Bruno Retailleau, une semaine à renforcer son rôle de doublure de l’extrême droite
POLITIQUE - Au cinéma, la doublure consiste à remplacer l’acteur d’un film, tout en donnant l’illusion que c’est bien lui qui apparaît à l’écran. Un rôle que Bruno Retailleau applique avec zèle depuis sa nomination, et qu’il a même renforcé ces derniers jours. Le personnage qu’il prolonge n’a pas vraiment de nom. Il se situe quelque part entre Marine Le Pen, Jordan Bardella, Éric Ciotti, Marion Maréchal et Éric Zemmour. Sa mission, en revanche, est limpide.
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Elle consiste à asphyxier le Rassemblement national et ses satellites. Une façon de rappeler que l’exécutif fragile qui soutient François Bayrou ne donne pas uniquement des gages budgétaires au Parti socialiste, mais sait aussi rendre la monnaie régalienne à l’extrême droite. Pour être crédible, le ministre de l’Intérieur, adepte du langage identitaire, n’a pas besoin de surjouer. Il suffit de faire une transgression quotidienne et d’épouser les lubies populistes en vogue dans les médias réactionnaires. Facile en cette période.
Pousser le bouchon
Un jour il prône l’instauration de statistiques ethniques (mais sûrement pas pour corriger les discriminations), un autre il parasite la diplomatie française en jouant la surenchère avec l’Algérie ou se brouille avec le parquet qui dénonce sa communication hâtive sur l’arrestation d’un influenceur algérien. Le même jour, il félicite Alice Cordier, fondatrice du collectif Némésis, une organisation identitaire qui prône la « remigration » et la défense du « mâle blanc ». Il affirme même partager le « combat » de cette militante ultra-radicale qui, selon Libération, a des accointances avec ce que l’extrême droite groupusculaire produit de pire. Probablement conscient d’avoir poussé là le bouchon un peu loin, Bruno Retailleau a plaidé la naïveté sur Europe 1.
« J’ai vu après que c’était une association qui avait des positions très radicales, qui avait très brutalement d’ailleurs, par exemple, attaqué Valérie Pécresse. Et je ne me sens pas du tout proche de cette association en tant que telle », a-t-il assuré ce vendredi 24 janvier, alors que la militante a assuré à BFMTV avoir eu des échanges avec le cabinet du ministre au mois de septembre, au sujet notamment de l’organisation d’une manifestation en hommage à la jeune Philippine. Un drame sur lequel le ministre s’était par ailleurs personnellement investi.
« Populisme crasse »
Dans les milieux identitaires, on imagine ainsi mal le (très informé) ministre de l’Intérieur, ex-bras droit de Philippe de Villiers, ignorer l’existence du collectif et de sa fondatrice, chroniqueuse régulière chez CNews. « S’il ne la connaissait pas, il ne l’aurait pas félicitée », appuie auprès du HuffPost un visage influent de la mouvance. Mais la vraie nouveauté cette semaine, c’est que le ministre de l’Intérieur a joint les actes à la parole. Bruno Retailleau a abrogé la circulaire Valls, en durcissant de manière drastique les conditions d’accès au titre de séjour. Objectif : des régularisations « au compte-goutte » quand la précédente circulaire demandait aux préfets une approche « lucide et équilibrée ».
Député de la Vienne, l’ex-président de la Commission des Lois, Sacha Houlié, s’étrangle. « Quand vous ne trouverez plus personne pour vous soigner, pour s’occuper de vos parents ou de vos enfants, pour vous servir au restaurant ou construire vos routes ou vos maisons, vous penserez au populisme crasse de monsieur Retailleau », a-t-il dénoncé sur le réseau social X. « Ça va trop loin », s’alarme sur TF1 son collègue Renaissance Roland Lescure, estimant que le ministre sombre dans la « caricature ». Bruno Retailleau, lui, bombe le torse et tire vanité de siffler la fin des régularisations « à tour de bras ».
« Il fait plaisir »
Une vision des choses qui tranche avec la réalité. Puisqu’en 2023, 34 724 personnes ont été régularisées (soit une hausse de 0.3 % par rapport à l’année précédente). Mais qu’importe. L’essentiel n’est pas là pour le ministre de l’Intérieur. Il n’hésite d’ailleurs pas à opposer à France 2 sa « réalité » face aux conclusions d’un rapport établi sous l’égide de Matignon, comme le ferait Donald Trump adepte des « faits alternatifs ».
Du miel aux oreilles de l’extrême droite, qui commencerait presque à l’envisager comme une option, alors que l’intéressé s’est hissé à la première place des personnalités politiques préférées par la droite. « Il fait plaisir. Dans les mots et les postures, il est génial en tout cas », nous souffle un artisan de l’union des droites, ironisant sur le slogan « Retailleau 2027 ».
Au sein du Rassemblement national en revanche, on apprécie avec perplexité cette incursion en territoire lepéniste. « Un durcissement sur la politique migratoire est toujours le bienvenu. Après, on jugera aux résultats. On a trop eu l’habitude de se faire avoir par les coups de menton successifs, de Sarkozy à Darmanin, pour savoir que LR reste le parti de la trahison. Chat échaudé craint l’eau froide », observe pour Le HuffPost le député RN du Gard, Pierre Meurin.
Depuis le Palais Bourbon, l’un de ses collègues lepénistes reconnaît toutefois que le positionnement de Bruno Retailleau « doit interroger » au sein du groupe RN, dans la perspective de la présidentielle 2027 : « Politiquement la question se pose. Est-ce qu’il peut nous faire de l’ombre, ou nous faire de la pub ? J’ai tendance à croire que les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie ». Au cinéma en tout cas, c’est rarement la doublure qui récolte la gloire.
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