Elections au Royaume-Uni : « C’est moins l’enthousiasme pour les travaillistes que le rejet des conservateurs qui explique l’alternance »

Ce jeudi, les 46 millions d’électeurs britanniques sont appelés aux urnes pour renouveler les 650 sièges de la Chambre des Communes. Pourquoi ce scrutin intervient maintenant ?

 

Au mois de mai, l’actuel premier ministre conservateur, Rishi Sunak, avait décidé de dissoudre la Chambre de manière anticipée, alors que le prochain scrutin était normalement prévu au plus tard en janvier prochain. Sunak venait tout juste d’obtenir de bonnes nouvelles en matière de résultats économiques et pensait que la situation à l’automne allait se dégrader. Il a donc estimé que de nouvelle élections dès cet été pourraient lui profiter, d’autant plus que certains élus dans sa propre majorité cherchaient alors à le renverser. Il s’est trompé dans son analyse.

 

Quel est le bilan de Rishi Sunak ?

 

Il est arrivé au pouvoir à la suite de la parenthèse Liz Truss, qui a duré six semaines entre septembre et octobre 2022 et qui a provoqué une grave crise économique. En réaction, le Parti conservateur s’est rebellé et a remplacé Truss par celui qu’elle venait de battre lors d’une élection interne, Rishi Sunak. Par consequent, lorsqu’il arrive au 10 Downing Street, Sunak n’est pas porté par un véritable élan d’enthousiasme, pas même dans son propre camp. A ce titre, on ne peut pas dire qu’il a déçu les Britanniques, car les attentes autour de sa personne n’ont jamais été très grandes.

 

 

Les sondages d’opinion donnent depuis plusieurs semaines les travaillistes largement en tête. Quels sont les thèmes qui ont fait basculer la campagne ?

 

Il n’a pas du tout été question du Brexit, qui a été complètement absent de la campagne. On a parlé de questions « traditionnelles », comme l’immigration, le coût de la vie et le prix de l’énergie. Mais la campagne de Rishi Sunak n’a pas été bonne. Il a réalisé plusieurs contre-performances médiatiques : annonce du lancement de sa campagne sous la pluie sans parapluie, départ précipité des célébrations du Débarquement, scandale de paris organisés dans son entourage sur la date des prochaines élections. Tout cela n’a pas joué en sa faveur. Il y a aussi une profonde envie chez les Britanniques de tourner la page de quatorze années de pouvoir conservateur.

La formation de Nigel Farage, Reform UK, a par ailleurs séduit une partie de l’électorat traditionnel de droite, tout en radicalisant l’ensemble du champ politique. Il s’agit d’une formation démagogique et populiste, bien qu’historiquement moins marquée par le racisme et la xénophobie que d’autres partis d’extrême droite en Europe. A l’occasion de ce scrutin, plusieurs élus devraient faire leur entrée à la Chambre, la question est de savoir quel rôle politique va jouer Reform UK dans les mois à venir.

 

 

Keir Starmer, actuel leader du parti travailliste, devrait prendre tête du gouvernement. Quelle politique entend-il mener ?

 

Keir Starmer a été élu à la tête du parti en 2020, à la suite du retrait mouvementé de Jeremy Corbyn. C’est quelqu’un qui n’est pas charismatique. C’est un avocat qui a la réputation d’être un gros bosseur. Il travaille énormément ses dossiers. Durant la campagne, il a surtout joué la prudence et rejeté tout triomphalisme. Il n’a pas promis le retour du Royaume-Uni dans l’UE, et a même dit que ce retour ne se ferait pas de son vivant. Cette prudence s’explique notamment par l’histoire du Parti travailliste. En 1992, les travaillistes s’attendaient tellement à gagner les élections que la défaite a été traumatique et les militants s’en souviennent encore aujourd’hui. En 2010, le dernier gouvernement travailliste de Gordon Brown a quitté le pouvoir en étant détesté par la population, malgré de bons résultats économiques.

Aujourd’hui, c’est moins l’enthousiasme pour les travaillistes et pour Steirmer que le rejet des conservateurs qui explique l’alternance que le pays s’apprête à vivre. La population britannique est traumatisée. Il y a une aspiration au changement et en même temps une peur du changement, après plusieurs années de bouleversements politiques. Cela a conduit les travaillistes a s’auto-limiter dans leur programme, par exemple en promettant de ne pas augmenter les impôts. Après le Brexit, le Covid et la guerre en Ukraine, le niveau de la dette publique est très haut, la balance commerciale est très mauvaise et les impôts n’ont jamais été aussi élevés depuis 75 ans.

 

Toutes choses égales par ailleurs, est-ce que la France, qui vote dimanche pour le second tour des élections législatives et qui pourrait faire entrer un nombre record de députés RN au Parlement, est en train vivre son « moment Brexit » ?

 

Le parallèle est très pertinent. Le référendum sur le Brexit a été le fruit d’un pari réalisé par le Premier ministre conservateur de l’époque, David Cameron. Il cherchait à résoudre le problème du parti eurosceptique UKIP de Nigel Farage, qui avait réalisé des percées électorales. Cameron estimait que les Britanniques ne voteraient jamais pour une sortie de l’Union européenne, et il a perdu son pari. Aujourd’hui, Emmanuel Macron lance à son tour un défi similaire aux Français. Mais il ne faut pas oublier que le Brexit a été un traumatisme pour la vie politique nationale britannique. Cela a provoqué des divisions et de lourdes rancœurs, et libéré des comportements violents, notamment à l’encontre des étrangers. Aujourd’hui, toute l’Europe regarde le scrutin français avec beaucoup d’inquiétude.