"Courageux mais pas aidé": Pap Ndiaye quitte le gouvernement, après un long chemin de croix

Nommé ministre de l'Éducation pour rompre symboliquement avec les années Blanquer, ce spécialiste des États-Unis n'a jamais vraiment eu les mains libres. Dans les rangs macronistes, on reproche à Pap Ndiaye de ne "jamais avoir compris comment faire de la politique".

La fin du calvaire. Le ministre de l'Éducation nationale vient de quitter le gouvernement, remplacé par Gabriel Attal, après des mois très compliqués rue de Grenelle. Si la greffe n'a jamais vraiment prise à la tête de ce maroquin très exposé, la disgrâce de cet universitaire s'est accélérée ces derniers jours.

"Quel gâchis", regrette le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, spécialiste des questions scolaires. "C'est quelqu'un qui a des choses à amener et qui n'a jamais été soutenu par la macronie. Il a mis aussi du temps à faire de la politique."

Des professeurs "braqués" par Blanquer

L'arrivée rue de Grenelle en juin 2022 de cet historien, spécialiste des discriminations raciales et de l'histoire des États-Unis, a pourtant été très étudiée par Emmanuel Macron. C'est lui-même qui propose le poste à celui qui dirige alors le musée de l'immigration à Paris, en complète rupture avec le profil de Jean-Michel Blanquer.

"Le président le choisit pour sa stature intellectuelle, parce qu'il a une vraie réflexion sur ce à quoi doit servir l'école, mais aussi parce qu'il calme les professeurs très braqués par son prédécesseur", décrypte la députée apparentée Renaissance Cécile Rilhac.

Mais très vite, sa nomination agite l'extrême droite. Marine Le Pen le qualifie ainsi de "choix terrifiant pour nos enfants et nos petits-enfants", en remettant en cause ses travaux sur les 'blacks studies' et son soutien à la discrimination positive. De quoi le pousser à soigner sa première apparition médiatique.

"Il a pris le temps de digérer"

Trois jours après sa nomination, il se rend à Conflans-Saint-Honorine,dans l'ancien collège de Samuel Paty, pour échanger longuement, loin des caméras, avec les collègues du professeur assassiné en octobre 2020 par un terroriste. Puis silence radio auprès des journalistes pendant près de trois mois.

"Il a beaucoup échangé pendant l'été, sans le faire savoir. Le but, c'est quand même de montrer qu'on fait le job et ça, il le rate. Il a été blessé par les attaques donc il a pris le temps de digérer", analyse un fonctionnaire de la rue de Grenelle.

Si Pap Ndiaye promet de ne pas multiplier les réformes, après une refonte très contestée du baccalauréat, l'historien tente bien d'imprimer sa patte. Le ministre confirme ainsi le retour d'une heure et demie de mathématiques dans le tronc commun des enseignements de Première dès la rentrée suivante, malgré le scepticisme des proviseurs.

"Comme s'il ne comprenait pas le rapport de force"

Mais sa marge de manœuvre est limitée. Jean-Marc Huart, son directeur de cabinet, est un intime de Jean-Michel Blanquer. Quant à Emmanuel Macron, avec qui Pap Ndiaye effectue un déplacement à Marseille le jour de la rentrée, il ne lui laisse guère d'espace.

L'Élysée a déjà établi lors de la campagne présidentielle de 2022 un programme éducatif bien précis: autonomie de plus en plus importante des établissements fortement incités à "innover" pour décrocher de nouveaux financements, "pacte" avec les enseignants qui vont voir leurs rémunérations augmenter contre des missions étendues, suivi individualisé des élèves...

Ce jour-là dans la cité phocéenne, les choses sont d'ailleurs très claires: le ministre ne prend quasiment pas la parole et laisse le président faire le service après-vente de "Marseille en grand" dans les écoles.

"Il se fait marcher sur les pieds et il ne se dit pas qu'il faut qu'il tape un peu du poing sur la table. C'est fou quand même, comme s'il ne comprenait pas le rapport de force, comment faire de la politique", s'agace un député Renaissance.

L'omniprésente Brigitte Macron

Quant à Brigitte Macron, un temps très proche de Jean-Michel Blanquer, elle ne manque pas d'égratigner elle-même l'ex-professeur d'université. Début décembre, la femme du chef de l'État assure ainsi auprès de L'Obs "ne pas le connaître". L'épouse du chef de l'État et Pap Ndiaye se sont pourtant déjà affichés ensemble.

Contacté par BFMTV.com, l'entourage du ministre évoque alors sobrement "de nombreux déplacements communs" entre les deux figures.

Ce n'est pourtant que le début d'une longue liste d'interventions de Brigitte Macron sur le terrain scolaire. De sa défense du port de l'uniforme à l'école à laquelle s'oppose le ministre à ses propos sur le harcèlement scolaire, la Première dame martèle sa vision de l'éducation.

