du panier.

Autre différence par rapport à nos voisins européens: le Français n’est pas forcément fan de basket, il est fan de… NBA. Ce qui est très différent. "Le business de la NBA n’est pas un business de sport, c’est un business de divertissement qui devient progressivement un business de lifestyle, conclut Julien Lepron. On connaît l’ancrage du sport mais surtout de sa culture. Tous les aspects associés à la culture américaine sont assimilés par les Français, que ce soit dans la musique avec le rap qui est le genre musical le plus écouté en France ou dans le lifestyle. C’est comme ça que ça fonctionne beaucoup mieux que le reste, c’est parce qu’on dépasse le champ sportif." L'engouement suscité par ce Nets-Cavaliers, sur le point de remplir Bercy malgré des places à un prix exorbitant et un intérêt sportif relatif (les deux équipes sont actuellement classées dans le ventre mou de la conférence Est), en est la meilleure preuve.

Article original publié sur RMC Sport