Sondages législatives 2024 : pourquoi il faut se méfier des projections en siège

À moins d'une semaine du premier tour, les sondages se multiplient. Il convient toutefois d'être prudent sur les projections en siège qui peuvent en être tirées.

Manuel Bompard (LFI), Gabriel Attal (Ensemble!) et Jordan Bardella (RN) (Photo by JOEL SAGET / AFP)
Manuel Bompard (LFI), Gabriel Attal (Ensemble!) et Jordan Bardella (RN) (Photo by JOEL SAGET / AFP)

À chaque jour son sondage en vue des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Et tous donnent le Rassemblement national en tête des intentions de vote, avec en moyenne 34,6% selon l'agrégateur de sondages du Huff Post.

Le dernier, publié par l'IFOP pour LCI-Le Figaro-Sud Radio ce lundi, donne le RN en tête avec 36% d'intentions de vote, devant le Nouveau Front Populaire avec 29,5% d'intentions de vote et Ensemble! avec 20,5%.

Mais si les intentions de vote avaient un réel intérêt pour les élections européennes, puisqu'il s'agissait d'élections proportionnelles à un tour sur une seule circonscription, la règle est différente pour les élections législatives.

En effet, le territoire est divisé en 577 circonscriptions, ce qui fait des élections législatives une élection avant tout locale, et relativise l'intérêt d'avoir les intentions de vote à l'échelle nationale.

Certains instituts de sondage ont donc prolongé leur enquête en proposant une projection en sièges, permettant d'établir la couleur politique que prendrait l'Assemblée nationale au soir du 7 juillet, certains dès le lendemain de l'annonce de la dissolution, comme celui d'Harris Interactive pour Challenges.

Sauf que ces projections sont à prendre avec des pincettes. Celles réalisées dès le lendemain de l'annonce de la dissolution tout d'abord pour des raisons évidentes puisque ni les alliances entre le RN et une partie de LR, ni entre les partis formant le Nouveau Front Populaire n'avaient été scellées et donc prises en compte. Mais aussi parce que les noms des candidats, déposés le 16 juin au plus tard, n'étaient pas connus.

"Tant qu'on ne connait pas les candidats dans chaque circonscription, je considère que cela n'aurait pas de sens et ne semble pas raisonnable", indiquait au Parisien le vice-président d'Opinion Way, qui ne s'aventurait pas vers une projection, se contentant de simples intention de vote à l'échelle nationale.

Cet exercice est "toujours un peu théorique lorsqu’il est réalisé avant un premier tour et au lendemain même de l’annonce de la tenue des élections", prévenait toutefois Harris interactive dans sa note de méthodologie.

Depuis, des alliances ont été nouées, à gauche comme à l'extrême droite, et les candidatures officiellement déposées pour les 577 circonscriptions. Les projections en siège réalisées depuis sont donc un peu moins incertaines.

Odoxa, Elabe ou encore Ifop et Harris Interactive ont ainsi publié des projections en sièges donnant une plus ou moins large majorité, parfois absolue, au Rassemblement national. Le dernier publié, celui de l'Ifop ce lundi, donne 220 à 260 sièges au RN et à ses alliés, la majorité absolue étant fixée à 287 sièges.

Des projections qui se basent, comme le précise Odoxa, sur les résultats des législatives 2022 et les intentions de report de vote au second tour. Les enquêtes d'opinion réalisées depuis indiquent désormais prendre en compte "l'offre électorale réelle dans chaque circonscription", écartant une première incertitude sur la méthodologie.

Pour autant, l'exercice des projections de sièges reste périlleux. La principale raison, qui explique par exemple pourquoi l'institut Ipsos n'a pas proposé de projection dans son enquête pour Le Parisien et Radio France, tient à la forte participation attendue : de 47,5% en 2022, celle-ci pourrait bondir à plus de 60%. "Il y a beaucoup d’incertitudes et, de notre point de vue, trop nombreuses pour faire des projections précises à ce stade", précise l'institut au Parisien.

Or, les candidats ayant un nombre de voix supérieur à 12,5% des inscrits sont qualifiés automatiquement au second tour. Plus la participation est importante, plus la possibilité d'avoir trois ou quatre candidats au second tour est élevée, d'autant que le nombre de candidatures est plus faible que précédemment en raison du temps très court laissé pour déposer sa candidature.

La possibilité d'avoir des triangulaires voire des quadrangulaires est donc élevée cette année, entre 120 et 170 selon Odoxa, rendant encore plus difficile les projections en siège de la part des instituts de sondage, en raison notamment de l'incertitude du possible barrage des électeurs dans l'entre-deux-tours.

Une incertitude précisée par les instituts comme l'Ifop, qui écrit que les projections sont "à interpréter avec prudence compte tenu des incertitudes liées aux configurations de second tour et aux consignes de désistement qui seront données après le premier tour". En 2022, huit triangulaires avaient eu lieu et les instituts de sondage créditaient le RN de 20 à 50 sièges, bien loin des 89 finalement obtenus à l'issue du scrutin.

"Les reports de voix pour les candidats opposés aux candidats RN ont été très mauvais. Les candidats d'extrême droite n'ont pas suscité de crainte des électeurs qui leur étaient opposés. Quand un candidat RN avait un duel avec la Nupes, les électeurs d'Ensemble ! ne sont pas allés voter pour le candidat de la gauche. Et quand un candidat RN faisait face à un candidat d'Ensemble !, les électeurs de la Nupes ne se sont pas non plus déplacés. Il n'y a plus de front républicain, sauf à la marge pour les candidats LR qui étaient face aux candidats RN", expliquait Mathieu Gallard, directeur d'études pour l'institut Ipsos, à France Info, et parlait alors de trois grands blocs qui sont totalement étanches : RN, Ensemble ! et Nupes".

Une réalité encore plus avérée deux ans plus tard, ces trois blocs représentant, dans les sondages, jusqu'à 86% des intentions de vote.