Rivalité, dénonciations et ramadan... Dans les coulisses du dossier Christophe Galtier

À la lecture des onze pages du compte rendu d’enquête, auquel RMC Sport a eu accès, la situation ne semble pas clairement établie autour de cette affaire de harcèlement et de discrimination impliquant l'ancien entraîneur de l'OGC Nice Christophe Galtier. Parole contre parole.

Pendant un peu moins d’un an, les enquêteurs de la Police Judiciaire niçoise ont réalisé 78 procès-verbaux et entendu huit joueurs pour éclaircir ce dossier. Sous la conduite du Procureur de la République adjoint, Jean Philippe Navarre, les policiers ont écouté toutes les versions. Depuis le début de cette affaire, Christophe Galtier nie en bloc l’ensemble des faits qui lui sont reprochés.

"Fort avec les faibles et faible avec les forts"

Lors de son audition à son domicile, le 4 mai 2023, Julien Fournier va revenir sur cette histoire qui le lie à Christophe Galtier. Devant les enquêteurs, l’ancien directeur général des Aiglons va confirmer avoir écrit le courriel, dévoilé par RMC, et qu’il avait envoyé le 23 mai 2022.

"Ce mail a failli ne jamais exister, confie le dirigeant aux policiers. J’ai compris que j’allais quitter mes fonctions. Dave [Dave Brailsford, directeur du sport chez Ineos, ndlr] me dit: 'Il y a plus grave que de tenir ces propos. Plus grave, c’est de ne pas les dénoncer'. Sans cette phrase, il n'y a pas de mail".

Son argumentaire ne s’arrête pas là sur Christophe Galtier, qu’il considère comme "fort avec les faibles et faible avec les forts". Et d’ajouter: "Le racisme de Christophe Galtier a transpiré quotidiennement tout au long de la saison. C’était insupportable pour moi". Celui qui est à l’origine de cette affaire ne garde pas du tout un bon souvenir de sa collaboration avec le technicien.

"Considération professionnelle car c’est un bon entraîneur, mais humainement je n’en ai pas", ajoute-t-il.

Le directeur du football dément être à l’origine de la fuite du mail dans plusieurs médias et ajoute qu'il s'agissait d'un brouillon conservé dans sa boîte mail. L’homme de 49 ans revient ensuite sur la réunion du 31 mars 2022 centrée sur la composition de l’effectif 2022-2023 des Aiglons. "J’ai demandé à Christophe qui il ne voulait pas garder et il a souhaité barrer de la liste Atal, Gouiri, Lemina, Rosario, Todibo, Brahimi et Boudaoui. Il s’agissait d’une réunion purement sportive avec mon entraîneur et il m’a dit: 'Julien, tu n’as toujours pas compris. Moi, je ne veux plus de noirs, ni d’arabes'".

Julien Fournier affirme ainsi que Christophe Galtier a voulu se débarrasser de "sept joueurs musulmans". Une liste qui ne sera pas confirmée par d’autres personnes lors des auditions. Les enquêteurs surenchérissent et demandent pourquoi le directeur du football n'a pas dénoncé ces propos à ce moment-là. "Pendant cette réunion, j’ai été faible car nous étions en difficulté sportive. Je ne voulais pas rajouter de la tension. C’est mon rôle. Je me suis écrasé", confie Fournier qui affirme que Bob Rattcliffe était au courant de tous les échanges.

Galtier dit avoir "toujours respecté ses joueurs"

Entendu dans les locaux de la PJ de Nice lors de sa garde à vue de 9h40 à 17h30, le 30 juin 2023, Christophe Galtier va livrer sa version de l’affaire. Dès le début, le technicien fait comprendre aux enquêteurs que Julien Fournier voulait "lui nuire" pour ne pas perdre son poste à l’OGCN. L’ancien coach du PSG, aujourd’hui entraîneur au Qatar, rappelle ses quinze ans de carrière et son titre de champion de France avec le LOSC, où six joueurs musulmans figuraient dans son effectif.

