Qui est le général Zaloujny, l'homme à la tête de l'armée ukrainienne depuis le début de la guerre?

Loin des champs de bataille, le général Valeri Zaloujny décide de la stratégie des troupes ukrainiennes qui combattent depuis un an contre l'envahisseur russe. À 49 ans, cet homme au visage rond et aux yeux bleus intenses tient le rôle de commandant des forces armées ukrainiennes depuis juillet 2021.

À ce poste, il a comme rôle principal de diriger la résistance ukrainienne en coordonnant les cinq corps d'armées du pays: l'armée de terre, la marine, l'armée de l'air, les forces aériennes spéciales et le renseignement militaire.

Le défenseur de Kiev

Son principal fait d'armes: avoir empêché la prise de Kiev au début de la guerre, alors qu'il s'agissait de la priorité du Kremlin. "Militairement, c'était la bonne décision, le moyen le plus facile d'atteindre leur objectif. J'aurais fait la même chose", expliquait le général dans une interview accordée à The Economist et publiée mi-décembre.

Malgré cette réussite, le général restait alors persuadé que la menace persistait pour la capitale ukrainienne.

"Je n'ai aucun doute sur le fait qu'ils se donneront une autre chance de prendre Kiev", confiait-il.

Lorsqu'on lui demande ce qu'il a appris depuis le début du conflit, celui qu'on surnomme "le général de fer" fait part d'un principe qu'il dit suivre "comme une religion": "Les Russes et tout autre ennemi doivent être tués, tout simplement tués, et surtout, nous ne devons pas avoir peur de le faire. Et c'est ce que nous faisons."

Symbole d'une nouvelle génération de militaires

Né en 1973, Valeri Zaloujny incarne la première génération de militaires ukrainiens post-soviétiques - il avait tout juste 18 ans lors de la chute de l'URSS. Né sur une base militaire et lui-même issu d'une famille de gradés, il entre à l'Académie militaire d'Odessa dans les années 1990.

Il finit par intégrer l'École de défense nationale d'Ukraine au milieu des années 2000, voie royale pour les postes de commandement, dont il sort avec distinction en 2008.

"J'ai été élevé dans la doctrine militaire russe et je pense toujours que la science de la guerre se trouve en Russie", affirme-t-il au Time.

Il revendique d'ailleurs son admiration des écrits militaires d'un autre Valeri: Guerassimov, le chef d'État-major des forces armées russes, nommé en décembre commandant des forces russes en Ukraine par Vladimir Poutine. Le quatrième à ce poste en 11 mois de guerre.

"J'ai appris de Guerassimov", explique-t-il à The Economist. "J'ai lu tout ce qu'il a écrit... Il est le plus intelligent des hommes et mes attentes à son égard étaient énormes."

Si le général Zaloujny n'a pas connu l'Armée rouge, le modèle de commandement soviétique a fait long feu dans les armées de l'ex-URSS, avec son modèle "vertical, rigide, procédurier et qui prend du temps", résume le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV. Lui n'a jamais cessé de vouloir se tourner vers les méthodes occidentales.

"Il fait l'unanimité"

Pour son mémoire de master, il planche sur la structure de l'armée américaine avant de rejoindre les forces armées opérationnelles en tant qu'officier. Après douze ans de carrière sur le terrain, il devient en 2012 chef d'une brigade de blindés de l'Armée de terre avant d'y être promu chef de l'entraînement au combat jusqu'à 2016.

Rompu aux pratiques des armées occidentales, Valeri Zaloujny monte en grade à mesure que l’armée ukrainienne se tourne vers l’ouest, traumatisée par son incapacité à défendre la Crimée annexée par la Russie en 2014 et à reprendre le Donbass en partie contrôlé par des séparatistes pro-russes.

Il accède ensuite au grade de vice-commandant et prend en charge les troupes stationnées dans le sud du pays jusqu'à 2017 puis celles de l'ouest, en première ligne contre les séparatistes pro-russes, jusqu'à 2019. Après un passage à l'état-major en tant qu'adjoint, il prend finalement la tête des troupes du nord, notamment chargées de protéger Kiev.

À mesure qu'il gravit les échelons, il ne cesse de mettre en place les méthodes promues par l’Otan: des boucles de commandement courtes pour accélérer les prises de décision et les actions, une indépendance accordée aux troupes sur le terrain par rapport aux chefs qui ne s’y trouvent pas et enfin la capacité à accepter la faillibilité et l’échec des soldats comme des généraux. Et surtout des officiers, qu'il qualifie de "boucs émissaires" et à qui incombe toute la responsabilité dans le système soviétique.

C’est à lui que revient la charge de briefer Volodymyr Zelensky sur la situation dans le Donbass lorsque ce dernier accède en 2019 à la présidence ukrainienne après une carrière de comédien. C’est la première rencontre entre les deux hommes.

Deux ans plus tard, en juillet 2021, Valeri Zaloujny fête l'anniversaire de sa femme, bière à la main raconte-t-il, lorsqu'il reçoit un appel du président pour lui annoncer sa nomination à la tête de l'armée ukrainienne.

"J'ai souvent regardé en arrière et me suis demandé: comment je me suis mis dans cette situation?", confie-t-il au Time.

Loué en interne pour sa participation au changement de doctrine de l'armée ukrainienne mais aussi pour son contact humain réputé chaleureux, "il fait l’unanimité", assure Jérôme Pellistrandi.

"Il restera dans l'Histoire"

En décembre 2022, après dix mois de guerre, le général se réjouit du succès de ses troupes mais reconnaît aussi la difficulté de la résistance face à la Russie. "Il y a beaucoup de doutes en ce moment", affirme-t-il alors, en pleine bataille de Bakhmout.

Il demande aux soldats sur place de bien vouloir lui "pardonner" car il leur a demandé de tenir la ville avec peu d’équipements pour que l’armée ukrainienne puisse se régénérer en hommes et en matériel, en préparation de la grande offensive russe que les experts du monde entier, y compris les Ukrainiens, voient venir pour les mois de février ou mars.

S'il permet au général de présenter une armée et un état-major à visage humain, il s'agit aussi d'une obligation vis-à-vis des opinions publiques ukrainienne, européennes et surtout américaine. "Il bénéficie du renseignement occidental et il a une obligation de transparence", explique le général Jérôme Pellistrandi. "Pour avoir du beurre, il faut qu'il montre que l'argent du beurre est bien utilisé."

Cette stratégie de communication permet en tout cas au général d'être très populaire dans son pays, à la tête d’une armée qui bénéficiait de 96% d’opinions favorables parmi la population ukrainienne dans un sondage paru en mai 2022. En temps de guerre, "il faut du héros, du soldat au général", commente le général Jérôme Pellistrandi.

"Il est l’esprit militaire dont son pays avait besoin", juge quant à lui le chef d'état-major américain Mark Milley. "Il restera dans l'Histoire."

En 2022, le Time a même placé le général Zalounjny dans le classement des 100 personnalités les plus influentes du monde, dans la catégorie des "leaders". Aux côtés d'un certain Volodymyr Zelensky.

Article original publié sur BFMTV.com