Délai, absence de recherche du patient 0 et aide tardive : récit d'une prise en charge du coronavirus

"Tester, tracer, isoler" : la stratégie du gouvernement pour gérer le coronavirus a quelques failles, notamment liées aux délais.
"Tester, tracer, isoler" : la stratégie du gouvernement pour gérer le coronavirus a quelques failles, notamment liées aux délais.

Pour lutter contre le coronavirus, le gouvernement français a un mot d’ordre - ou plutôt trois : “tester, tracer, isoler”. Mais, comme j’ai pu le constater par moi-même, cette stratégie censée casser les chaînes de contamination n’est pas sans faille.

Tester, tracer, isoler. Voilà la Sainte-Trinité du gouvernement pour tenter de lutter contre le coronavirus, qui revient de plus belle sur le territoire, après une accalmie qui n’aura finalement duré que quelques semaines.

Si l’on en croit Bernard Jomier, médecin et sénateur écologiste interrogé sur le sujet par France Info, la machine n’est pas si bien huilée. “Le ministre s'est concentré sur le nombre de tests en disant voilà, on en fait plus d'un million. Effectivement, on n'a pas vraiment de problème de quantité”, explique-t-il. Le problème, selon lui, c’est que “cette stratégie est mise en échec par le délai de réalisation des tests, mais par les autres étapes aussi”, poursuit-il, toujours sur France Info.

Ce délai, ces étapes, j’ai eu moi-même l’occasion de les expérimenter ces derniers jours. Comme des milliers de Français ces dernières semaines, j’ai été testée positive au Covid-19.

Des tests prioritaires pas si faciles

Tout a commencé le mercredi 30 septembre avec ce qui ressemblait à un simple coup de froid. Deux jours plus tard, le vendredi 2 octobre, j’ai rendez-vous chez ma médecin généraliste. J’ai à peine le temps de dresser la liste de mes symptômes qu’elle m’annonce que je vais devoir passer un test de dépistage du coronavirus. Les informations ne sont guère plus nombreuses : je dois rester isolée en attendant le résultat du test, je ne peux prendre que du Doliprane et dois reprendre un rendez-vous en cas de dépistage positif.

Voici donc que j’entre dans la première étape du plan en trois phases du gouvernement :“tester”. Comme tout le monde, j’ai vu les files d’attente devant les laboratoires à la télévision. Mais j’ai aussi entendu Olivier Véran annoncer, le 17 septembre dernier, que les dépistages seraient facilités pour les personnes prioritaires - notamment celles qui ont des symptômes et des prescriptions médicales.

Mon expérience ne me permet de parler que pour la capitale, mais soyons honnête : à Paris, ce n’est pas vraiment une promenade de santé. Du moins, ça ne l’était pas le 2 octobre dernier. De nouveaux centres ont ouvert depuis en Île-de-France, mais à l’époque, seuls deux proposaient des plages horaires dédiées aux patients prioritaires. Pour le plus proche de mon logement, la-dite plage horaire entre... 13h et 14h. Un peu court pour moi ce jour-là.

J’ai donc poursuivi mes recherches. Sur le site de l’ARS, qui propose un classement géographique des lieux de dépistage, la plupart précisent qu’il faut prendre rendez-vous. Ceux que j’ai tenté d’appeler étaient littéralement injoignables - messagerie pleine, annonce automatique datant visiblement de l’été... Le plus proche de chez moi n’avait, quant à lui, plus de réactif et ne pouvait donc pas faire de test à ce moment-là.

La préparation au “traçage” dès le dépistage

Finalement, après plus d’une heure de prospection, je parviens à prendre rendez-vous pour l’après-midi même dans un laboratoire éphémère, dédié au dépistage du coronavirus. Dès cette étape, je dois fournir de nombreuses informations : mon numéro de sécurité sociale et le régime dont je dépends, une photo de ma carte vitale, le nom du médecin prescripteur, et, bien sûr, mes coordonnées. Voilà qui prépare déjà le terrain pour l’étape numéro deux : “tracer”.

Une fois le prélèvement fait, on m’explique qu’il faudra 24 à 48h pour obtenir les résultats. Mais il est précisé, sur la convocation, que 24h supplémentaires peuvent être nécessaires en cas de vérification.

Ce n’est finalement que le lundi 5 octobre dans la soirée que le biologiste du laboratoire m’appelle, pour me prévenir que mes résultats définitifs ne sont pas encore disponibles mais que je suis positive au coronavirus. L’appel dure à peine plus d’une minute : on me dit simplement de rester isolée et de contacter mon médecin. Même si on ne m’a rien dit en ce sens, c’est le branle-bas de combat de mon côté : je préviens mes cas contacts en remontant à plus d’une semaine.