"J’ai toujours respecté mes joueurs, quelles que soient la race, la couleur, la religion et l’orientation sexuelle", explique-t-il.

Avant d’affirmer qu’il "paie très cher les mensonges de Julien Fournier", trois mois "sans vie de famille avec des gardes du corps". Pour lui, toutes les accusations sont fausses. Les enquêteurs ont aussi fouillé l’ordinateur portable du technicien, sans jamais rien trouver.

Rivère, le troisième homme

En revanche, un acteur de ce dossier va se montrer bien plus flou devant les enquêteurs lors de son audition le 26 juin 2023: Jean-Pierre Rivère, le président de l’OGC Nice. Son idée principale qu’il diffuse auprès des policiers: il ne veut pas se mêler du quotidien au club. "JPR" rappelle ces "deux forts egos" en tension permanente et le fait qu’il ne souhaitait pas recruter Galtier. Il décrit Julien Fournier comme "un homme buté et fermé" tout en expliquant que son ancien directeur "aime bien prendre des notes et monter des dossiers".

"Ce qui me dérange, c’est que quand Julien Fournier a compris qu’il allait perdre son poste et que Christophe Galtier en étant, selon lui, le responsable, complète Rivère devant les enquêteurs. Il a décidé de le tuer professionnellement".

Un autre dirigeant des Aiglons va passer devant les enquêteurs, Dave Braislford, directeur du sport chez Ineos, propriétaire de l’OGCN. Lui aussi reconnaît une "relation toxique" entre les deux hommes dès mars 2022, une relation qui est "devenue houleuse au fil du temps". "Je lui [Julien Fournier, ndlr] ai dit qu’on allait se séparer de lui pour la saison prochaine, tout en profitant de son expertise pour le mercato", explique Dave Braislford. Tout en questionnant les enquêteurs.

"Pourquoi Julien Fournier n’a pas dit immédiatement ce qu’il a écrit plus tard?" s'étonne-t-il.

Pourtant très présent dans les coulisses du club, le dirigeant confie qu’il n’a pas "remarqué de changements significatifs" pendant la période. "Aucun autre club n’a eu de problème avec Christophe Galtier (…) On aurait eu du mal à ne pas le savoir", complète-t-il.

Digard veut laisser Galtier se défendre

Comme beaucoup de personnes dans ce dossier, Didier Digard explique qu’il a eu des "échos" des dires prêtés à Christophe Galtier. L’ancien coach des Aiglons se sent victime des propos qu’aurait tenus l'ex-entraîneur niçois. Les enquêteurs le relancent: "Quel crédit donnez-vous aux accusations de discrimination?" Didier Digard répond: "Je fais confiance à Julien Fournier mais pour avoir un avis définitif, j’aurais besoin d’avoir des explications avec Christophe Galtier (…) C’est triste et c’est la part d’incertitudes qui ronge, même si on m’a rapporté beaucoup de choses par des gens présents. Tant que je n’aurai pas les propos de coach Galtier, je ne serai pas à l’aise avec cela. J’ai besoin qu’il puisse se défendre".

Didier Digard va pourtant être au cœur d’une autre audition. Celle de Fréderic Gioria, entraîneur adjoint, proche de Julien Fournier et légende des Aiglons qui a entendu pour la première fois cette affaire lors du passage de Julien Fournier dans l’After Foot sur RMC en septembre 2022 où l’ancien directeur sportif lâche cette fameuse phrase:

"Si j'explique les vraies raisons, il n'entre plus dans un vestiaire en France et en Europe".

Devant les enquêteurs de la PJ niçoise, Gioria ne sera pas tendre avec Christophe Galtier. Il rapporte ainsi aux enquêteurs cette phrase qu’aurait prononcée le technicien: "On fait tout pour eux, c’est un scandale". Christophe Galtier aurait fait référence à la mise en place d’une organisation afin de permettre aux joueurs respectant le jeûne du ramadan de pouvoir petit-déjeuner avant le lever du soleil. Un non-respect des consignes qui aurait déçu Christophe Galtier qui aurait complété ces propos par: "De toutes les façons, il [Hicham Boudaoui, ndlr] ne jouera pas. Digard, il va entraîner tout le monde dans sa religion".

