En Arménie, l’aide humanitaire débordée face à l’afflux de réfugiés du Haut-Karabakh

Des réfugiés arméniens du Haut-Karabakh reçoivent une aide humanitaire dans la ville de Vayk, le 2 octobre 2023, avant leur évacuation vers diverses villes arméniennes.
KAREN MINASYAN / AFP Des réfugiés arméniens du Haut-Karabakh reçoivent une aide humanitaire dans la ville de Vayk, le 2 octobre 2023, avant leur évacuation vers diverses villes arméniennes.

INTERNATIONAL - Ces réfugiés arméniens ont conscience qu’ils ne reverront sans doute jamais leur terre. Après une offensive éclair des forces azerbaïdjanaises en septembre, la quasi-totalité de la population arménienne du Haut-Karabakh, soit plus de 100 000 personnes, a fui pour entrer en Arménie. Les associations et ONG sur place sont débordées par cet afflux de déplacés qu’il faut nourrir, reloger, et guérir aussi bien physiquement que psychologiquement.

Dès décembre 2022, les associations humanitaires ont commencé à scruter la situation dans le Haut-Karabakh alors que cette enclave peuplée d’Arméniens a été coupée du monde par le gouvernement de Bakou qui bloquait le corridor de Latchine, unique route permettant l’approvisionnement du Haut-Karabakh depuis l’Arménie. Pendant les neuf mois de ce blocus, la vie pour les Arméniens du Haut-Karabakh s’est dégradée, et ils ont été peu à peu privés de médicaments, d’électricité, d’internet…

Médecins du Monde, l’un des principaux acteurs internationaux présents dans le Caucase du Sud, raconte au HuffPost s’être préparé depuis mars 2023 à une intervention armée de Bakou en Arménie. Mais l’association ne s’imaginait pas que cette offensive provoquerait un afflux migratoire aussi « important » et « brutal ».

Épuisés, affamés, désorientés

Après l’attaque de 24 heures lancée par Bakou entre le 19 et 20 septembre, « tout est allé très vite, et en seulement une semaine la totalité des habitants de l’enclave l’ont quittée pour arriver en grande majorité à Goris (située au sud-est de l’Arménie, dans la région de Syunik, ndlr)», nous explique au téléphone Élise Lesieur, responsable du pôle Europe et Asie de Médecins du monde.

« 100 000 déplacés qui arrivent dans un pays de moins de 3 millions d’habitants, c’est comme si la France accueillait plus de 2 millions de réfugiés en quelques jours », abonde Nadia Gortzounian, présidente de l’Union Générale Arménienne de Bienfaisance (UGAB), contactée par Le HuffPost. « Cet afflux est difficile à gérer, même pour des associations qui connaissent bien le territoire », ajoute celle qui dirige la plus ancienne et grande association de diaspora arménienne, présente dans 40 pays.

« Après avoir traversé le corridor de Latchine, les gens avaient faim, étaient épuisés, totalement désorientés, et certaines familles avaient été dispersées lors de l’exode », décrit Élise Lesieur. Des milliers de déplacés sont aussi arrivés malades, car privés de médicaments depuis le début du blocus instauré par Bakou en décembre dernier. « D’autres souffraient de maux psychologiques. Ils étaient choqués par les bombardements qu’ils avaient subis ou désemparés par ce départ brutal où ils ont tout laissé derrière eux », poursuit la responsable de Médecins du monde.

À Goris, les 100 000 réfugiés ont d’abord reçu des premiers soins d’urgence et ont été accueillis dans des abris collectifs et des chambres d’hôtels réquisitionnées par les autorités arméniennes. Mais rapidement, les places ont manqué. Certains ont alors fui vers d’autres villes, notamment en direction de la capitale Erevan ou de la région de Vayots Dzor, au centre de l’Arménie. En revanche, les plus vulnérables n’ayant ni famille ni amis chez qui se loger, ce qui représente environ 15 000 à 20 000 personnes, sont restés dans la ville frontalière de Goris.

Vers une crise économique et politique en Arménie ?

Contrairement à la précédente guerre entre Bakou et Erevan, dite de 44 jours, en novembre 2020, « les réfugiés ne veulent plus rester à proximité de la frontière, car ils ne se font pas d’illusion sur la possibilité de rentrer chez eux à court terme. La république du Haut-Karabakh a parlé d’une dissolution de l’enclave au 1er janvier 2024, et ils prennent cette annonce très au sérieux », analyse Élise Lesieur.

Parce que les Arméniens du Haut-Karabakh ont conscience qu’ils ne reverront peut-être jamais leur terre, les traumatismes liés à l’exil vont être d’autant plus difficiles à soigner. C’est pourquoi Médecin sans frontière a mis en place un centre d’accueil et d’orientation à Goris, dont l’objectif est notamment de guider les réfugiés vers des travailleurs sociaux et psychologues.

Les deux associations interrogées par Le HuffPost craignent surtout une dégradation de la situation dans les mois à venir. Nadia Gortzounian pointe d’abord le risque de la survenue d’une crise économique, politique et humanitaire en Arménie. De nouvelles infrastructures et des milliers d’emplois devront en effet être créés pour insérer ces milliers de nouveaux arrivants. Un défi bien évidemment colossal pour un pays pauvre.

La présidente de l’UGAB redoute aussi une nouvelle offensive militaire de l’Azerbaïdjan en Arménie. Elle déplore à cet égard le manque de sanction internationale : « La France et l’Europe s’inquiètent et condamnent, il faudrait désormais agir, notamment en arrêtant d’acheter du gaz à l’Azerbaïdjan », poursuit Nadia Gortzounian qui demande enfin la libération des prisonniers politiques arméniens arrêtés au Haut-Karabakh et détenus par Bakou.

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