UFC 295: Benoît Saint Denis, l’agressivité comme limite?

Quelques mots symboles du combattant qu’il est. Début septembre, à l’UFC Paris, Benoît Saint Denis martyrise Thiago Moises tout le premier round avec son style agressif. Mais il prend aussi des coups, 18 significatifs exactement (contre 41 mis) sur cette première reprise. Dans son coin, avant le deuxième acte où son poulain va terminer l’affaire, coach Daniel Woirin prend la parole: "Arrête de te bagarrer! Tu es plus technique que lui! Reste concentré! Les bagarres, il va te toucher à chaque fois!" Bienvenue dans le monde du "God of War" français. Où une de ses principales qualités peut aussi se révéler être un défaut.

>> Vivez le choc Frevola-Saint Denis et l'UFC 295 avec les offres RMC Sport

Benoît Saint Denis, qui affronte Matt Frevola sur la carte principale d'un bouillant UFC 295 ce week-end dans le mythique Madison Square Garden de New York, avec une place dans le top 15 de sa catégorie à l’horizon en cas de victoire, est tout sauf un adversaire facile à gérer pour les autres poids légers (-70 kilos) de l’UFC. Impressionnant physiquement pour la catégorie, ultra agressif dans son striking, l’ancien militaire membre des Forces Spéciales est une galère à préparer pour ses rivaux. Ismael Bonfim en juillet, Thiago Moises en septembre, ses deux derniers adversaires paraissaient abasourdis par l’ouragan qui s’est abattu sur eux dès le début de combat.

"BSD" marche sur la concurrence comme s’il ne la respectait pas (dans le bon sens du terme). C’est son style et ça lui réussit. Mais il y a le revers de la médaille. A force d’avancer et de frapper, encore et encore, Saint Denis s’expose. Pas idéal dans une discipline où un coup bien placé peut tout changer jusqu’à la dernière seconde et où votre corps est un outil de travail à conserver dans le meilleur état possible sur la longueur. "Si vous êtes agressif, que vous avez les mains un peu lourdes et un menton comme Benoît, il y a juste besoin de frapper fort et de ne pas tomber quand vous les prenez", s’en amuse Taylor Lapilus, combattant UFC et consultant RMC Sport.

Sur ses cinq combats à l’UFC, le Français a encaissé 5,27 coups significatifs – ceux qui font le plus de dégâts – par minute. Si on prend le champion (Islam Makhachev) et le top 15 des challengers sa division, une des plus relevées dans la grande organisation de MMA, un seul des seize combattants étudiés dépasse une moyenne de 5: Justin Gaethje, l’ancien champion intérimaire, qui monte à 7,5. Le champion et son prédécesseur, Makhachev et Charles Oliveira, tournent par exemple à 1,27 et 3,19. Et la question de se poser: doit-on voir la chose comme une limite dans la progression de Saint Denis vers son objectif de ceinture UFC?

"Cette stat est due à une seule chose: mon premier combat à l’UFC où j’ai pris énormément de coups au deuxième round, sans tomber d’ailleurs, répond l’intéressé dans Le jour de gloire, le film RMC Sport consacré à son combat contre Frevola. C’est biaisé par ce combat. Il faudrait le faire sur ceux effectués dans ma catégorie, les légers, et on verrait la stat changer." Avec 149 coups significatifs encaissés contre Elizeu Zaleski dos Santos, qu’il avait affronté chez les welters (-77 kilos) pour ses débuts à l’UFC, contre… 49 seulement en cumulé dans ses quatre sorties suivantes dans l’octogone, on comprend l’idée. Mais le débat reste légitime. Contre Gabriel Miranda, lors du premier UFC Paris en septembre 2022, Saint Denis domine largement les débats mais prend tout de même 20 coups significatifs contre 42 mis.

En juillet dernier, à Las Vegas, sa victoire sur soumission au premier round face à un Bonfim lui aussi archi dominé le voit prendre 14 coups significatifs contre… 13 mis (il reste en tête 35 contre 15 sur l’ensemble des coups). Rien de grave quand on connaît sa stratégie qui consistait à gaver le Brésilien de coups de pied, même bloqués, pour détruire ses bras et le couper de cette arme. Mais de quoi s'interroger. Alors, danger ou pas? "Beaucoup de gens le voient comme un potentiel futur champion mais la vérité, c’est que vous ne pouvez pas prendre la défense aussi peu au sérieux et espérer devenir challenger pour le titre, estime Luke Thomas, journaliste américain spécialisé. Vous ne pouvez pas avoir une défense aussi poreuse et devenir champion dans cette catégorie. Ça n’arrivera jamais! Certains disent que Gaethje fait pareil. Mais il n’a remporté qu’une ceinture intérimaire, pas une ceinture incontestée, et le symbolique titre BMF, même si ça reste une très belle carrière."

