150 milliards de dépenses supplémentaires d’ici fin 2027 : le Nouveau Front populaire détaille le coût de son programme

Tordre le cou aux accusations d’irresponsabilité financière. Ce vendredi 21 juin, les forces de gauche rassemblées sous la bannière « Nouveau Front populaire » (NFP), ont présenté lors d’une conférence de presse commune une budgétisation globale de leur programme de gouvernement, en cas de victoire aux législatives anticipées.

Depuis plusieurs jours, le sujet monte dans le débat public et la question du chiffrage des promesses de campagne, qui incluent notamment d’importantes mesures en matière de protection sociale ou de hausse des salaires, est devenu l’angle d’attaque privilégié de la majorité présidentielle et du Rassemblement national. Avec des estimations passant du simple à plus du double : 287 milliards selon les soutiens d’Emmanuel Macron, contre seulement 106 milliards pour la députée socialiste Valérie Rabault.

« Nous sommes aujourd’hui la seule force politique à vous présenter un budget avec des dépenses chiffrées année après année », a salué le député LFI sortant Éric Coquerel, ancien président de la commission des Finances, passablement agacé par les attaques des derniers jours. « Gabriel Attal qui s’aventure sur le terrain social, c’est Madoff qui explique aux pauvres que Robin des Bois va leur faire les poches », a dénoncé le sénateur communiste Ian Brossat, avec, en ligne de mire, le dérapage du déficit sur l’année 2023.

« Vous pouvez être crédibles un jour… et puis le Covid arrive ! »

La gauche entend marquer une rupture avec « la politique de l’offre » déployée par Emmanuel Macron et s’appuyer sur une relance de la demande, via « un choc de pouvoir d’achat » : en clair, l’augmentation des salaires, notamment des classes populaires, devrait booster la consommation. « L’Etat ne sera plus le spectateur du laisser-faire et laisser-aller, mais l’organisateur de la redistribution sociale des richesses », explique le sénateur socialiste Alexandre Ouizille.

Aux côtés des élus, plusieurs économistes engagés à gauche : Eloi Laurent, chercheur à l’Observatoire français des conjonctures économiques, Éric Berr, co-responsable du département d’économie à l’institut La Boétie, ou encore Julia Cagé, professeure d’économie à Sciences Po Paris. Manière aussi pour le NFP de défendre sa crédibilité économique. « La crédibilité, il faut l’apprécier en dynamique. Vous pouvez être crédibles un jour… et puis le Covid arrive ! », pointe Eloi Laurent.

Instaurer un ISF qui rapporterait 15 milliards d’euros

En cas de victoire, les mesures d’urgence que compte immédiatement engager le Nouveau Front populaire coûteraient 25 milliards d’euros. Parmi elles : la hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires, la fin de la réforme de l’assurance-chômage, la prise en charge du coût de la cantine, des fournitures scolaires et du transport des élèves de l’école publique et la revalorisation des Aides au logement à hauteur de 10 %. Mais surtout : l’abrogation de la réforme des retraites pour un retour à 62 ans, avant d’engager, d’ici 2027, une réflexion sur la possibilité d’abaisser l’âge légal de départ à 60 ans.

Le NFP compte financer ce premier paquet de mesures par la création de deux impôts, visant « l’argent oisif et improductif de notre pays », selon la formule du sénateur socialiste Alexandre Ouizille. En l’occurrence, l’instauration d’une taxe sur les superprofits, pour un rendement estimé à 15 milliards, et le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). La gauche estime qu’il pourrait générer jusqu’à 15 milliards de recettes, alors qu’il ne rapportait que 4 à 5 milliards au moment de sa suppression en 2017. « La situation des grands patrimoines a évolué. Même si l’on applique la même fourchette qu’en 2017, on aurait des recettes supérieures », justifie l’économiste Julia Cagé.

14 tranches pour l’impôt sur le revenu

« En 2025, nous bifurquons de manière structurelle », explique Éric Coquerel. Le NFP fait correspondre l’exercice 2025 à une première série d’investissements massifs « pour l’égalité, la justice et l’écologie », avec une dépense publique estimée à 100 milliards d’euros en fin d’exercice. Au menu : des embauches massives d’enseignants et de professionnels de santé, avec des revalorisations salariales à la clef, le déploiement d’aides dédiées à la rénovation thermique globale, notamment avec la mise en place du zéro reste à charge, la création de filières de production d’énergies renouvelables et l’introduction d’une garantie autonomie pour les jeunes sous le seuil de pauvreté.

En parallèle, le NFP mise sur l’adoption d’un ambitieux projet de loi de financement pour multiplier les recettes fiscales. La suppression de plusieurs niches « inefficaces, injustes et polluantes », devrait rapporter 25 milliards d’euros. La réforme de l’impôt sur les successions doit dégager 17 milliards, et la suppression de la flat tax 2,7 milliards d’euros. Par ailleurs, la progressivité de l’impôt sur le revenu est remise à plat avec la mise en place d’un barème de 14 tranches et la création d’une CSG progressive, ce qui devrait permettre de dégager 5,5 milliards de recettes fiscales nouvelles.

Taxer les bénéfices des multinationales

Les reformes retenues pour 2027 seront consacrées « à la vie du pays ». « On va s’attaquer à la question du transport ferroviaire et du fret, à l’accès aux services publics dans les territoires, au soutien à l’agroécologie et au recrutement de nouveaux fonctionnaires », résume Éric Coquerel. Le programme du « Nouveau Front populaire » prévoit également de renforcer à hauteur de 2,6 milliards les fonds consacrés à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et de porter à 1 % du PIB le budget de la Culture. Les dépenses publiques supplémentaires pour 2027 devraient ainsi s’élever à 150 milliards d’euros.

Dans le même temps, la politique fiscale qu’entend mener la gauche doit être renforcée par l’application d’un impôt sur les bénéfices des multinationales, et le renforcement de la taxe sur les transactions financières.

Une équation à plusieurs inconnues

« Ce que nous proposons sur la fiscalité revient à dire que les revenus du capital doivent être imposés de la même manière que les revenus du travail », défend Éric Coquerel. « Nos dépenses correspondent exactement aux recettes supplémentaires que nous mettons sur la table », argue l’insoumis. « On met les recettes en face des dépenses, nous n’augmentons pas le déficit. Nous avons même été conservateurs puisque nous n’avons pas pris en compte l’effet d’entraînement sur la croissance », abonde Alexandre Ouizille.

Pour autant, le programme ne prévoit pas non plus de mesures concrètes de résorption d’une dette publique estimée à 3 000 milliards fin 2023. Par ailleurs, la fin de l’exercice 2027 pourrait potentiellement être percutée par la présidentielle. Surtout, certaines dépenses doivent encore être affinées. En effet, le point d’atterrissage d’une nouvelle réforme des retraites et la question du mix énergétique sont renvoyés aux discussions avec les partenaires sociaux, ou aux débats en hémicycle autour d’un texte « énergie climat ».

« En face, il y a des gens qui ont beaucoup d’ambiguïtés », balaye Ian Brossat. « Le RN, sur la question de l’abrogation des retraites, ça n’est absolument pas clair ! Mais évidemment qu’en fonction de l’Etat des finances publiques, on pourra pousser le curseur plus loin, plus vite. »