Diminuer la part française au budget de l’Union, la promesse incertaine du Rassemblement national

« Une source d’économie intéressante pour les finances publiques. » C’est ainsi que Jordan Bardella défend sa proposition de baisse de la contribution de la France au budget de l’Union européenne. Il s’agit de l’une des rares pistes concrètes qu’avance le Rassemblement national dans sa campagne des législatives, pour se donner de nouvelles marges de manœuvres budgétaires. « Il n’y a pas de raison qu’on demande des économies à tout le monde, qu’on rationalise les dépenses de l’État et qu’on ne rationnalise pas les dépenses de fonctionnement de l’Union européenne », a défendu l’eurodéputé le 20 juin, lors d’un grand oral devant les principales organisations patronales.

Celui qui se rêve déjà à Matignon estime ainsi que la France peut « dégager raisonnablement deux à trois milliards d’euros » sur cette contribution. Hier, lors de la présentation de son programme, le président du RN évoquait deux milliards d’euros. Il a surtout indiqué que ce rabais servirait à financer une partie de la coûteuse diminution de la TVA sur les produits énergétiques, programmée dès l’été 2024 en cas de victoire.

La réduction espérée par le Rassemblement national représente près de 10 % de ce que la France verse chaque année au budget de l’Union européenne, selon les données inscrites dans la dernière loi de finances (21,6 milliards d’euros). L’Hexagone est le deuxième contributeur net au sein des États membres, c’est-à-dire qu’il verse davantage qu’il ne reçoit. Selon la Commission européenne, cette différence atteint 6,5 milliards d’euros.

Un cadre budgétaire fixé pour 7 ans, qui expire en 2027

Jordan Bardella a certes raison de souligner que d’autres pays, comme l’Allemagne, ont réussi à obtenir par le passé une réduction de leur contribution. Mais il n’est pas du tout garanti qu’un gouvernement dominé par le Rassemblement national parvienne à ses fins, qui plus est, à court terme.

Pour obtenir un rabais, il faut le demander dans le cadre des négociations préalables à l’adoption du cadre financier pluriannuel, le budget européen qui s’étend sur sept années. Le cadre financier en cours concerne la période 2021-2027 et sa révision à mi-parcours vient tout juste d’être approuvée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne en février. La nouvelle version aboutit à de nouvelles répartitions entre les différents programmes, et comprend le programme de soutien à l’Ukraine. La révision du cadre financier a fait l’objet d’intenses compromis et de négociations difficiles entre les pays membres.

« Il ne suffit pas de demander une réduction de la contribution »

« Pour l’instant, on est fixé jusqu’en 2027. Les négociations sur le prochain cadre budgétaire (2028-2035) devraient commencer pas avant 2025-2026 dans le meilleur des cas. On ne peut pas l’amender, sauf accord à l’unanimité au Conseil. Et il faudrait que ça repasse devant le Parlement européen. C’est presque impossible avant la prochaine négociation », observe Jacques Le Cacheux, professeur à l’université de Pau, spécialiste des questions budgétaires européennes, qui rappelle au passage que la future Commission n’est même pas encore installée. « Une réduction de la contribution, ce n’est pas si simple, il ne suffit pas de la demander. »

« C’est juridiquement quelque chose qui est assez proche d’un traité. Les Etats s’engagent, à travers ce cadre, à apporter les moyens nécessaires, il y a des garde-fous avec des plafonds fixés, ce n’est pas quelque chose de renégocié sans cesse. C’est une procédure lourde, qui nécessite l’accord de tous les États membres », souligne également Corinne Delon-Desmoulin, professeure de droit public à l’université Rennes 2. En théorie, rien ne fait obstacle à ce qu’un État tente d’amender ce type de décision, longuement négociée et débattue, mais dans la pratique, au regard de la lourdeur du processus, un État qui souhaite solliciter un rabais attend la négociation du nouveau budget pluriannuel.

D’autant qu’il ne faut pas réduire ce sujet à une simple question de calendrier, qui dépend avant tout d’un rapport de force politique, et de concessions mutuelles. « On ne donne pas de corrections aux États de façon gracieuse. Cela fait partie de toute une négociation. Il y a beaucoup d’équilibres dont il faut tenir compte. Les autres Etats membres ne sont pas tellement prêts à l’accepter un mécanisme de correction. Baisser la contribution d’un État, cela signifie que les autres devront apporter plus au budget européen », explique Eulalia Rubio, chercheuse senior sur les affaires économiques européennes à l’Institut Jacques Delors.

