En Russie, Prigojine toujours respecté un an après sa mutinerie

Une statue représentant Evguéni Prigojine sur sa tombe au cimetière de Saint-Pétersbourg, le 20 juin 2024 en Russie (Olga MALTSEVA)
Une statue représentant Evguéni Prigojine sur sa tombe au cimetière de Saint-Pétersbourg, le 20 juin 2024 en Russie (Olga MALTSEVA)

Un an après la mutinerie du groupe paramilitaire Wagner, qui avait jeté un défi sans précédent au pouvoir de Vladimir Poutine, et malgré la mort de son chef Evguéni Prigojine, il continue de susciter le respect chez de nombreux Russes.

M. Prigojine est mort dans un accident d'avion aux circonstances troubles deux mois après sa révolte des 22-23 juin 2023, et son groupe a depuis été de facto refondé et placé sous l'autorité du ministère de la Défense. Mais sa rébellion a marqué l'imaginaire du pays.

Pour Alexandre Oulianov, 60 ans, gardien dans une église orthodoxe, Prigojine, un ancien détenu de droit commun devenu un homme d'affaires proche du Kremlin, "était un grand homme", qu'il compare à d'illustre généraux de l'histoire russe tels qu'Alexandre Souvorov au XVIIIe siècle ou Mikhaïl Koutouzov pendant les guerres napoléoniennes.

"Il a beaucoup fait pour la Russie dans ce moment difficile", assure-t-il, en référence au conflit en Ukraine, où Wagner a notamment mené la bataille la plus sanglante, celle de Bakhmout en 2023. C'est pour cela qu'Alexandre admire le groupe pour sa "discipline" et sa "fidélité" à la Russie.

"Pour nous, il est encore vivant, il est dans nos cœurs", lance-t-il.

A deux pas du Kremlin, un mémorial improvisé est consacré aux soldats russes morts en Ukraine. Parmi leurs visages, le portrait de Prigojine et l'emblème de son groupe : un crâne orné du slogan "Sang, honneur, patrie et courage".

Et dans l'ancienne capitale russe, Saint-Pétersbourg, une statue grandeur nature trône depuis peu sur la tombe de Prigojine.

Alors que la Russie est engagée dans une répression implacable de toute dissidence, une telle glorification peut surprendre, car le mutin, dont les hommes sont par ailleurs accusés d'exactions en Ukraine et en Afrique notamment, avait osé défier Vladimir Poutine, qui l'avait qualifié de "traître".

Des passants et des touristes s'arrêtent devant le mémorial. Parmi eux, une  femme qui a été témoin de la mutinerie : Svetlana, venue de Rostov-sur-le-Don, grande ville du sud de la Russie dont Prigojine et ses hommes avaient pris le contrôle le 23 juin 2023.

- "Ils leur criaient Hourra" -

"C'était terrible de voir des chars dans le centre-ville", se souvient cette professeure d'anglais âgée de 42 ans, qui a refusé de donner son nom de famille.

Pour elle, Prigojine reste "une personnalité remarquable, sinon autant de gens ne l'auraient pas suivi", même si elle n'approuve pas sa "marche" sur la capitale russe, au cours de laquelle des hélicoptères de l'armée russe avaient notamment été abattus.

Evguéni Prigojine, connu pour ses prises de paroles souvent fleuries mais directes, jouait sur une corde sensible pour les Russes: il dénonçait corruption et incompétence au sein du ministère de la Défense et de l'état-major, alors qu'aucune issue pour l'offensive russe en Ukraine n'est en vue.

"A Rostov, les gens ont d'abord eu peur, mais ensuite ils ont commencé à parler aux combattants (de Wagner), à fraterniser avec eux. Et le soir il leur criaient déjà: +Hourra!+", se souvient Svetlana.

Pour autant, "s'il y avait des problèmes, il fallait les régler intelligemment et non pas attaquer le sud de la Russie et faire peur aux civils", estime-t-elle.

Une autre femme d'une cinquantaine d'années s'arrête devant le mémorial et soutient: "Prigojine avait peut-être raison lorsqu'il critiquait le ministère de la Défense", car aujourd'hui, "des généraux sont mis en prison" pour corruption.

"J'ai toujours du respect pour tous les combattants de Wagner", affirme pour sa part un Américain âgé de 41 ans, qui vit depuis 7 ans en Russie et s'est présenté sous le nom de guerre de "Teddy Boy". Il vient de signer un contrat avec Espagnola, un autre groupe paramilitaire russe combattant en Ukraine.

"Je ne suis pas à 100% avec Prigojine, mais si je l'avais rencontré, je lui aurais serré la main. Il a dit beaucoup de choses que les gens pensent, mais qu'ils ont peur de dire", explique-t-il.

bur/lpt