Le lendemain, je reçois une version écrite du résultat de mon dépistage, qui confirme bien que je suis positive au coronavirus. Comme l’explique l’ARS Île-de-France, lorsqu’un patient est positif, cette information - ainsi que ses coordonnées - sont transmises directement par le laboratoire sur une base de donnée, accessible à la fois par l’ARS et l’assurance maladie pour permettre le traçage.

“Moins de repérage”, le patient zéro oublié

Mercredi 7 octobre au matin, j’ai un nouveau rendez-vous avec la médecin généraliste. Et il est loin de correspondre à mes attentes. Pour avoir travaillé à plusieurs reprises sur le sujet, je ne découvre rien lorsqu’elle m’explique qu’on ne sait pas combien de temps dureront les symptômes. En revanche, sur la question de l’isolement, l’une des trois étapes-clé du gouvernement, elle m’apprend qu’il est désormais seulement de sept jours après le début des symptômes en cas de test positif. Théoriquement, donc, quelques jours seulement après avoir appris que j’avais le Covid-19, je peux à nouveau sortir - puisque mes premiers symptômes ont commencé le mercredi 30 septembre. Par sécurité, la médecin me demande de poursuivre l’isolement jusqu’au week-end. Pour rappel, tout ceux qui ont eu le coronavirus avant le 11 septembre devaient s’isoler 14 jours. Mais ce délai a été réduit par le gouvernement, “sur proposition du Conseil scientifique”.

Autre source d’étonnement de ma part, la médecin ne cherche en aucun cas à savoir par qui j’aurais pu être contaminée et ne me demande pas non plus mes cas contacts. Sur ce point, la CNAM - contactée dans le cadre de mon article - m’explique que, depuis qu’il a été rendu possible, durant l’été, de se faire tester sans prescription médicale, à sa propre initiative, notamment dans les lieux de dépistages collectifs, “les médecins interviennent mécaniquement moins dans le repérage des cas contact, alors qu’à l’origine du dispositif ils ouvraient très majoritairement les dossiers des ‘patients zéro’”.

Comme l’explique le médecin et sénateur Bernard Jomier auprès de France Info, il semblerait donc bel et bien que la quantité l’emporte sur la qualité et que, dans le triptyque “tester, tracer, isoler”, la première action l’emporte largement sur les deux autres.

Une aide bienvenue... mais tardive

Ce même jour du mercredi 7 octobre, dans la matinée, je reçois un appel de la cellule chargée de remonter mes cas contacts. Cela fait donc tout juste une semaine que j’ai développé mes premiers symptômes, et cinq jours que j’ai passé le test. Même si je les avais prévenus moi-même lorsque j’ai su que j’avais le coronavirus, mes cas contacts ont donc continué à vivre leur vie pendant tout ce temps.

Et, une nouvelle fois, je vais être surprise : on ne me demande les noms et coordonnées des personnes avec qui j’ai été en contact... que 48h avant l’arrivée des premiers symptômes. Je ne dois donc remonter qu’au lundi 28 octobre.

Cette fois, la discussion est plus longue qu’avec mes précédents interlocuteurs. Et, outre son rôle dans le “traçage”, la cellule - pilotée par la préfecture et l’ARS, en partenariat avec l’assurance maladie - joue aussi un rôle dans “l’isolement” : on me propose de l’aide pour la partie logistique - avec notamment la possibilité de récupérer des masques à la pharmacie.

Par ailleurs, le lendemain, je reçois un sms de la plateforme Covicontact, un outil développé avec l’AP-HP, qui permet à l’ARS de recenser les besoins des personnes contraintes de s’isoler. Via des CTAI (cellules territoriales d’appui à l’isolement), mises en place avec les préfectures et les communes dans chaque département, les agences régionales de santé répondent aux besoins des malades ou des cas contacts, en proposant “la fourniture de repas, le portage de courses, la distribution de matériel comme des masques ou du gel, mais aussi en offrant un appui à l’hébergement pour ceux qui ne peuvent pas s’isoler, et même un accompagnement social”, me décrit-on. Pour les personnes qui n’ont pas accès à internet, le suivi peut se faire par téléphone.

L’intention est louable et l’aide probablement reçue avec gratitude dans certains cas. Cependant, entre le moment où j’ai passé mon test - et ai donc dû commencer mon isolement - et le moment où ce soutien m’est proposé, il s’est passé cinq jours.

La preuve par l’exemple que la stratégie “tester, tracer, isoler” comporte quelques failles, principalement liées aux délais.

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