L'ex-capitaine de l'OGC Nice explique aussi que Christophe Galtier aurait dit que "le pire, ce sont les Algériens". Des propos niés par Christophe Galtier. Mais Fréderic Gioria ne s’arrête pas là, il affirme que Christophe Galtier a traité Youcef Atal et Hicham Boudaoui, deux joueurs algériens, de "sales types".

"Christophe Galtier aurait aimé ne pas avoir de musulmans dans l’équipe. Il ne me l’a pas dit mais on sentait qu’il était irrité par cela", explique-t-il aux enquêteurs.

Personne ne va toutefois confirmer ces propos dans le staff des Aiglons. Fréderic Gioria va aussi échanger avec Julien Fournier. "Julien Fournier m’a dit que lui aussi avait eu à entendre les mêmes choses de la part de Christophe Galtier", explique-t-il devant les enquêteurs. Et de terminer : "C’est la première fois que je vis une période de ramadan avec une telle violence. C’était pesant. On ne parlait presque plus de football mais que du ramadan".

Mais d’où vient cette brouille entre Fournier et Galtier?

Selon Jean-Pierre Rivère, un dossier a cristallisé les tensions, celui de Billal Brahimi lors du mercato de janvier 2022. Christophe Galtier aurait souhaité quelqu’un de "plus expérimenté que lui", selon le président du club. Une impression confirmée par un autre membre de la direction: "Christophe Galtier a juste émis des réserves sur son niveau de performance".

Christophe Galtier approuve, cette opposition n’était pas "une question de religion". Julien Fournier reconnaît que Galtier n’a pas bien accueilli Brahimi pour une question sportive. Tout en répondant à cette question: "Christophe Galtier a-t-il pu faire pression sur la direction pour embaucher des joueurs en fonction de leur religion et de leur race?" "Oui, j’en suis sûr", affirme l’ancien DS des Aiglons. Et d’ajouter:

"Quand il sort Brahimi du groupe, Christophe Galtier envoie un message aux musulmans du vestiaire".

Frédéric Gioria va plus loin. "Il ne le voulait pas en ciblant sa religion", affirme l’adjoint. "Encore un musulman, je n’en veux pas, on en a assez", aurait même lâché le technicien principal selon Gioria. À partir de cet instant, les relations seront plus difficiles entre les deux hommes forts du club.

"Deux gamins dans une cour d’école, explique Jean-Pierre Rivère. L’ego paupérise l’intelligence", regrette le président de l'OGC Nice.

Le ramadan, point de crispation ultime

C’est l’un des grands sujets évoqués dans plusieurs auditions. La gestion du ramadan par Christophe Galtier. "Dans sa manière, il a fait comprendre que si certains joueurs jeûnaient, ils ne joueraient pas, explique Hicham Boudaoui. Je me sentais mal à l’aise pendant le ramadan à cause du coach". Jean-Clair Todibo complète: "Je ne souhaite pas parler de ma religion avec Christophe Galtier car il ne la maîtrise pas. Mais j’accepterai les critères objectifs de la performance sportive". L’international français explique qu’il dispose d’un cuisinier personnel en relation avec la nutritionniste. Le défenseur, qui n’a pas porté plainte, se dit victime de Christophe Galtier, mais n’a pas été privé de temps de jeu. Todibo explique qu’il a de très bonnes relations avec Julien Fournier et une "relation normale de coach à joueur", avec Galtier. Ce dernier, selon lui, "a fait pression pour casser le jeûne".

Des propos similaires seront tenus par Hicham Boudaoui devant les enquêteurs. "Julien Fournier m’a fait passer le message de Christophe Galtier: 'soit tu manges, soit tu ne joues pas'. Mais comme il n’a pas eu le choix, il m’a fait jouer. J’ai dit à Julien Fournier que j’allais partir en fin de saison. Je me sentais blessé, complète le joueur (...) Oui le coach mettait la pression. Il avait peur de perdre et pensait que si on jeûnait, on ne serait pas performants. Moi, j’ai été très performant. Ce n’est pas une explication". Pour lui, l’attitude du coach a "mis un malaise général".

