Couacs et contradictions : Sibeth Ndiaye est-elle la porte-parole idéale pendant cette crise ?

Dans le contexte de crise sanitaire actuelle, Sibeth Ndiaye est très décriée, en raisons de plusieurs couacs et maladresses.
Dans le contexte de crise sanitaire actuelle, Sibeth Ndiaye est très décriée, en raisons de plusieurs couacs et maladresses.

Phrases maladroites, contradictions... Sibeth Ndiaye s’attire de nombreuses critiques. La porte-parole du gouvernement a-t-elle vraiment sa place dans cette communication de crise ?

La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, essuie de nombreuses critiques en cette période de crise sanitaire. En cause, plusieurs couacs qui ne sont pas passés inaperçus. Les derniers en date remontent à mercredi 25 mars, lors d’un point presse tenu à l’issu d’un conseil des ministres.

La porte-parole s’était chargée d’éclaircir l’annonce du ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, qui demandait aux personnes ne travaillant pas d’aller aider les agriculteurs dans les champs. Sauf que ses explications - “nous n'entendons pas demander à un enseignant qui aujourd'hui ne travaille pas, compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser la France entière pour aller récolter des fraises gariguette” - ont braqué toute une profession. Les professeurs étant chargés d’assurer la “continuité pédagogique” chère au ministre de l’Éducation.

“Sibeth Ndiaye a reconnu sa maladresse, on a fait notre mea culpa”, nous rappelle son cabinet. “Mon exemple n'était vraiment pas le bon. Je suis la première à mesurer combien l'engagement quotidien des professeurs est exceptionnel”, avait très rapidement écrit la porte-parole sur son compte Twitter. “Quand on ne dort que quatre heures pas nuit, il peut arriver de commettre une maladresse...”, reconnaît une collaboratrice.

Lors de cette même prise de parole, décidément scabreuse, Sibeth Ndiaye expliquait qu’Emmanuel Macron ne portait pas de masque parce qu’ils ne sont pas nécessaires “dès lors qu’on respecte la distance de protection vis à vis des autres”. “Il n’y a pas de raison que le président de la République déroge aux prescriptions qui sont réalisées pour l’ensemble de la population française”, complétait-elle. Une explication logique. Sauf que, le jour même, à l’hôpital de campagne de Mulhouse, le chef de l’État apparaissait... masqué.

“Il ne s’agit ici pas d’une contradiction, mais d’une incompréhension”, justifie-t-on au cabinet de la porte-parole. À Mulhouse, “Emmanuel Macron était au contact des soignants et des patients, donc forcément, il avait cette fois-ci un masque”.

Une contradiction anxiogène

La période particulière fait que ces erreurs ont du mal à passer. “On est dans un moment extrêmement délicat, extrêmement sensible où une maladresse est ressentie puissance 10”, décrypte Christian Delporte, professeur spécialiste de la communication à l’université de Versailles. Dans cette crise, “la contradiction est extrêmement anxiogène”, poursuit-il.

Pour lui, pas question, cependant, de supprimer les prises de parole de Sibeth Ndiaye. “Il faut bien alimenter les médias, il faut que des gens assument”. D’autant qu’elle a “des éléments de langage à faire passer”, dévoile le professeur. Le problème c’est qu’ils “changent tous les jours” et que la porte-parole a “toujours un train de retard”, estime-t-il.

Effectivement, “il y a de nouvelles choses chaque jour, qu’il faut expliquer”, détaille le cabinet de la porte-parole, qui est cependant formel : les maladresses et les couacs “n’impliquent pas que Sibeth Ndiaye n’a pas les informations”.

Plus on s’exprime, plus on fait d’erreurs

La difficulté, c’est que contrairement à Édouard Philippe et Emmanuel Macron, qui prononcent surtout des discours, Sibeth Ndiaye doit en plus répondre à des questions. Ce qui l’amène à faire “des erreurs de communication. Plus on s’exprime, plus on est amené à faire des maladresses”, relève Christian Delporte. Et comme elle est plus exposée, “elle en fait plus que les autres”.

Même si elle s’est chargée de la communication des plus hautes sphères de l’État pendant des années - elle a été conseillère presse d’Arnaud Montebourg puis d’Emmanuel Macron lorsqu’ils étaient ministres - “elle n’est pas très bonne élève pour la langue de bois, elle est un peu caricaturale. Et il y a un peu de légèreté dans sa façon de traiter les choses”, analyse le professeur. En bref, Sibeth Ndiaye est l’illustration du fait que “les meilleurs communicants ne font pas forcément les meilleurs porte-paroles”.

Sibeth Ndiaye s’est même encore plus compliquée la tâche, avec ses sessions “Ask PPG”, des vidéos hebdomadaires en direct sur les réseaux sociaux lors desquelles elle répond aux questions des internautes. “Non seulement il y a un risque, comme avec toute prise de parole, mais en plus ça ne sert à rien et c’est porteur de confusion”, estime Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences Po et président de MCBG Conseil.

Un avis que ne partage évidemment pas le cabinet de la principale concernée. “Ces séances se justifient encore plus dans le contexte actuel”, avance-t-on. “Le rôle de la porte-parole, c’est aussi d’expliquer, de faire preuve pédagogie. En ce moment, vu les interrogations de la population, c’est bien de continuer”.

Limiter les voix

Pour Philippe Moreau-Chevrolet, le problème ne vient pas “du style” de Sibeth Ndiaye, mais du dispositif que le gouvernement doit mettre en place pour sa communication de crise. “Y a-t-elle sa place ? Mon opinion est que non”, tranche-t-il.

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La situation a “radicalement changé, mais le gouvernement peine à s’ajuster”, décrit le professeur de communication politique. En temps normal, “les couacs, les contradictions, les gaffes, c’était gérable”, précise-t-il, “aujourd’hui, ce n’est plus possible, les enjeux sont trop importants. Quand une bêtise est dite, les conséquences sont immédiates et lourdes”.

Pour Philippe Moreau-Chevrolet, les voix d’expression doivent être celles du ministre de la Santé, Olivier Véran, du directeur général de la santé, Jérôme Salomon, ainsi que d’Édouard Philippe et d’Emmanuel Macron. Guère plus. “Il n’y a plus besoin, à ce stade, d’avoir un porte-parole du gouvernement. On est dans une situation de crise, il faut que la parole aille à ceux qui sont vraiment capables de la gérer”, insiste-t-il.

La stratégie du gouvernement est, pour l’heure, bien différente. “La parole de Sibeth Ndiaye se démultiplie : dans les médias traditionnels, sur les réseaux sociaux, en conférence de presse”, énumère le cabinet de la porte-parole, “c’est quelque chose de très important”. Au risque, même, d’augmenter les maladresses ?

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