Ligue 1: mercato, Textor, communication... le jeu des sept erreurs qui plonge l’OL vers le bas

Même si elle n’est pas responsable de tout, la manière avec laquelle John Textor dirige le navire OL interpelle. En rupture totale avec la gestion de Jean-Michel Aulas, elle mène le septuple champion de France à la dernière place de la Ligue 1 au bout de 7 journées. Ou comment le distanciel, l’absence d’incarnation sportive, un mercato peu convaincant - entre autres – montrent leurs limites dans une impréparation et improvisation remarquées à tous les étages. Il faut vite changer des choses, sinon le Groupama Stadium pourrait d’abord gronder ; puis s’habituer à recevoir des équipes de Ligue 2 en 2024-2025.

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Un chef absent physiquement

Quand le staff en transition (Vulliez, Bréchet, Anderson et Vercoutre) prend ses fonctions le mardi 12 septembre au matin, pas un dirigeant ne présente les nouveaux entrants. Et surtout, la méthodologie choisie par le boss pour trouver un successeur à Laurent Blanc, explique John Textor. Pire, par sa présence pour venir saluer ses futurs ex-hommes, Laurent Blanc est la seule personne physique qui évoque, les yeux dans les yeux, aux Lyonnais, son départ par accord amiable. La seule voix officielle venant des bureaux sera donc passée par les pushs des médias, qui annoncent le divorce entre le champion du Monde et le club, puis par le communiqué, transmis par X (ex-twitter).

Un détail ? Pas tant que cela tant qu’il concrétise, ce que les joueurs ressentent au fil des jours : une forme d’abandon de la part du général en chef, qui laisse ses troupes traverser les épreuves sportives, pendant que sur ses réseaux sociaux, John Textor partage à foison, des stories (souriantes) des succès de Botafogo et/ou de Molenbeek. Et pendant, aussi, sur cette période précise, qu’il multiplie les visios (voire un déplacement en Autriche) pour les entretiens d’embauche de potentiels successeurs au champion du monde 1998. Loin des yeux, loin du cœur. Loin des yeux, loin des problèmes que les joueurs et les staffs (hier celui de Laurent Blanc, aujourd’hui celui de Fabio Grosso et au milieu, les techniciens lyonnais à la barre pendant une semaine) affrontent, eux, en présentiel, sans une forme de protection présidentielle.

Président et patron du sportif

Poursuivant une tradition maison, que seuls les intermèdes de Claude Puel (en 2008) et Juninho (en 2019) pour quelques mois à chaque fois contredisent, John Textor ferme rapidement la porte à l’arrivée d’un directeur sportif. Il souhaite, comme Jean-Michel Aulas, cumuler officieusement ce rôle avec celui de propriétaire et de patron (sachant) du sportif. John Textor prend ainsi très souvent, conseil auprès de Dougie Freedman, le directeur sportif de Crystal Palace, qui d’abord l’oriente vers Matthieu Louis-Jean, en poste à l’OM.

Les deux se connaissent de leur carrière de joueur, commune à Nottingham Forest à la fin du siècle dernier. Freedman conseille aussi l’homme d’affaires américain sur Ainsley Maitland-Niles, en fin de contrat à Arsenal. Son atout principal ? Il était quelques mois auparavant sur les tablettes de Palace. Il n’a guère convaincu Laurent Blanc. Et Fabio Grosso ne l’a pas utilisé face à Reims. Comme Duje Caleta-Car, il sort d’une saison ratée à Southampton, le club finissant dernier de la Premier League.

Un mercato pas convaincant

Deux joueurs (Maitland-Niles et Caleta-Car) arrivés cet été, ont donc connu la descente en mai 2023. Mama Baldé a lui aussi bataillé dans deux clubs (Dijon en 2021 et Troyes en 2023) qui ont pris l’ascenseur pour rejoindre la Ligue 2. Certes, ses statistiques de la saison dernière (12 buts et 3 passes décisives) le font émerger dans l’équipe de l’Aube, mais il signe à l’OL avec ce double souvenir dans la tête et dans les jambes. A ce trio forcément marqué par les échecs, le nouveau board fait signer Ernest Nuamah. Très jeune (20 ans), mais aux statistiques de dribbles et de buts réussis dans le championnat du Danemark, qui affolent les réseaux sociaux, le Ghanéen peine à confirmer et à trouver sa place.