La nutritionniste du club défend Galtier

Durant cette période de ramadan, Christophe Galtier explique qu’il y avait une troisième place à défendre et que son obsession était "la crainte d’une blessure". "Notre préférence aurait été de convaincre les joueurs de ne pas faire le jeûne s’ils n’avaient pas eu de convictions fortes, mais une fois que les joueurs manifestent leur volonté de le faire, il fallait qu’on accepte", commente Dave Braislford, directeur du sport chez Ineos.

"Le ramadan est géré avec beaucoup de respect, avec la recherche de la performance. Jamais de connotations racistes", complète Thierry Oleksiak, l’entraîneur adjoint historique de Galtier.

Une autre personne va défendre Christophe Galtier sur ce sujet, la nutritionniste du club, Camille Rombaut, en première ligne sur ce sujet hautement sensible. Elle affirme qu’il n’y avait pas de pression mais des discussions sur ce sujet. "Le ramadan est évoqué pour les performances sportives et les conséquences médicales". Elle affirme qu’elle n’a pas "entendu, ni vu" Christophe Galtier en train d’essayer de convaincre Jean-Clair Todibo de manger ou de s’hydrater. Sur les accusations de Julien Fournier, elle ajoute: "Je n’ai pas l’impression que ce soit vrai. Pour moi, c’est la performance qui est son quotidien".

D'autres scènes racontées par des joueurs

Jean-Clair Todibo affirme devant les enquêteurs qu’il a appris "par des personnes interposées" qu’il aurait été traité de 'salafiste et d’extrémiste' par Christophe Galtier. Devant les enquêteurs, Christophe Galtier est aussi revenu sur le message du 18 avril, envoyé à Julien Fournier en plein ramadan, pour commenter la "tenue traditionnelle" de Jean-Clair Todibo.

"Ce n’est pas sa tenue, mais le retard. Il arrive à 10h22 au lieu de 9h45", a expliqué le technicien devant les enquêteurs pour justifier le message.

Enfin, Hachim Ali Mbae, ancien analyste vidéo du club, raconte une autre scène lors de la mi-temps d’un match entre Saint-Étienne et Nice. "Laisse Andy se battre avec les deux King Kong", aurait dit Galtier en parlant de Harold Moukoudi et Mickaël Nadé. Avant d’ajouter à son témoignage: "Toutes les personnes présentes au vestiaire ont assisté à cette scène. Chacun a sa sensibilité, certains peuvent le prendre à la légère mais pour moi, ce sont des propos qui n’ont pas lieu d’être", explique ce chargé de la vidéo. Qui complète: "Au départ de la saison, les joueurs ont adhéré à la méthode de travail de M. Galtier. C’était difficile mais les résultats étaient positifs. En seconde partie de saison, il avait une grande partie du vestiaire contre lui".

Il y a quelques jours sur RMC, Andy Delort, ancien joueur de l’OGC Nice et présent le soir des faits présumés dans le vestiaire, a pris le contre-pied en affirmant qu’il n’avait jamais entendu ces propos.

Galtier risque 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende

Lors des auditions, un policier a posé cette question: "Pourquoi tous ont ressenti sans dénoncer et porter plainte?" "C’est l’omerta et c'est pour éviter de mettre la carrière en jeu", explique un joueur face aux enquêteurs. Un dossier où chacun contredit la parole de l’autre, où la guerre Fournier–Galtier fait rage et sans preuve matérielle importante.

Ce vendredi, Christophe Galtier va donc comparaître des chefs de harcèlement moral et de discrimination à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée. Cette enquête avait été ouverte sans plainte par le Parquet de Nice après les révélations sur RMC Sport. Pour les faits qui lui sont reprochés, le technicien risque trois ans de prison et 45.000 euros d’amende.

Article original publié sur RMC Sport