Dissuasion ou vraie menace? Pourquoi Emmanuel Macron agite le spectre de l'envoi de troupes en Ukraine

"Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre". Le président français, Emmanuel Macron, a haussé le ton ce lundi 26 février face à Moscou qui mène une guerre à l'Ukraine depuis plus de deux ans.

Face à une vingtaine de dirigeants internationaux réunis pour une conférence de soutien à Kiev, le chef de l'État a déclaré que "l'envoi de troupes au sol" "ne doit pas être exclu".

"Il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique rien ne doit être exclu", a-t-il assuré, interrogé par une consoeur à ce sujet, sous-entendant que cette question était dans les tuyaux. Une option qui jusqu'ici n'avait jamais encore été mentionnée par Paris ou un autre chef d'État occidental et qui marque un changement de pied de la part du président.

Si ses alliés, que ce soit Londres, Madrid ou Berlin, ont pris leurs distances avec ces propos, Paris semble assumer cette prise de position.

"L’Europe est menacée. C’est notre responsabilité de tenir de genre de déclaration et de faire passer un message clair à la Russie, face à leur politique ultra aggressive de déstabilisation", affirme une source diplomatique à BFMTV.

"Notre sécurité se joue sur le champ de bataille en Ukraine"

Au début de la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron voulait faire de la France, "une puissance médiatrice". En juin 2022, il avait même hérissé le poil des alliés de Kiev en appelant "à ne pas humilier la Russie pour que le jour où les combats cesseront, nous puissions bâtir un chemin de sortie par les voies diplomatiques".

Puis petit à petit, comme l'a dit le chef de l'État lui-même, il a, avec les alliés occidentaux, envoyé des "tanks, des avions, des missiles à longue portée".

"En réalité, son changement de position a été progressif. Le véritable basculement est intervenu lors du discours de Bratislava (le 31 mai 2023, NDLR), il a alors abandonné l'idée d'un dialogue avec la Russie", souligne Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), contacté par BFMTV.com.

Cette fois, il s'agit plutôt d'un "basculement en termes d'intensité dans ses propos plutôt qu'en termes de fond", analyse le spécialiste des questions de défense.

Face à une Russie de plus en plus agressive et une Ukraine affaiblie, le président de la République réalise que "notre sécurité se joue aussi sur le champ de bataille en Ukraine, et si on laisse tomber l'Ukraine, on ne ferait que retarder une échéance terrible", commente le général Jérôme Pellistrandi sur BFMTV, qui relève "la vision impérialiste" de Moscou.

Emmanuel Macron, qui a appelé ce lundi à "un sursaut" face "au durcissement de la Russie", a aussi fait état d'un "consensus" chez de nombreux dirigeants et personnalités européens sur le fait "que d'ici à quelques années, il fallait s'apprêter à ce que la Russie attaque" leurs pays.

Dissuasion et négociation

L'envoi de troupes au sol -une idée décriée par de nombreux politiques- impliquerait une entrée en guerre de la France et des autres pays occidentaux qui concéderaient à faire de même, avec Moscou.

Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte ou le Premier ministre suédois Ulf Kristersson ont assuré que cette question n'était pas à l'ordre du jour, sans toutefois l'exclure. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a quant à lui affirmé ce mardi qu'"aucun soldat" ne serait envoyé en Ukraine par des pays d'Europe ou de l'Otan, conformément à "ce qui a été décidé dès le début".

Derrière cette "ambiguïté stratégique" se cache une stratégie de dissuasion pour Jean-Pierre Maulny. En évoquant l'envoi de troupes au sol le chef de l'État a voulu "montrer qu'on est unis, solides".

Outre l'aide militaire envoyée à l'Ukraine, l'idée est de dire "la prochaine étape, on va sur le terrain, et vous n'avez aucune chance de gagner".

Une manière "d'amener la Russie à la table des négociations" selon le directeur adjoint de l'Iris. À noter que ce n'est pas la première fois que le président dit ne "rien exclure", une rhétorique employée à plusieurs reprises dans le cadre de ce conflit.

Cette fermeté française s'explique aussi par l'effacement progressif de la puissance outre-atlantique. Les États-Unis sont devenus un "maillon faible" de la coalition internationale" pour "des raisons de politique intérieure", nous expliquait il y a quelques jours Dorota Dakowska, professeure de science politique à Science Po Aix et spécialiste de l'Europe centrale et orientale.

L'aide américaine, cruciale pour Kiev, est bloquée au Congrès par les républicains de Donald Trump. "On prend le relais des États-Unis, on est monté en gradation", image le général Jérôme Pellistrandi.

"Personne n'a intérêt ou ne veut une escalade en Ukraine"

Plusieurs spécialistes jugent toutefois qu'Emmanuel Macron sous-entendait l'envoi d'une assistance pour aider les Ukrainiens à utiliser le matériel militaire et à l'entretenir, plutôt qu'une réelle entrée en guerre.

"Dans un premier temps, il s'agit de renforcer les capacités de résistance de l'armée ukrainienne, les munitions, les systèmes de défense. Et peut-être après qu'il y aura d'autres types d’actions", relève Jérôme Pellistrandi. "L'ambiguïté dont parle le président peut être du renseignement ou une guerre électronique pour empêcher la Russie de progresser".

L'Élysée lui-même appuie cette position et tempère les propos du président auprès de BFMTV ce mardi. Lors de la conférence de Paris, "personne n’a parlé de la possibilité de participer aux combats avec l’Ukraine mais plusieurs participants ont évoqué le fait que, pour des raisons d’efficacité, on puisse parler d’être sur place à travers des activités de déminage ou de maintien en condition opérationnelle", nous assure le Palais.

Une entrée en guerre pure et dure ne semble en effet pas au programme d'Emmanuel Macron. "Nous avons toujours posé le principe que nous soutenions l'Ukraine mais nous ne faisions pas la guerre à la Russie. Ce principe demeure pour une raison simple qui est que personne n'a intérêt ou ne veut une escalade en Ukraine", assurait l'Élysée à la presse ce dimanche 25 février, en marge d'un briefing sur la conférence de soutien à Kiev.

Moscou est naturellement du même avis. Le porte-parole du Kremlin a prévenu ce mardi qu'envoyer des troupes en Ukraine ne serait "pas dans l'intérêt des Occidentaux, rapporte l'AFP. Ils doivent en être conscients", a déclaré Dmitri Peskov à des journalistes, jugeant que le simple fait d'évoquer cette possibilité constituait "un nouvel élément très important" dans le conflit.

Article original publié sur BFMTV.com