5 Etats, après le Royaume-Uni, ont obtenu un rabais

Actuellement, 5 Etats contributeurs net bénéficient d’un rabais sur leur contribution. La plupart de ces Etats, qui jugeaient leur contribution disproportionnée au regard de ce qu’ils perçoivent, ont d’ailleurs poussé à la hausse leurs rabais en 2020, en contrepartie du plan de relance massif adopté par les Vingt-Sept, et de l’emprunt qui en découle. Le rabais accordé à l’Allemagne se chiffre à 3,7 milliards d’euros, viennent ensuite les Pays-Bas avec 1,9 milliard, la Suède avec environ 1 milliard, l’Autriche (0,6 milliard) et pour finir, le Danemark (0,4 milliard). L’exemple le plus célèbre reste celui du pionnier britannique. En 1984, le gouvernement de Margaret Thatcher avait négocié un rabais auprès de ses partenaires européens, clamant son célèbre « I want my money back » (je veux récupérer mon argent).

Chaque État fait ainsi valoir ses propres spécificités, pour tenter de convaincre leurs partenaires du bien-fondé de leur demande. « Ce sont des négociations de marchands de tapis. Il n’y a pas de critères. Par exemple, les Pays-Bas ont obtenu un rabais car ils collectent une grande partie des ressources douanières de l’UE avec le port de Rotterdam. Ils ont mis en avant leurs frais de collecte », raconte Jacques Le Cacheux.

La politique agricole commune, un outil puissant de pression des autres Etats

« La France a une faiblesse par rapport aux autres Etats frugaux, c’est qu’elle reçoit pas mal d’argent, et notamment de la politique agricole commune. C’est ce qui explique qu’elle ne s’est jamais engagée dans cette voie. Si elle demande un rabais, elle aura moins d’influence sur la façon dont on dépense le budget commun. Elle perdra sa légitimité à défendre une PAC importante », analyse la cheurcheuse Eulalia Rubio. Avec 9,5 milliards d’euros de subventions agricoles, la France est le premier bénéficiaire de la PAC, qui représente plus de la moitié des « retours français » en matière de fonds européens. Celle-ci a d’ailleurs été souvent dans la balance au cours des négociations budgétaires. « Le rabais à l’Allemagne en 1999 a été consenti par la France, car l’Allemagne menaçait de couper les fonds de la politique agricole », rappelle Jacques Le Cacheux. Chaque État va essayer de défendre ses intérêts et certains pourraient être tentés de faire monter les enchères. « N’imaginez quand même pas que les gouvernements, par exemple de Pologne ou de Hongrie, vont accepter de recevoir moins pour faire plaisir à la France », ajoute cet ancien directeur du Département des études de l’OFCE.

Il paraît hautement improbable pour Jordan Bardella de décrocher à la fois un rabais et de « garantir » le « budget de la PAC » ou « de ce qui est financé sur le territoire français », selon ses mots devant le Medef la semaine dernière. « Lorsqu’on gagne d’un côté, on y perd forcément de l’autre. Il faut accepter cette manière de faire fonctionner l’Europe. Si la France contribue moins, on aboutit à une diminution du montant global », souligne Corinne Delon-Desmoulin.

On le voit, des discussions longues et compliquées attendent la France, si un gouvernement RN souhaitait s’engager sur cette voie. Eulalia Rubio note également qu’une décision unilatérale de ne pas payer entièrement sa contribution fixée dans le cadre budgétaire pluriannuel n’aurait aucun bénéfice. « Si un État ne paye pas ce qui a été prévu, la Commission européenne peut réduire le versement des fonds destinés à cet État à la hauteur de ce qu’il manque, c’est assez fort. Et il n’y a pas besoin d’un acte de la Cour de justice de l’Union européenne ».

Fin 2014, le Premier ministre David Cameron avait menacé de ne pas payer une facture de dernière minute. L’Union européenne avait revu à la hausse le montant de la contribution attendue par Londres, en raison de performances meilleures que prévu de l’économie britannique. « À la fin, il est revenu à la raison. Même lui ne l’a pas fait. Je ne vois pas non plus le RN menacer de ne pas payer, il y a des implications assez risquées », insiste Eulalia Rubio.