"De plus en plus compliqué d'assumer": ces politiques qui choisissent de scolariser leur enfant dans le privé
Aucun des ministres de l'Éducation nationale sous Emmanuel Macron n'aura échappé à la polémique. La nouvelle locataire de la rue de Grenelle est vertement critiquée depuis vendredi pour ses propos fustigeant les heures non remplacées dans le public, qui ont justifié selon elle la scolarisation dans le privé de son fils. Mais au-delà du cas d'Amélie Oudéa-Castéra et de ses précesseurs, le malaise est palpable dans tous les camps politiques.
"L'Éducation nationale, ça ne peut pas être seulement l'idée de se retrouver dans un entre-soi social, entre catégories uniquement les plus favorisées", a ainsi tancé le député socialiste Jérôme Guedj samedi sur France info.
Avant de reconnaître lui-même que son fils "était passé dans le privé un peu plus jeune pour différentes raisons".
Avant Oudéa-Castéra, NDiaye et Blanquer déjà épinglés
Les trois enfants d'Amélie Oudéa-Castéra, âgés respectivement de 13, 15 et 17 ans sont, eux, scolarisés dans le très chic collège-lycée Stanislas, dans le 6ème arrondissement de Paris. L'établissement a été l'objet d'une enquête administrative après un article de Mediapart qui pointait des propos sexistes et homophobes de certains professeurs. Il est régulièrement cité dans les meilleurs trois lycées de France.
Pour justifier son choix, celle qui a hérité d'un portefeuille XXL avec le dernier remaniement a évoqué au micro de BFMTV vendredi "un paquet d'heures" de cours "non remplacés" qui l'ont poussé à mettre son fils dans le privé. Sa version a depuis été contredite par Libération. La ministre, elle, persiste et signe.
Si la nouvelle ministre de l'Éducation nationale patine, elle met ses pas dans ceux de ses prédécesseurs. Après son arrivée au gouvernement en 2022, Pap NDiaye avait été obligé de justifier la scolarité de ses enfants à la très chic École alsacienne. À l'époque, il avait expliqué avoir eu un temps ses enfants scolarisés en REP+ avant de les placer dans le privé.
"Il y a des moments qui, dans le développement de l’enfant, peuvent être compliqués. C’est le choix de parents d’enfants pour lesquels à un moment, les conditions d’une scolarité sereine et heureuse n’étaient plus réunies", s'était défendu Pap NDiaye dans les colonnes du Parisien.
Un classique chez les députés et les ministres
Même topo pour Jean-Michel Blanquer qui avait expliqué sur France 2 en 2018 avoir "trois quart de ses enfants dans le public", sous-entendant que l'un de ses quatre enfants était scolarisé dans le privé.
La liste des ministres de l'Éducation nationale qui ont fait le même choix est longue, de Luc Ferry à Luc Chatel en passant par François Bayrou. Rare locataire de la rue de Grenelle à avoir publiquement assumé de mettre ses enfants dans le public: Najat Vallaud-Belkacem.
Mais le constat n'est pas réservé aux locataires de la rue de Grenelle.
"Soyons honnêtes. Beaucoup de ministres et de députés ont leurs enfants dans le privé, tout particulièrement ceux élus en Île-de-France et y compris à gauche", reconnaît un poids lourd de la macronie à l'Assemblée nationale auprès de BFMTV.com.
"On devrait être exemplaires"
Il faut dire que le profil des élèves dans les établissements scolaires correspondent à celui du monde politique.
Dans les collèges privés, 54 % des élèves sont issus de milieux sociaux favorisés ou très favorisés, d'après des chiffres d'une note du ministère de l'Éducation nationale.
Ces chiffres collent à la sociologie des députés: 70% des députés étaient cadres ou exercaient une profession intellectuelle supérieure (médecin, avocat, notaire, professeur...) avant leur arrivée à l'Assemblée nationale.
Dans cette même étude, le ministère regrettait que cette "ségrégation sociale entre établissements" "renforce les inégalités scolaires" et "soulève un enjeu de cohésion nationale, dans la mesure où elle rend plus difficile la rencontre de jeunes de milieux sociaux différents".
"Tout le monde sent bien que ça devient compliqué d'assumer de mettre ses enfants dans le privé. Les Français ont l'impression qu'on ne veut pas les mettre avec les enfants de Madame et Monsieur Tout-le-monde alors qu'on devrait être exemplaires", reconnaît un député MoDem, dont le fils est lui-même dans le privé.
"On met son enfant dans le privé pour éviter l'école du coin ou faire de l'entre-soi"
L'historien de l'Éducation nationale Claude Lelièvre nuance le constat et rappelle un chiffre: 45% des familles vont être à un moment de leur scolarité dans le privé et à un autre moment dans le public. 50% des familles inscrivent leur enfant dans le public pour toute leur scolarité. Seuls 5% font le choix de l'enseignement privé pour l'ensemble de la scolarité de leur enfant.
"D'une certaine façon, les ministres font les mêmes choix que 45% des familles", remarque ce professeur émérite de l'Université Paris-Descartes.
"Ce qui gêne aujourd'hui, ce n'est pas la question religieuse qui n'est plus au cœur du choix des parents pour le privé mais plutôt celle d'un choix social. Aujourd'hui, on met son enfant pour éviter l'école du coin ou pour faire de l'entre-soi. C'est compliqué à défendre pour un élu de la République", ajoute encore Claude Lelièvre.
"On a tous envie du meilleur pour nos enfants"
Le contexte a également changé. Un classement de l'OCDE a ainsi pointé une baisse "inédite" du niveau des élèves en mathématiques et en français entre 2018 et 2022.
"Ce qui est sûr, c'est qu'on a tous envie du meilleur pour nos enfants. Et parfois malheureusement, ce n'est pas toujours le cas en l'état actuel", de l'école reconnaît un député Renaissance.
De quoi pousser le président des députés macronistes Sylvain Maillard à reconnaître sur Sud Radio qu'il "faut assurer une éducation de haut niveau partout" tout en jugeant que "les parents font ce qu'ils veulent".
Emmanuel Macron qui s'exprimera lors d'une conférence de presse ce mardi soir devrait soutenir sa ministre. Pap NDiaye qui avait tenté de mettre le sujet de l'enseignement privé sur la table en tentant d'avancer sur la mixité sociale en leur sein s'était fait cornaquer par le président.
"Quand vous avez un enfant sur deux qui passe par le privé, on n'attaque pas ce secteur", résume un député macroniste, bon connaisseur du dossier.