La Haute-Garonne rurale, bastion de gauche où le RN prospère

Des militants du RN distribuent des tracts à Cazères, en Haute-Garonne, le 22 juin 2024 (Valentine CHAPUIS)
Des militants du RN distribuent des tracts à Cazères, en Haute-Garonne, le 22 juin 2024 (Valentine CHAPUIS)

La vague RN a beau s'être aussi abattue ici, à Cazères - 41% aux européennes, au coeur des campagnes de la Haute-Garonne -, beaucoup refusent encore, dans les allées du marché, les tracts tendus par le candidat Rassemblement national. Jusqu'à cette main, qui prend les devants et s'en saisit.

L'affichette en poche, Luc Cassedanne, 58 ans, préfère ne pas dire à haute voix pour qui il votera dimanche, au premier tour des législatives anticipées, mais ce sera "pour un grand changement" et "plus à droite qu'à gauche", sourit-il d'un air entendu.

Lui et son épouse Carine ont fui l'Essonne et son "insécurité" il y a quelques années pour s'installer dans un village à la campagne, à une demi-heure de Toulouse, sans pour autant parvenir à chasser leurs angoisses. Puis s'est ajoutée une peur, celle du déclassement. "Nous, la classe moyenne, on disparaît", lâche Carine Cassedanne samedi.

Sécurité, pouvoir d'achat, voilà les thèmes de campagne qui, avec l'immigration, ont placé le RN en tête dans 93% des communes le 9 juin.

Nettement battu en 2022 par le socialiste Joël Aviragnet, Loïc Delchard (RN) remet le couvert pour cette campagne éclair.

Sur ce marché où le député sortant, cette fois sous l'étiquette du Nouveau Front populaire, est aussi venu tracter accompagné de la populaire présidente de région Carole Delga, le candidat RN suscite des réactions hostiles. "Ça pue la merde", lance une jeune femme. "Ça me dégoûte", lâche un passant, pâtisserie sous le bras.

- Virage droitier -

Pour Louis Aliot, maire RN de Perpignan qui a vécu dans les environs de Cazères, les raisons du virage droitier de ce bastion du PS sont à chercher du côté "d'anciens électeurs socialistes" ou "des jeunes dont les parents, les grands-parents votaient socialiste" et "qui passent au RN".

"Dans cette ruralité, il y avait une gauche patriote, attachée aux traditions, aux valeurs de patriotisme. Elle a muté", analyse pour l'AFP l'homme fort du RN dans la région.

Vincent Gaudin, le suppléant de Loïc Delchard, est de ceux-là. Sa carte du PC, conservée jusqu'à la vingtaine? Un "héritage familial", vite remisé au placard lorsqu'il a "commencé à (s)'intéresser un peu à la politique".

Un temps délégué syndical, il assure s'être alors rendu compte que la gauche et les syndicats "étaient plus là pour leur gamelle" que pour défendre les travailleurs.

Soukaïna Vigneres, coach professionnelle de 42 ans installée dans un village à une trentaine de kilomètres de Toulouse, votait plutôt PS mais envisage pour l'instant de voter pour Bardella dimanche.

Depuis le parking d'un supermarché discount à Castelnau-d'Estrétefonds, cette mère de famille qui se presse pour que "les glaces des enfants ne fondent pas", raconte sa "lassitude" de la gauche. "On s'aperçoit qu'il n'y a pas eu trop de changements dans ce qu'ils proposent."

- "Colère froide" -

"N'étant pas au pouvoir, le RN laisse se développer toutes les espérances. On entend 'Ce sont les seuls qu'on n'a pas essayés'", analyse le politologue Emmanuel Négrier.

Chez les électeurs rencontrés sur le marché de Cazères, Joël Aviragnet a décelé une "colère froide", un "foutu pour foutu" qui charrie les électeurs jusqu'aux flots RN qui grossissent. "Il faut leur redonner espoir", dit-il.

Dans cette partie de la Haute-Garonne, parsemée de champs de maïs, les nombreux précaires ressentent un "très fort sentiment d'abandon", juge Carole Delga.

La faute à un pouvoir macroniste "qui est tout ce que ne sont pas les gens de la campagne (...) c'est-à-dire la culture de la main tendue, de ne pas juger, de travailler, de ne pas beaucoup parler..."

Visage de cette ruralité, les agriculteurs de Haute-Garonne ne sont pas épargnés par ce virage vers l'extrême droite. Une figure locale du puissant syndicat agricole FNSEA a par exemple défrayé la chronique en devenant suppléant d'un candidat LR soutenu par le Rassemblement national.

Installés sur une crête entre deux côteaux de Saint-Frajou, Thierry et William Salles, deux frères céréaliers proches de la retraite, gardent un oeil sur leur moissonneuse et détaillent les raisons du désespoir qui les conduit à voter RN.

"Paris et Bruxelles" concentrent leur colère. Les étouffantes normes européennes, les contrôles à répétition, la paperasse à remplir, ils énumèrent tous ces reproches qui ont alimenté la fureur du monde agricole en début d'année.

Et puis il y a cette "injustice", ressentie par la campagne vis-à-vis des gens des villes.

N'empêche, souffle William d'une voix triste, "en ville, ils ont leur réalité. La nôtre, c'est de faire vivre les autres, mais la leur, ce n'est pas forcément de nous laisser vivre."

vgr/ap