Fin de vie : Pourquoi Emmanuel Macron refuse à tout prix de parler d’« euthanasie » ou de « suicide assisté »

Dans le projet de loi présenté ce 10 avril, c’est l’expression d’« aide à mourir » qui est retenue. Un champ lexical stratégique pour tenter de dépassionner le débat.

POLITIQUE - Clivant et délicat car du ressort de l’intime. Début mars, quand le président de la République a présenté dans une interview à La Croix et Libération les grandes lignes du projet de loi sur la fin de vie, « tous les mots ont été pesés au trébuchet » assumait l’Élysée. Un mois plus tard, le texte du gouvernement arrive ce mercredi 10 avril en Conseil des ministres.

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Après des contours esquissés par le président de la République, c’est la ministre de la Santé et du Travail Catherine Vautrin qui est désormais en charge du dossier. Samedi 6 avril dans Le Monde, elle en a présenté l’autre partie consacrée aux soins palliatifs. Mais lorsqu’il s’agit d’aborder le volet de fin de vie, elle, comme le chef de l’État, choisissent leurs mots avec le plus grand soin.

Ainsi, hors de question de parler d’euthanasie ou suicide assisté pour le gouvernement qui veut imposer son terme : celui d’ « aide à mourir » car le projet de loi « trace un chemin qui n’existait pas jusqu’alors », défendait Emmanuel Macron le 10 mars. C’est une tournure « simple et humain[e] » et qui « définit bien ce dont il s’agit », estime-t-il. Une façon aussi de dépassionner un débat socialement complexe.

Le « suicide assisté », une expression trop « chargée »

Selon la définition du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), l’euthanasie est un « acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable ». Dans son interview, le chef de l’État évoque de son côté « le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement », et assure que ce n’est « évidemment pas » ce dont il est question dans le projet de loi.

Quant au suicide assisté, au cours duquel le patient s’administre lui-même la substance létale, selon le CCNE, c’est « une expression chargée qui renvoie à la question plus large du suicide », jugeait mi-mars l’Élysée, « or il ne s’agit pas du tout de la même situation ». Avec l’« aide à mourir », la présidence s’appuie sur le critère du pronostic vital, qui doit être engagé « à court terme » ou à « moyen terme » selon l’avis des professionnels de santé. Et estime de ce fait que « le choix n’est pas entre la vie et la mort puisque la mort est déjà là ».

Miser sur la notion de « solidarité »

Outre les justifications lexicales, l’enjeu pour l’exécutif est surtout de ne pas cliver l’opinion. Si une large majorité de Français est favorable à un projet de loi pour « une fin de vie digne », les avis sont beaucoup plus partagés sur les modalités. Selon un sondage Ifop de juin 2023, 18 % des Français interrogés veulent un projet de loi qui légalise « en priorité » l’euthanasie, c’est-à-dire l’administration par les médecins de la substance létale. Ils sont 23 % à se prononcer pour le suicide assisté, c’est-à-dire la prise par le patient lui-même de la substance létale, en présence d’un médecin. 48 % se prononcent pour une loi qui contienne ces deux options et 11 % sont totalement opposés à toute loi sur le sujet.

Pour créer du consensus, Emmanuel Macron a donc opté pour une troisième voie. Conserver l’expression d’« aide à mourir » a le mérite d’englober à la fois euthanasie et suicide assisté et de présenter en même temps le projet de loi sous le prisme de la « solidarité ».

Le texte se veut « un accompagnement global de la société par la solidarité et la fraternité de personnes qui vont mourir », souligne l’Élysée qui rappelle qu’il ne crée « ni un droit ni une liberté ». « La société apporte une solidarité à des personnes en fin de vie et qu’il faut aider jusqu’au bout », ajoute-t-on de même source. Dès lors, difficile de prendre sèchement position contre le texte puisque, comme le dit Emmanuel Macron lui-même, « lorsqu’on vous demande si vous êtes favorable à un “droit de mourir dans la dignité”, il faut être bizarre pour s’y opposer ».

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