Ancien champion des plumes (-66 kilos), Max Holloway a aussi cette tendance à prendre des coups pour en mettre plus avec une moyenne à 4,75 par minute. Ce qui ne l’a pas empêché d’aller jusqu’au titre. Différence? Holloway comme Gaethje présentent une meilleure capacité à éviter ces coups significatifs malgré ces stats avec respectivement 59 et 53% de réussite en défense contre 44% pour Saint Denis. Dans les sommets du classement, ça pourrait avoir des conséquences négatives. "C’est un gros défaut et Daniel Woirin en est conscient, appuie Cyrille Diabaté, ancien combattant UFC et fondateur de la Snake Team. Il faudrait qu’il puisse développer une meilleure défense tout en étant aussi agressif. (…) Ça ne m’étonnerait pas que l’odeur du sang fasse partie des trucs qui l’excitent. Malheureusement, pour certains adversaires de très haut niveau, j’ai peur que ça ne passe pas."

Garder le côté bagarreur qui fait sa force sans aller trop loin et prendre trop de risques. Une équation pas facile à résoudre. Mais son coach est là pour le guider. "Benoît aime bien se bagarrer, constate Daniel Woirin dans le RMC Fighter Club. Dans le combat, tu vas prendre des coups quoi qu’il arrive. Mais à un moment, il faut qu’il fasse attention. Tu n’es pas à l’abri d’un contre. Quand tu rentres dans la moyenne distance et que tu commences à mouliner, l’autre est ouvert mais toi aussi. Et c’est le premier qui touche bien qui gagne le combat. Au Brésil, ils disent que c’est la loterie. C’est intéressant sur deux-trois coups, mais il ne faut pas rester trop longtemps. Quand il va commencer à monter vraiment de niveau, il va falloir qu’il fasse très attention car les gars sont beaucoup plus précis et tapent beaucoup plus fort. Ils ont l’œil. Pour passer des caps, il va falloir travailler là-dessus. Mais Benoît est encore un combattant jeune. Il n’a que treize combats. Il est en apprentissage et il va s’améliorer."

Woirin, qui a fait appel lors du camp de préparation pour Frevola au Cubain Luis Mariano Gonzalez – connu pour son travail avec l’équipe de France olympique de boxe – pour travailler sur la distance, l’évitement et les esquives tout en frappant, reconnaît qu’il faut encore affiner la machine. Sans lui faire perdre son moteur mais avec aussi l’esprit tourné vers l’après-carrière. "Beaucoup prennent Benoît pour un bourrin mais ce n’en est pas un du tout. C’est quelqu’un de très technique mais il a des phases où il aime bien se tester. Est-ce qu’il peut aller au bout comme ça? On connaît plusieurs exemples. Mon objectif, ce n’est pas de dénaturer Benoît. Son agressivité, il va la garder. Mais on va essayer de corriger ce côté rentrer dans la bagarre, de le travailler autrement pour ne pas qu’il prenne beaucoup de dégâts. Il faut aussi penser à sa reconversion. Ce n’est pas bon de prendre des coups dans la tête, le cerveau n’a pas été fait pour prendre des dommages comme ça, donc il faut travailler intelligemment."

Le combat face à Frevola sera l’occasion de tester son évolution sur ce plan. Lui aussi agressif, capable d’éteindre la lumière adverse très vite, l’Américain représente pour beaucoup de spécialistes la promesse de "guerre" face au Français. Mais ce n’est pas forcément la chose à faire. "J’ai dit à Benoît: ''Ne rentre pas dans ce jeu-là, tu as beaucoup plus de techniques, plus d’armes. Lui, c’est ce qu’il veut, il veut t’amener là, mais on n’y va pas'', raconte Woirin. Sans rentrer dans les détails, on ne veut pas aller là. Ce serait descendre Benoît au niveau du gars. C’est un combat très dur, on ne sait pas comment ça va se passer, mais c’est justement pour ça qu’il faut rester concentré."

Ce qui n’empêche pas de bosser l’idée de baston à l’entraînement. "La bagarre, elle arrive, donc il faut savoir absorber les coups et se bagarrer, pointe son coach. On fait des thématiques comme ça, des bagarres très courtes, pour ne pas que le combattant soit surpris si ça arrive en combat. Il faut aussi travailler ses phases, savoir encaisser et frapper en même temps. Mais l’objectif n’est pas de rester dans la moyenne distance pour prendre des gros coups." La conclusion revient à Benoît Saint Denis et résume peut-être tout: "Le mec qui m’éteindra un jour n’est pas encore né!" Le style "BSD" a ses défauts. Mais tant qu’il n’aura pas trouvé de répondant suffisant en face, il passe étape après étape sur la route du Graal de la ceinture UFC.

Article original publié sur RMC Sport