Un autre (encore plus jeune), Diego Moreira (19 ans), débarque dans les dernières minutes du mercato 2023 sur avis de son agent, Jorge Mendes qui vient de faire affaire avec John Textor pour le transfert de Bradley Barcola au PSG. Quant au recrutement de la "sentinelle" demandée par Laurent Blanc, Paul Akouokou, il se fait alors que le départ de l’entraîneur est dans les tuyaux. De plus, l’Ivoirien, en position de force au moment de parapher son contrat, signe un long bail, jusqu’en juin 2027. L’inconnue sportive se double d’un pari économique comme ont pu l’être d’autres arrivées, en mode "panic buy". Les erreurs d’hier se reproduisent malgré le changement de caps "d’une cellule de recrutement moderne et de son temps."

Seul Clinton Mata, cible de longue date de la cellule de recrutement de l’OL, donne satisfaction. Son CV de cadre à Bruges, présenté dès le printemps a été validé par John Textor, qui a écouté ses techniciens. Impossible toutefois de ne pas créditer les nouveaux décideurs sportifs d’une difficulté de taille: l’encadrement du recrutement et de la masse salariale. De l’explication à l’excuse, la frontière est mince dans un contexte d’ère économique post-JMA pas simple à décrypter tant la théorie de l’héritage peut s’entendre … ou pas !

Les allers et venues entre les clubs de la galaxie Eagle

Jeffinho restera le premier de cordée de l’ère "clubs en multipropriété" portée par John Textor, "exfiltré" de Botafogo pour venir dans l’autre club de la galaxie Eagle Football. Il cumule à ce jour 114 minutes de jeu, sans but et sans passe décisive avec une seule titularisation. Clairement, c’est un échec alors que les techniciens de l’OL à l’époque avaient d’autres attaquants dans leurs dossiers. Mais le poids présidentiel avait (déja) prévalu.

Jake O’Brien, jeune défenseur irlandais de... Molenbeek arrive à Lyon quand il faut muscler l’assise arrière. Mais il devra cravacher pour obtenir une place de titulaire, lui l’habitué au deuxième niveau du championnat belge, dont s’est extrait Molenbeek en juin 2023. Et Claudio Caçapa, entraîneur adjoint de Laurent Blanc au début de la préparation, ira jouer les pompiers à Botafogo, avant de prendre les rênes de Molenbeek en juillet. Le staff perd un repère important et s’en trouve, fragilisé car à tout moment, l’un des leurs peut être "prêté" à une autre entité sans avoir le temps de préparer ses valises !

Tout cela rend peu lisible le ligne directrice du recrutement, surtout quand le montage de l’arrivée d’Ernest Nuamah est détaillé: il est acheté par... Molenbeek avant d’être prêté à l’OL. Afin de contourner les mesures de la DNCG ? Une situation que la FIFA va surveiller en ouvrant prochainement une "information de suivi" afin d’éclaircir les circonstances de son arrivée à Lyon suivant les informations de nos confrères de l’Equipe.

Incarnations présidentielle et sportives invisibles

Certes, John Textor nomme Santiago Cucci en juillet, comme président exécutif "par intérim", détaché de la structure Eagle Football qui chapeaute l’OL. Mais en parallèle de sa mission où il doit monter au front sur la DNCG, notamment, son patron poursuit son active recherche d’un PDG, "qui a ses racines et ses attaches ici", dit-il le 9 mai. Des "CV" de personnalités lyonnaises ayant des habitudes de travail avec des sociétés internationales ou à des postes clefs du sport français arrivent sur la table d’un cabinet américain de chasseurs de tête. Les candidats n’ont pas eu de suite à leurs entretiens. Pourtant, cette présence rassurerait le microcosme lyonnais, qui vit de rumeurs et au rythme des rares interviews données par John Textor. La dernière en date au Financial Times, où il est question de céder entre 40 et 100% des parts de l’OL dans la future Arena qui jouxte le stade, fait jaser jusqu’au plus haut sommet de la Métropole.

Quant au statut de Sonny Anderson, revenu au club en février et dans le staff lors de la période de transition de mi-septembre, il piaffe d’impatience de pouvoir aider "son" club. Avec John Textor, il s’est entendu autour d’une collaboration plus prononcée qu’un simple "conseiller à la présidence". Il faut passer à l’étape suivante d’une vraie annonce. Elle tarde à venir. Elle est urgente à prendre pour aider Fabio Grosso, qui ne pensait pas le chantier de la reconstruction aussi immense. Le match à Brest (défaite 1-0), malgré une semaine correcte et prometteuse de travail lui a vraiment ouvert les yeux sur le niveau réel de son groupe, qui plus est, avec les doutes accrochés aux crampons. D’autres anciens se lamentent du gâchis en cours, sans pouvoir intervenir, sauf à évoquer des pistes sur une boucle WhatsApp intitulée, "Sauvons l’OL."