Au point de parfois se substituer au patron de la rue de Grenelle. Après le suicide de Lindsay, victime de harcèlement scolaire à l'âge de 13 ans, Pap Ndiaye reçoit la famille de la jeune fille. À la sortie du ministère, ses parents se disent "déçus" et dénoncent son manque de "sincérité". Une catastrophe politique pour le ministre qui a pourtant fait du harcèlement scolaire sa priorité.

"Ce qu'a raconté la famille à la sortie du cabinet m'a beaucoup étonné. Je connais l'engagement du ministre et il a forcément été touché par ce drame", avance la députée Renaissance Céline Calvez.

"Il a fendu l'armure, ça n'a pas duré "

C'est finalement Brigitte Macron qui reprend la main deux jours plus tard en recevant elle-même les parents de Lindsay. "On était de maman à maman", raconte la mère de l'adolescente, disant avoir "été entendue, soutenue".

À l'occasion de la mort du jeune Lucas quelques semaines plus tôt, harcelé en raison de son homosexualité, Pap Ndiaye a pourtant ému. Interrogé lors des questions d'actualité au Sénat, le ministre est au bord des larmes, indiquant ne pas avoir "les mots pour dire l'émotion, le chagrin, la douleur".

"Là, je me dis: ça y est, il a compris quelque chose. On a vu la séquence partout sur les réseaux, il a fendu l'armure. Ça n'a pas duré, c'est dommage", juge cyniquement un sénateur macroniste.

"Courageux mais pas aidé"

En attendant, les dossiers n'avancent guère. Seul grand chantier impulsé par Pap Ndiaye lui-même, la mixité sociale des établissements scolaires finit en occasion manquée.

Face à la colère de la droite qui refuse que les établissements privés sous contrat se voient imposer un quota d'élèves d'origine modeste, le ministre annonce "une boîte à outils" pour réduire "la différence de recrutement social entre les établissements d'ici 2027".

Pas question pour la macronie d'ouvrir un nouveau front avec les parlementaires LR dont a besoin la majorité présidentielle au Sénat et à l'Assemblée.

Après la réforme des retraites, l'exécutif veut également éviter de mobiliser les parents d'élèves du privé, gardant dans un coin de la tête les manifestations contre la loi Savary de 1984 qui avait mis très en difficulté François Mitterrand.

"Il s'est engagé sur un sujet très difficile et il n'a jamais été vraiment soutenu ni par la majorité présidentielle ni par le gouvernement. Il a été courageux et on ne l'a pas aidé", regrette la députée Cécile Rilhac.

La polémique CNews pour terminer

"C'est compliqué quand on ne veut pas tomber dans les codes qu'on dénonce en politique. Parce qu'on se rend compte assez vite qu'il faut savoir en faire un peu malgré tout. Sinon, rien ne décolle jamais", ajoute de son côté la parlementaire Céline Calvez.

Depuis cet épisode, les travaux du ministre sont à l'arrêt en dépit de son engagement affiché pour lutter contre l'abaya dans les lycées. Pap Ndiaye a pourtant bien essayé de se projeter vers la rentrée prochaine.

De l'annonce d'un "immense chantier qui va de l'école primaire jusqu'au bac" sur l'orthographe à la question du "décalage des épreuves" du bac, le ministre tente de donner le change devant la commission des affaires culturelles mardi à l'Assemblée nationale.

Mais la polémique autour de médias détenus par l'homme d'affaires Vincent Bolloré semble achever toutes les chances de l'historien de se maintenir à son poste.

"Quand vous regardez CNews, quand vous regardez ce qu’est devenue Europe 1, (...) la conclusion s’impose : oui, CNews c’est très clairement d’extrême droite", lance ainsi le ministre sur Radio J mi-juillet.

"Plus d'intérêt à mouiller le maillot"

De quoi susciter l'ire de la droite, du Rassemblement national et de plusieurs figures des rédactions visées. Si le ministre persiste et signe devant le Sénat et l'Assemblée nationale, aucun de ses collègues du gouvernement ne le soutient. Pire encore, certains n'hésitent pas à publiquement se désolidariser.

"Si je pensais qu'Europe 1 était une radio d'extrême droite, je ne serai pas venu à votre antenne", lance le lendemain le ministre de la Fonction publique Stanislas Guérini, présent dans les studios de cette rédaction.

Emmanuel Macron a beau le défendre en Conseil des ministres en évoquant "la liberté d'expression des Français, y compris des ministres sur la ligne éditoriale", le geste semble tardif.

"Le président n'a plus d'intérêt à mouiller le maillot pour quelqu'un qui sort", décrypte un ancien conseiller du président. "Déjà qu'il le fait rarement alors là..."

Quid de la suite pour Pap Ndiaye? "Je pense qu'il va reprendre l'enseignement. Je le vois bien retourner aux États-Unis. En France, il s'est vraiment trop abîmé", croit savoir un fonctionnaire du musée de l'Immigration.

Article original publié sur BFMTV.com

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