Black Friday: une campagne pour moins consommer divise le gouvernement entre "fin du monde" et "fin du mois"

Des spots diffusés à quelques jours du Black Friday pour inciter à la sobriété qui divisent au sein même du gouvernement. Ces publicités avaient pourtant été lancées en grande pompe par le ministre de la Transition écologique. Retour sur un couac dans les rangs du gouvernement entre opposants à la consommation tous azimuts et soutien aux commerçants.

"On a un débat fin du monde contre fin du mois avec d'un côté ceux qui disent 'on ne peut plus vivre comme avant' et d'autres qui disent 'j'ai besoin de promos' et 'ça fait vivre l'économie'. Et les deux ont raison", soupire un conseiller ministériel.

"La sobriété" comme "contre-modèle de société"

Christophe Béchu avait pourtant bien cadré sa campagne. Mi-novembre, le ministre de la Transition écologique dévoile ainsi devant des journalistes plusieurs publicités de l'Ademe, une agence de l'État, avec un slogan: "posons-nous les bonnes questions avant d'acheter".

Ce proche d'Édouard Philippe vante l'idée d'un "Green Friday où le récit de la sobriété, de la réparation, du réemploi serait mis à l'honneur comme contre-modèle de société".

Le message est diffusé alors que le Black Friday est régulièrement pointé du doigt pour son coût humain et environnemental, en pleine accélération du réchauffement climatique. Cette journée est celle où l'on consomme le plus dans le monde, entre courses en magasin et commandes sur Internet d'après un rapport de Deloitte.

"C'est le genre de message dont on a besoin"

Preuve que le sujet fait d'ailleurs relativement consensus: le service d'information du gouvernement valide bien ces spots publicitaires, comme le veut l'usage pour toutes les campagnes lancées par des ministères.

"On a voté une loi en faveur de l'économie circulaire. On cherche à atteindre la neutralité carbone. C'est le genre de message dont on a besoin", assène le député Horizons Vincent Thiébaut, membre de la commission du développement durable à l'Assemblée nationale.

Mais pour les commerçants, le message passe mal. L'alliance du commerce qui compte les grandes enseignes de l'habillement dénonce "une campagne inconséquente et injustifiée".

La menace d'une action en justice de la part de fédérations de l'habillement

"Le secteur de la mode traverse ces derniers mois une crise exceptionnelle", souligne l'organisation qui évoque des dizaines de milliers d'emplois supprimés.

Avant de choisir de durcir encore un peu le ton. "Nous demandons son retrait immédiat, faute de quoi nous envisagerons une action en justice pour dénigrement commercial", annonce l'alliance du commerce, l'union des industries textiles et l'union française des industries de la mode.

Après une polémique liée aux titres-restaurants et qui a pu alimenter un éventuel procès en déconnexion, Matignon réagit très vite. Pas question de donner l'impression aux Français que le gouvernement voudrait les empêcher de profiter de réductions en pleine inflation. Consigne est donc passée d'arrêter la campagne de publicité, d'après des informations de RMC.

La guerre Bercy-Écologie, "quelque chose d'assez classique"

Bruno Le Maire en rajoute une couche ce jeudi matin sur France info. Le ministre de l'Économie dénonce une "campagne maladroite" et "pas sympa pour les commerçants".

"On est dans quelque chose d'assez classique finalement avec Bercy qui parle aux entrepreneurs et le ministère de l'Écologie qui parle aux gens sensibles à la cause climatique", décrypte l'ancien ministre de l'Écologie François de Rugy.

"On arrive aux limites de ce qu'on peut faire dans la configuration politique actuelle", analyse de son côté un ancien conseiller de Barbara Pompili, un temps en charge de la Transition écologique lors du précédent quinquennat.

"On n'est pas du tout dans un gouvernement qui défend un changement de modèle économique donc forcément, ça coince si on touche aux grandes entreprises", juge ce bon connaisseur des sujets climat.

"Aucun des spots ne sera retiré"

Manifestement soucieux de garder la main, le ministre de la Transition écologique s'exprime à son tour quelques heures sur France info. Christophe Béchu explique "assumer" cette campagne. "Aucun des spots ne sera retiré", prévient-il et juge que "vu les enjeux de transition écologique", la campagne "n'est pas déraisonnable".

La manœuvre est jugée plutôt habile par un conseiller ministériel.

"S'il n'avait rien dit publiquement, personne n'aurait remarqué la disparition de la campagne. Là, si elle ne passe plus à la télévision, on va se rendre compte qu'elle a été caviardée. Donc, impossible maintenant de s'en passer", souligne-t-il.

Jean-Marc Zulesi, le président de la commission du développement durable à l'Assemblée avance, lui, que Christophe Béchu ne fait que défendre "le projet du gouvernement".

"On n'a pas besoin forcément d'un énième tee-shirt"

"Je pense qu'au sein de la majorité, on est tous d'accord pour dire qu'on doit pouvoir consommer mais mieux. Il y a des habitudes de surconsommation, d'achats dont on n'a vraiment pas besoin et qui doivent évoluer" assène ce député.

"On parle quand même de pubs qui rappellent tout simplement qu'on n'a pas besoin forcément d'un énième tee-shirt. Ça devrait faire consensus."

La production de vêtements a doublé dans le monde entre 2000 et 2014. 2/3 des Français déclarent avoir acheté au moins un vêtement qu'ils n'ont jamais porté, selon un rapport de Greenpeace.

Article original publié sur BFMTV.com