L’affaire Quatennens fait vaciller la statue Mélenchon

Des voix se font entendre au sein de LFI et de la NUPES pour critiquer sa posture et plus largement son omniprésence au sein du parti.

POLITIQUE - « Ce ne sont pas mes mots ». La petite phrase de Manon Aubry, ce 19 septembre, sonne comme une prise de distance notable avec Jean-Luc Mélenchon, leader insoumis jusqu’ici jamais contesté par ses troupes. La députée européenne, pilier du dispositif insoumis et féministe engagée n’a pas pu défendre publiquement sur franceinfo la position de son chef de file, tweeté une heure après le communiqué du député Quatennens, le 18 septembre, qui a reconnu des violences envers son épouse, à commencer par une gifle. « Adrien décide de tout prendre sur lui. Je salue sa dignité et son courage. Je lui dis ma confiance et mon affection », a écrit Jean-Luc Mélenchon dans un tweet conspué de toutes parts.

Si l’ex-candidat à la présidentielle a tenté de se rattraper quelques heures plus tard par un second message (dans laquelle il rappelle qu’une « gifle est inacceptable dans tous les cas ») ; le propos ne passe toujours pas. L’eurodéputée préfère s’en tenir au communiqué de La France Insoumise qui rappelle que « la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est la cheville ouvrière de notre mouvement et de notre combat politique ».

Une mise au point en forme de prémices : après une omniprésence et une ligne incontestable, les langues commencent à se délier à propos du triple candidat à la présidentielle, au sein de la NUPES, mais aussi en interne à LFI, ce qui est beaucoup plus rare.

« Ce tweet est une faute politique »

« Le tweet de Jean-Luc Mélenchon m’a heurtée », confie au HuffPost une élue écolo. « On est comme les autres, les gens qu’on aime et avec qui on milite on a envie de les soutenir quand ils font des conneries. C’est très humain, je le comprends. Mais ce n’est pas à la hauteur du combat que nous avons sur le sujet », ajoute la députée qui ne veut pas en dire plus.

Sandra Regol, vice-présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale y va plus franchement : « Ce tweet, le premier, est une faute politique. C’est scandaleux, car il minimise les violences qui sont, elles, assumées par Adrien Quatennens. Pour toutes les femmes qui vivent ce genre de situation, c’est ultra-douloureux de lire ça ». Aurélien Taché, député du même groupe semble espérer une forme de mise à distance avec le presque retraité de la politique. « Je suis empreint de respect pour tout ce que Jean-Luc Mélenchon a rendu possible avec la NUPES. Il n’est pas élu à l’Assemblée nationale et il n’est pas le chef de parti des Insoumis : sa parole n’engage plus que lui. Au sein de la NUPES, on ne doit pas se sentir prisonnier de toutes ses déclarations », estime l’ancien marcheur qui siège chez les écologistes.

Des critiques plus classiques pour un parti comme EELV qui a déjà subi l’affaire Baupin et qui a été le premier à mettre en place une cellule d’écoute en interne. Mais chez les Insoumis, où les affaires Taha Bouhafs et Éric Coquerel ont déjà suscité des remous au cours des derniers mois, rares sont les critiques internes.

« Au sein de la NUPES, on ne doit pas se sentir prisonnier de toutes ses déclarations »

Cette fois pourtant, des députées du groupe, nouvelles à l’Assemblée, font, publiquement, entendre leurs voix. Comme Pascale Martin, députée LFI de Dordogne qui met les pieds dans le plat. Dans un communiqué, elle estime « ne pas pouvoir rester silencieuse » face à la réaction « inacceptable » et « insupportable » de Jean-Luc Mélenchon. Cette ancienne suppléante communiste dénonce la « minimisation des faits qui ont été commis et une méconnaissance de la réalité des violences conjugales ».

« Non, il ne s’agit pas d’un simple ‘divorce de camarades’ », épingle-t-elle, en référence à la dernière note de blog de Jean-Luc Mélenchon qui ironise sur les « grands sujets du moment » que seraient « l’enterrement de la reine d’Angleterre ou le divorce d’un camarade ». Une prise de position relayée par une autre néodéputée, élue de la Sarthe, Élise Leboucher, qui « apporte son soutien à ce communiqué de presse ».

Autre nouvelle élue insoumise, Marianne Maximi, 36 ans, affiche une forme de distance avec la personnalité souvent écrasante de Jean-Luc Mélenchon : « C’est un très bon candidat présidentiel, mais je n’ai pas construit ma vie politique autour de lui », affirme cette élue auvergnate qui « pense qu’il faut d’abord des idées et un programme de rupture », comme si elle se projetait déjà vers l’avenir.

« Un tiers du groupe insoumis n’est pas dans une logique de soumission à Mélenchon », observe à distance un socialiste du Palais Bourbon. « Il a son clan, ceux avec qui c’est à la vie à la mort comme des brigades révolutionnaires d’Amérique latine - Sophia Chikirou, Clémence Guetté, Danielle Simonnet ou Manuel Bompard - les autres sont des militants syndicaux, du climat ou associatifs qui ne sont pas liés à lui », soutient ce député.

« On va demander plus d’horizontalité et de débats internes »

Dans les couloirs des bureaux insoumis à l’Assemblée, les jeunes élus avaient déjà évoqué entre eux - bien avant l’affaire Quatennens - leur volonté de clarifier la frontière entre le groupe - désormais fort de 75 députés contre 17 lors du mandat précédent - et le parti, toujours géré de façon très verticale, malgré l’ouverture du Parlement de l’Union populaire à la société civile il y a un an. « On va demander plus d’horizontalité et de débats internes aux journées parlementaires qui ont lieu jeudi et vendredi à l’Assemblée », prévient un membre du groupe nouvellement élu, pour qui l’affaire Quatennens est un révélateur des problèmes internes. Ceux-ci avaient déjà été soulevés publiquement par Clémentine Autain qui réclamait dans une note de blog le 22 août « une réorganisation » du mouvement.

Les poids lourds du groupe et du mouvement comme Alexis Corbière ou Manuel Bompard étaient bien silencieux ce 19 septembre, pour défendre l’Insoumis en chef. Un embarras et une situation de crise qui ressemblent aux précédentes affaires Bouhafs ou Coquerel qui avaient ébranlé la direction du parti. Jean-Luc Mélenchon empêche-t-il ses troupes de se restructurer sans lui et d’évoluer vers plus de transparence et de nouvelles pratiques ? Une députée de la NUPES a répondu avec cette formule : « Je croyais qu’il allait s’occuper de sa fondation et faire le tour du monde… Ce n’est pas nous qui devons prendre nos distances, c’est lui qui les a prises ».

VIDÉO - Visé par une main courante, Adrien Quatennens quitte sa fonction de coordinateur de La France insoumise