Macron « chef des Armées » ? Marine Le Pen et François Bayrou opposent leur vision

Emmanuel Macron photographié avec des militaires de la Légion étrangère en Guyanne (illustration)
LUDOVIC MARIN / AFP Emmanuel Macron photographié avec des militaires de la Légion étrangère en Guyanne (illustration)

POLITIQUE - C’est la passe d’armes de la matinée. Dans la perspective d’une possible victoire du Rassemblement national aux élections législatives, ce qui ouvrirait les portes de Matignon à Jordan Bardella, la question du partage du pouvoir entre le (possible) futur Premier ministre de cohabitation et Emmanuel Macron se pose de manière brûlante. Dans une interview au Télégramme publiée ce jeudi 27 juin, Marine Le Pen a fait savoir que son poulain comptait bien avoir son mot à dire au sujet de l’emploi des forces armées.

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« Chef des armées, pour le président, c’est un titre honorifique puisque c’est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse », a expliqué la triple candidate à l’élection présidentielle au quotidien breton. Et de préciser sa vision des choses sur le réseau social X : « Sans remettre en cause le domaine réservé du président de la République, en matière d’envoi de troupes à l’étranger, le Premier ministre a, par le contrôle budgétaire, le moyen de s’y opposer. Jordan Bardella était donc fondé à rappeler qu’il est opposé à l’envoi de militaires français en Ukraine », a-t-elle insisté.

Une interprétation de la répartition des pouvoirs entre un chef de l’État et son Premier ministre qui a fait bondir François Bayrou. Invité sur le plateau de CNews, le maire de Pau et proche du chef de l’État est venu muni de la Constitution qui est, selon lui, d’une « clarté biblique » sur le sujet. À l’appui, les articles 13 et 15 du texte constitutionnel, lesquels édictent que le chef de l’État « nomme aux emplois civils et militaires de l’État » et que le « président de la République est le chef des armées » et « préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale ».

Ce qui suffit au président du MoDem pour affirmer que Marine Le Pen détourne l’esprit de la Constitution avec son assertion. « Si vous prétendez que celui qui nomme aux emplois civils et militaires de l’État, celui qui préside les conseils de défense, celui dont la Constitution dit en toutes lettres qu’il est le chef des armées, si vous prétendez que ce n’est pas vrai, que ce serait des titres pour faire joli, alors vous mettez en cause profondément la Constitution », a-t-il estimé.

Un recadrage que n’a pas du tout apprécié Marine Le Pen. « Monsieur Bayrou, qui a choisi l’outrance sur le tard, devrait se souvenir qu’en décembre 1999, le Premier ministre Lionel Jospin s’était opposé à la volonté du chef de l’État d’envoyer des troupes en Côte d’Ivoire au moment du putsch du général Guéï. La Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution », a-t-elle répondu sur le réseau social X.

Les deux ont (un peu) raison

Alors, qui dit vrai ? Un peu les deux. Comme le précise la Constitution, « le Premier ministre dirige l’action du gouvernement », lequel « détermine et conduit la politique de la nation ». En outre, son article 21 commande que le chef du gouvernement « est responsable de la défense nationale ». Ce qui signifie que, même si Emmanuel Macron conserve la prérogative du feu nucléaire et qu’il demeure chef des Armées, il lui est impossible de décider seul d’une opération extérieure. Et ce parce que l’outil militaire est, d’un point de vue opérationnel, entre les mains du gouvernement.

« La politique étrangère relève du quai d’Orsay, qui relève du gouvernement, et donc du Premier ministre. Même chose pour les Armées. Emmanuel Macron ne pourrait quasiment plus rien décider sur l’Ukraine par exemple », explique au HuffPost un haut fonctionnaire, tordant le cou à l’idée que le chef de l’État dispose d’un « domaine réservé » sur le plan diplomatique et militaire. À titre d’exemple, comme l’a souligné Marine Le Pen, en période de cohabitation, le Premier ministre Lionel Jospin s’était effectivement opposé, en décembre 1999, à l’envoi de troupes en Côte d’Ivoire, pourtant voulu par le président Jacques Chirac.

Position de surplomb

En outre, on rappellera que les ventes d’armes sont soumises à la validation du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), qui est placé sous l’égide de Matignon. Et, qu’à ce titre, Jordan Bardella (s’il devient Premier ministre) pourrait très bien empêcher ou limiter les envois d’équipements promis à Kiev. Ce qui serait cohérent avec la diplomatie russophile longtemps promue par sa famille politique.

Pour autant, il est faux de laisser entendre, comme le fait Marine Le Pen, que le chef de l’État n’aura plus aucune prérogative en matière de défense ou diplomatique, puisque c’est bien Emmanuel Macron qui représente la France (et ses intérêts) à l’étranger.

En outre, en période de cohabitation, il appartient au chef de l’État et à son Premier ministre de se répartir les rôles. « Le président de la République est installé, par les textes et la pratique, dans une position en surplomb. Il négocie et ratifie les traités. Il nomme les ambassadeurs et il représente le pays lors des grands sommets internationaux », explique à La Tribune l’ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin Olivier Schrameck, précisant qu’un « dispositif pour traiter les sujets de défense et de diplomatie » avait été installé du temps de la dernière cohabitation. Preuve, s’il en est, que le rôle de chef des Armées n’est pas, seulement, honorifique.

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