Guerre Israël - Hamas : dans l’ombre de Gaza, la Cisjordanie est le front oublié du conflit

Depuis le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien accentue sa colonisation et sa répression en Cisjordanie. (Ici le camp de Jénine, après un raid israélien, ayant fait 3 morts en mars)
Nasser Ishtayeh / SOPA Images / Nasser Ishtayeh / SOPA Images vi Depuis le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien accentue sa colonisation et sa répression en Cisjordanie. (Ici le camp de Jénine, après un raid israélien, ayant fait 3 morts en mars)

INTERNATIONAL - Profitant du fait que les yeux soient rivés sur Gaza depuis six mois, Israël concrétise ses projets d’expansion en Cisjordanie. Par la voix de son ministre des Finances, Bezalel Smotrich, qui se définit lui-même comme un « fasciste homophobe », l’État hébreu a annoncé le 28 mars la saisie de 800 hectares de terres dans ce territoire qu’il occupe depuis 1967. Selon La Paix maintenant, organisation israélienne anti-colonisation, il s’agit de la plus importante mainmise israélienne en territoire palestinien depuis les accords de paix d’Oslo de 1993.

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L’objectif de cette acquisition dans la vallée du Jourdain est la construction de 3 500 logements dans deux nouvelles colonies situées à l’est de Jérusalem. En février déjà, le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou s’était approprié 260 hectares. « Le fait qu’Israël acquiert ces terres préjuge avec peu de doute l’ambition d’Israël d’installer de nouvelles colonies », souligne Émile Bouvier, chercheur indépendant spécialiste du Moyen Orient, contacté par Le HuffPost.

Un « deuxième front non déclaré »

L’occupation israélienne de cette terre où vivent près de 3 millions de Palestiniens n’a en soit rien de nouveau, elle dure depuis soixante ans. Rien que sur la période de novembre 2022 à fin octobre 2023, environ 24 300 unités de logement au sein des colonies israéliennes existantes en Cisjordanie ont été ajoutées, selon un rapport publié par l’ONU en mars. Désormais, 490 000 personnes, soit l’équivalent de 5 % de la population israélienne, sont installées dans les colonies jugées illégales au regard du droit international.

Mais depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, « la politique de dépossession et de colonisation (...) s’accentue et prend une dimension plus arbitraire », analyse Dima Alsajdeya, docteure en Science politique et relations internationales, dans un article publié sur Cairn en décembre. Pour la chercheuse, la Cisjordanie est devenue « un deuxième front non déclaré d’une nouvelle guerre israélienne contre les Palestiniens. »

« C’est surtout depuis quelques semaines qu’Israël a vraiment relancé son processus de colonisation, et elle n’y va pas de mainmorte », complète Émile Bouvier. Difficile d’être dans la tête de Benjamin Netanyahou, mais l’analyste en géopolitique estime d’abord que « la suspension des opérations militaires à Gaza, dans l’attente de l’opération annoncée à Rafah, dans le sud de l’enclave, donne à laps de temps suffisant à l’administration civile pour reprendre son accaparement des terres en Cisjordanie. » Autre élément évoqué, les combats et la situation de famine à Gaza qui « oblitèrent tout ce qui se passe en Cisjordanie », permettant aux autorités de saisir des terrains quand le regard médiatique est tourné ailleurs.

Violence exacerbée des colons israéliens

« Le but ultime est bien sûr pour Israël l’annexion de la Cisjordanie », nous explique le politologue Jean-Paul Chagnollaud, président de l’Iremmo, Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient.

Outre le développement de « colonies illégales », le chercheur note également « une accentuation de la violence des colons » à l’égard des Palestiniens depuis ces six derniers mois. « Les colons israéliens ultraorthodoxes sont dans une démarche religieuse d’une récupération totale de ce qu’ils perçoivent comme leur Terre sainte, et ce sont eux qui commettent le plus d’exactions contre les Palestiniens de Cisjordanie », précise à ce propos Émile Bouvier. En novembre, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), alertait que la moyenne des attaques de colons israéliens en Cisjordanie était passée de 3 à 7 par jour depuis le 7 octobre.

Intimidations, sabotages, voitures brûlées, ou destructions de champs d’oliviers... Les violences sont telles que « même les États-Unis et l’Union européenne, pourtant soutiens d’Israël, ont annoncé des sanctions contre les colons israéliens responsables », abonde le chercheur indépendant.

Enfermés dans leur ville

Depuis l’attaque du Hamas contre Israël, la Cisjordanie est sous « blocus militaire » et les habitants sont tout bonnement confinés depuis six mois. « Il faut imaginer que la Cisjordanie est un espace très réduit (5 860 km2, soit dix fois plus petit que la France ndlr), mais les villes sont éloignées les unes des autres, et donc facilement isolables. L’armée israélienne a bloqué les routes et accès, en multipliant les checkpoints entre des villes du Nord, comme Jénine, et celles du Sud, comme Hébron », rapporte encore Jean-Paul Chagnollaud. Le professeur de sciences politiques à Cergy-Pontoise décrit ainsi « une vie considérablement ralentie en Cisjordanie », où la société est « contrainte » de rester « enfermée dans sa ville », et de se taire face à la crainte que les soldats israéliens ne tirent à la moindre débâcle.

Que ce soit les violences, ou les velléités expansionnistes de Tsahal, elles ont été condamnées à maintes reprises par la communauté internationale. « La violence des colons et les violations liées aux implantations ont atteint de nouveaux niveaux choquants », a fustigé l’ONU dans un rapport, publié le 8 mars, parlant même de « crimes de guerre ». Paris, Madrid, et Washington, ont, eux, dénoncé « avec la plus grande fermeté » les plans israéliens en vue de la construction de milliers de logements.

Pour autant, pas sûr que la situation ne s’améliore de sitôt pour ces Palestiniens, selon les experts que nous avons interrogé. « Les États-Unis et l’Union européenne n’ont pas été en mesure de faire aboutir la résolution votée par le Conseil de sécurité de l’ONU exigeant à un cessez-le-feu à Gaza, donc, par contrecoup, la communauté internationale ne fera rien pour la Cisjordanie. Si peu s’y intéressent. », conclut avec amertume Jean-Paul Chagnollaud.

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