Covid-19 : la "vague psychiatrique" peut toucher tout le monde, même les personnes sans antécédents

La santé mentale des Français se dégrade depuis le début de la crise du Covid-19.
La santé mentale des Français se dégrade depuis le début de la crise du Covid-19.

La santé mentale des Français se dégrade depuis le début de la crise du coronavirus. Et contrairement aux idées reçues, tout le monde peut être concerné, même les personnes qui n’ont pas d’antécédents.

Les chiffres sont affolants. Il y a actuellement deux fois plus de personnes souffrant de dépression qu’en 2017, selon Santé Publique France. Ce mal toucherait 20% de la population. À l’hôpital parisien Robert Debré, on a comptabilisé deux fois plus de tentatives de suicides cet automne que l’automne dernier, rapporte Serge Hefez, psychiatre au groupement hospitalier universitaire Sainte-Anne. Et 30% des jeunes de moins de 24 ans seraient actuellement dans un état dépressif.

Autant d’indicateurs qui montrent que la santé mentale des Français se dégrade. Evidemment, la situation sanitaire et les restrictions qui en découlent n’y sont pas pour rien. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a évoqué le problème fin novembre. Le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, s’est également emparé du sujet, expliquant que “la santé mentale des Français [s’était] de nouveau dégradée entre fin septembre et début novembre”, et concédant que cette épidémie était “stressante, anxiogène” et pouvait “générer une souffrance psychologique pour nombre d'entre nous”.

VIDÉO - Covid-19 : des malades souffrent de stress post-traumatique

Des personnes sans antécédents

Depuis le début de la crise, les psychiatres ont tiré la sonnette d’alarme sur le sujet à maintes reprises. Si, dans un premier temps, ils se sont inquiétés des conséquences du confinement pour le suivi des personnes souffrant déjà de troubles, c’est désormais pour l’ensemble de la population qu’ils redoutent une “vague psychiatrique”.

Des personnes, jusqu’ici sans antécédents, basculent dans des troubles liés à la situation sanitaire. “Ça peut toucher tout le monde, parce que chacun est concerné à sa façon”, entame Serge Hefez, psychiatre au groupement hospitalier universitaire Sainte-Anne, “ça dépasse largement les personnes fragiles”.

“On a vu arriver des gens qui n’avaient jamais consulté ni un psychiatre, ni un psychologue de leur vie”, confirme de son côté Nicolas Franck, psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier et auteur de Covid-19 et Détresse psychologique.

Isolement, angoisse et absence de perspective

Les causes de cette bascule chez des personnes sans antécédents sont multiples - mais, d’une façon ou d’une autre, liées à la crise sanitaire. Les plus jeunes peuvent être témoins “de l’angoisse de leurs parents, des tensions familiales, des crises conjugales”, les adolescents se retrouvent “privés des liens qu’ils ont habituellement avec ceux de leur âge en dehors de l’école”, les étudiants sont dans des situations “de précarité et de rupture de liens”, énumère le professeur Serge Hefez. Ils ont également pu développer “une peur de l’avenir, mais aussi la peur d’échouer avec notamment la modification des modalités d’examen”, complète Nicolas Franck. D’autres ont des inquiétudes parce qu’ils ont perdu leur travail ou que leur situation économique s’est dégradée. Il y a aussi, pêle-mêle, la peur du virus, l’isolement, l’éloignement de la famille... “Ça concerne donc une part énorme de la population”, conclut le psychiatre Serge Hefez.

Mais ce qui revient le plus souvent, selon lui, c’est “l’absence de perspective, l’impossibilité de se projeter”. Des sentiments renforcés par le fait que cette crise, que l’on a d’abord crue passagère, s’installe sur le long terme. Et le deuxième confinement n’a pas arrangé les choses. “On reprend un coup sur la tête alors qu’on ne s’était pas remis du premier”, détaille le spécialiste.

“On est face à une accumulation d’étapes successives, qui sont toutes aussi difficiles les unes que les autres”, commente de son côté Nicolas Franck, “c’est au minimum contrariant, au maximum une montagne à surmonter”. Et quand la montagne devient trop haute, “certaines personnes franchissent le seuil de vulnérabilité”, nous explique-t-il.

De l’addiction au stress post-traumatique

Les symptômes peuvent alors être variés. Le repli sur soi, l’impossibilité de s’appuyer sur ses proches, l’insomnie ou à l’inverse l’hypersomnie, l’absence de goût pour toute activité, un jugement très négatif sur soi-même, une fatigue extrême, des ruminations mentales, une forte irritabilité... pris séparément, ces signes ne sont pas forcément évocateurs, mais “quand ils commencent à s’accumuler, il faut s’inquiéter”, nous précise Serge Hefez.

Pour Nicolas Franck, la bascule entre un simple mal-être passager et un trouble psychiatrique s’opère lorsqu’il y a un “ressenti fonctionnel”, c’est-à-dire quand la personne est gênée dans son quotidien, qu’elle ne peut pas vaquer à ses occupations, que ses relations sociales sont altérées, que son travail n’est plus fait correctement ou qu’elle ne peut plus assumer ses relations familiales.

Les troubles psychiatriques, qui se sont développés chez une partie des Français depuis le début de la crise sanitaire, sont variés. Certains ont plongé dans une addiction, à l’alcool, au tabac, à la drogue, mais aussi aux médicaments psychotropes ou encore aux écrans. Pour cette dernière catégorie, “il y a une perte de contrôle total chez une personne sur six”, nous détaille Nicolas Franck, en s’appuyant sur une étude qui apparaît dans son livre Covid-19 et Détresse psychologique. De nombreuses personnes ont développé un trouble anxieux. “Ça fait partie des troubles les plus fréquents”, commente le psychiatre. Des dépressions et des envies suicidaires ont également vu le jour. Et, “chez les personnes qui ont été confrontées à la mort, soit d’un proche, soit dans le cadre du travail, on assiste au développement de syndromes de stress post-traumatique”, poursuit-il.

Un lien direct avec le Covid-19 ?

Serge Hefez alerte sur un autre phénomène, encore relativement méconnu, mais qui là encore peut concerner toute la population ou presque : les effets directs du coronavirus sur la santé mentale de ceux qui en sont atteints. Selon une étude publiée dans The Lancet début novembre, qui a été réalisée auprès de plus de 62 000 patients diagnostiqués positifs au Covid-19, 18% d’entre eux avaient un trouble psychiatrique dans les mois qui ont suivi la maladie. Et 6% des personnes n’avaient pourtant aucun antécédents. “Outre l’impact du stress et de la fatigue de la maladie, il y aurait un effet du virus et de l'inflammation sur le plan cérébrale qui favoriserait notamment la dépression”, nous assure le psychiatre.

L’autre inquiétude provient du faire qu’on ne sort pas d’une maladie mentale comme on sort de certaines maladies physiques. “Les difficultés s’installent sur le long terme. On l’a d’ailleurs vu par le passé après des guerre ou des épidémies”, rappelle Serge Hefez. La situation n’est cependant pas désespérée, “il existe des méthodes pour s’en sortir”, affirme Nicolas Franck. Mais les conséquences risquent de s’inscrire dans la durée.

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