Législatives 2024 : à quoi pourrait ressembler un gouvernement technique ?

 La tradition républicaine veut que le gouvernement démissionne après des élections législatives ou présidentielle. Au soir du second tour des élections législatives anticipées, Gabriel Attal devrait annoncer la démission de son gouvernement. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin par le chef de l’Etat pourrait déboucher sur une absence de majorité absolue à la chambre basse du parlement, soit plus de 288 députés, comme ce fut le cas à l’issue des législatives en 2022. Comment éviter une crise majeure au sein de la Vè république, alors que se profile une reconfiguration politique de grande ampleur après les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet ?

Nomination d’experts au gouvernement

La solution pourrait venir de la nomination d’experts au gouvernement, sans réel pouvoir politique. Pour Benjamin Morel, politologue et maître de conférences à l’université Paris II, « c’est l’issue la plus probable, si vous n’avez pas de gouvernement qui parvienne à éviter une motion de censure », faute de majorité absolue. Au nom de l’intérêt national, « les partis politiques pourraient consentir à la mise en place d’un gouvernement technique » chargé de gérer les affaires courantes « dans l’attente d’une nouvelle dissolution possible à partir de juillet 2025, ou d’une nouvelle élection présidentielle », analyse Benjamin Morel.

Absence de majorité absolue

Car les enquêtes d’opinions prédisent une reconfiguration inédite à l’Assemblée nationale au lendemain du second tour. Trois blocs pourraient s’affronter dans l’hémicycle (Rassemblement national, Nouveau front populaire et majorité présidentielle) ce qui rendra difficile la nomination d’un Premier ministre à Matignon. Car en France, le président de la République nomme traditionnellement le Premier ministre issu de la majorité parlementaire qui va ensuite composer le gouvernement. Mais « si les partis du centre Horizons, Modem, Renaissance, ne parviennent pas à constituer une majorité ou si les Républicains refusent de s’allier avec le RN », aucun bloc n’aura la majorité absolue ce qui risque de « nous plonger dans le scénario d’un pays ingouvernable », selon Benjamin Morel. Le président du Rassemblement national Jordan Bardella qui revendique le poste, et dont le parti est en tête dans les derniers sondages, a déjà annoncé qu’il « refuserait le poste de Premier ministre » si ses troupes « n’ont pas la majorité absolue » au Palais Bourbon.

Eviter d’ « ajouter du chaos au chaos »

L’avantage majeur avec un gouvernement technique composé uniquement d’experts serait que le Premier ministre et son gouvernement seraient alors dépolitisés et reconnus uniquement pour leurs compétences ou leurs fonctions. Et la différence de taille avec un gouvernement d’union nationale serait qu’aucun parti politique n’aurait à assumer le bilan de ce gouvernement. Mais pour mettre en place un gouvernement technique, il faudrait que les partis politiques s’engagent à ne pas renverser le gouvernement par l’intermédiaire d’une motion de censure. Autre avantage selon Benjamin Morel, cela pourrait permettre aux différents partis politiques de s’en sortir « avec les honneurs ». L’objectif étant de « ne pas ajouter du chaos au chaos » pour le bien de la démocratie.

Probabilité assez faible

Pour Olivier Rouquan, enseignant chercheur en sciences politiques « c’est une possibilité dont la probabilité est assez faible ». Sur le papier « c’est possible, cela a même été envisagé par de Gaulle, mais dans les faits, le temps est plutôt aujourd’hui à la polarisation et non à la nomination d’experts au gouvernement », estime le chercheur associé au Cersa (Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques). Autre hypothèse, « Gabriel Attal reste Premier ministre et nomme un gouvernement transversal », mais tout dépendra de la répartition des sièges à l’assemblée nationale au lendemain du 7 juillet.

Pratique courante en Italie

En Italie, la formation de gouvernements composés d’experts est une pratique courante. Cela est devenu une nécessité instituée pour combler un vide juridique et institutionnel et résoudre des problèmes concrets. L’Italie y a eu recours à quatre reprises dans son histoire récente. A l’image du gouvernement de Mario Draghi, ex-président de la Banque centrale européenne, nommé en 2021 à la tête du Conseil italien. La décision avait permis de rassurer les marchés financiers mais s’était soldée un an et demi plus tard par l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni, présidente du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia.

Gérer « les affaires courantes »

En France, un gouvernement technique dépolitisé permettrait de passer plus sereinement le cap des Jeux olympiques (26 juillet au 11 août) et Paralympiques (28 août au 8 septembre). Et d’adopter à l’automne le vote du budget pour 2025 par l’intermédiaire du 49.3 et d’une ordonnance. Après le budget, en revanche « il est possible d’imaginer des alliances baroques », affirme Benjamin Morel, « entre les LR et le RN par exemple ». Car force est de constater que partout en Europe, « les digues ont sauté » estime Benjamin Morel, et des gouvernements de coalition composés de la droite et de l’extrême droite se sont alliés pour gouverner.