Les mauvais timings à gogo

A l’image du débarquement du 5 mai au soir de Jean-Michel Aulas, John Textor tâtonne dans la gouvernance alors que dans sa tête, travailler avec l’emblématique bâtisseur du club revêtait de la logique. Tout comme est devenue "obligatoire" son éviction, tant les relations entre les deux hommes se sont dégradées à vitesse grand V au cours de l’hiver. Pris de court – mais peut-être aurait-il dû attendre d’avoir un plan B avant de renverser la table - il mettra plus de deux mois – nomination le 13 juillet de Santiago Cucci – pour placer un référent de sa politique. Et encore, il l’est "par intérim."

Avec le même sens de l’improvisation et de l’impréparation, John Textor laisse les rumeurs se répandre au sujet de Laurent Blanc en qui il a "confiance", en mai 2023 lors de sa conférence de presse post-limogeage de JMA. Il ne sait pas à l’époque que dans le foot français, l’utilisation de cette formule flèche la sortie dudit entraîneur. N’aurait-il pas fallu opérer le changement dès juin 2023 afin de laisser un technicien "Textor compatible" préparer sa saison ? De plus, le feuilleton du remplacement du "Président" livre quelques épisodes désordonnés : Blanc assure la première semaine de trêve internationale de septembre, donne rendez-vous à ses joueurs au lundi suivant tandis que John Textor demande aux conseils du Cévenol, de négocier pendant le week-end une séparation à l’amiable, sans avoir sous la main le remplaçant tout en demandant à des éducateurs "maison" d’assurer la transition, sans qu’ils sachent le nombre de jours d’intérim. Ils élaboreront une semaine de travail. De quoi perdre mentalement, en chemin, employés, proches et... joueurs !

Une communication brouillée car brouillonne

Longtemps, ils ne devaient pas partir. Et ils font désormais les beaux jours de Leipzig et du PSG. Castello Lukeba et Bradley Barcola ont certes rapporté de l’argent (près de 73 millions à eux deux) dans les caisses lyonnaises. Mais d’un "nous garderons tout le monde" à ces transferts médiatisés, le fossé entre un message ferme énoncé en juin et évaporé en août est béant, d’autant que les remplaçants (voir ci-dessus) ne sont pas du même niveau. Ils ouvrent aussi la voie à des supputations sur les besoins en financements nouveaux de John Textor, ces sommes reçues ne pouvant être réinvesties tout de suite car l’enveloppe maximale des transferts a été négociée au moment des tractations devant le gendarme financier du foot français en juillet. A quoi peuvent-ils servir ?

Autre conséquence d’une communication minimaliste malgré les sollicitations de nombreux médias, restées lettres mortes, l’idée d’une déconnection avec la réalité se répand à tous les étages. Comment les objectifs peuvent rester la Ligue des champions (lors de sa visio avec quelques journalistes français fin août) ou l’Europe (lors de la présentation de Fabio Grosso, mi-septembre), alors que son équipe – et c’est encore le cas au soir de la 7e journée – n’a toujours pas gagné un match et pas mené une minute dans une rencontre, manque de talent, évident ?

Et il n’y a pas que la sphère sportive qui peine à suivre un président très peu présent physiquement et médiatiquement (après son prédécesseur, à l’inverse trop présent). Les politiques et le monde économique aussi. Sans la moindre explication de texte en mode "confidentiel", élus et banquiers découvrent ainsi la vente des "bijoux de famille". L’Arena qui jouxte le Groupama Stadium et qui ouvrira le 23 novembre avec un match de basket d’Euroleague de l’ASVEL, fait figure de dernier exemple en date. John Textor livre son intention de céder entre 40 et 100% des parts, via une interview dans le Financial Times, le très sérieux quotidien économique britannique.

Les décideurs lyonnais, dont certains ont mouillé la chemise pour faciliter les permis et la création de voies d’accès, comprennent par là-même l’abandon de la politique "JMA" d’un club avec des actifs et des sources de revenus récurrents (séminaires, concerts, matchs de basket et autres) pour limiter l’aléa sportif. Bonjour, une autre, basée uniquement sur les rebonds du ballon rond : en off, un proche de l’OL décrypte : "John ne jure que par le seul football. Il estime que le trading des jeunes joueurs est le seul levier de revenus pour atteindre ses objectifs. Le reste, ne l’intéresse pas."

Avec une donnée économique du train de vie de l’OL et ses 620 employés : sur cinq ans, le club doit être trois fois en LDC, une en Europa League et peut se permettre un joker sans matchs européens. L’OL a déjà grillé trois jokers et se dirige vers un quatrième, avec cette place de lanterne rouge au presque quart du championnat.

Article original publié sur RMC Sport