Retraites : quand les membres du gouvernement s'opposaient aux précédentes réformes

Olivier Dussopt, actuel ministre du Travail, en 2010 lorsqu'il s'opposait à l'allongement de l'âge légal de départ en retraite. AFP PHOTO / BERTRAND GUAY
Olivier Dussopt, actuel ministre du Travail, en 2010 lorsqu'il s'opposait à l'allongement de l'âge légal de départ en retraite. AFP PHOTO / BERTRAND GUAY

En 2010, plusieurs membres de l'actuel gouvernement se distinguaient par leur farouche opposition à l'allongement de l'âge de départ à la retraite.

En douze ans, ils sont passés d'opposants au décalage de l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans à membres du gouvernement qui propose de passer l'âge légal de 62 à 64 ans. Un changement radical de position qui étonne.

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Le virage le plus marquant, c'est celui du ministre du Travail, Olivier Dussopt, l'un des visages qui va incarner la réforme des retraites qui vient d'être présentée ce mardi. En 2010, celui qui est un des piliers du gouvernement d'Élisabeth Borne est alors député socialiste de l'Ardèche, proche de Martine Aubry.

Dussopt dénonçait une réforme "doublement injuste"

Lors d'une séance des questions au gouvernement, il interpelle le ministre du Travail de l'époque, Éric Woerth, qui siège désormais dans la majorité à ses côtés. "Cette volonté est doublement injuste. D'une part, elle écarte d'emblée la recherche d'autres recettes, notamment la mise à contribution de l'ensemble des revenus et en particulier de ceux issus du capital. [...] D'autre part, [...] à la précarité et au taux de chômage historique qu'ils connaissent, vous allez ajouter l'infliction d'une double peine aux moins de trente ans en éloignant toujours plus le moment de leur départ en retraite".

"Entre les niches fiscales et le bouclier du même nom, beaucoup pourrait être fait pour que l’effort ne porte pas sur les seuls salariés", ajoute-t-il. Un propos qui n'est pas sans rappeler les positions de la Nupes.

Autre membre du gouvernement à engagement variable sur le sujet de l'âge de départ en retraite, Marlène Schiappa, aujourd'hui secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative de France.

Schiappa alertait sur les gens qui veulent "la retraite avant de mourir de fatigue au travail"

En 2010, Marlène Schiappa se fait connaître en tenant un blog sur Yahoo, "Maman travaille" dans lequel elle raconte son quotidien de mère, et publie une note, supprimée depuis, dans laquelle elle expliquait sous la forme d’un dialogue avec sa fille, son opposition à la réforme des retraites de 2010.

Le texte, disponible ici, met en avant plusieurs éléments savoureux dans le contexte actuel. "Ma fille a un arbre généalogique rempli de syndicalistes FO et CGT, grosse pression", écrit à l'époque Marlène Schiappa dont le père s'est notamment engagé aux côtés de Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière campagne présidentielle. Autre argument plutôt savoureux 12 ans plus tard alors que Marlène Schiappa est membre d'un gouvernement qui propose de décaler l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. "Les gens veulent partir à la retraite avant de mourir de fatigue au travail, et si possible être assez bien payé pour ne pas aller balayer le Mc Do alors qu'ils marchent avec une canne", écrit-elle notamment dans ce texte fictif à l'adresse de sa fille.

La séquence, exhumée en décembre 2019 alors que le gouvernement lançait son projet de réforme des retraites, avait entraîné une réponse de la ministre de l'époque.

Schiappa s'opposait à l'allongement de l'âge de départ voulu par le Medef

Rebelote en 2015, lorsque le journal économique L'Opinion révèle les propositions du patronat pour renflouer les caisses des régimes de retraites complémentaires. Parmi les pistes formulées par le Medef, la CGPME et l'UPA, une très forte incitation à la retraite à 67 ans, avec des abattements dégressifs pour ceux qui partiraient avant l'âge : 40% pour 62 ans, puis de 30% à 63 ans, 18% à 64 ans, de 2% à 65 ans et de 1% à 66 ans.

"Après 50 ans on ne t'embauche plus mais le Medef veut que tu partes à la retraite à 67 ans... Pendant 17 ans, tu fais quoi ?", s'interroge alors celle qui est élue locale au Mans, en référence aux difficultés pour les seniors à trouver un emploi.

Macron annonçait "ne pas vouloir toucher à l’âge légal"

Comme les cordonniers sont les plus mal chaussés, Emmanuel Macron lui-même a tenu des propos ambigus sur l'idée de décaler l'âge légal de départ à la retraite. Le 25 avril 2019, à l’issue du grand débat national organisé pour répondre notamment à la crise des gilets jaunes, le chef de l'État organise une conférence de presse.

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Il s'interroge sur un recul de l’âge légal de départ à la retraite, avant d'évoquer deux raisons qui justifient de ne pas le faire. La première, elle est un peu directe, c’est que je me suis engagé à ne pas le faire. […] On a dit 'on laisse 62 ans comme âge légal' parce qu’on fait une réforme beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, qui est de créer ce nouveau système par points", évoquait-il à l'époque en écho à la réforme, finalement avortée, lancée en décembre 2019.

"Inciter les gens à travailler plus longtemps mais dans une option de libre choix"

Second élément évoqué par le chef de l'État, "c’est que tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand aujourd’hui on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans. […] Et alors on va dire 'non, non, faut maintenant aller à 64 ans.' […] Vous savez déjà plus comment faire après 55 ans, les gens vous disent 'les emplois, c’est plus bon pour vous' […] On doit d’abord gagner ce combat avant d’expliquer aux gens 'mes bons amis, travaillez plus longtemps.' S'il semblait écarter l'idée de décaler l'âge légal de départ à la retraite, le chef de l'État précisait "travailler plus, ça peut se faire d’une autre manière : c’est d’allonger la durée de cotisation et de laisser le libre choix".

Autre phrase de l'époque dans laquelle le chef de l'État indique qu'il ne souhaite pas faire évoluer l'âge légal : "Quand quelqu’un est dans une situation avec un métier pénible, […] avec une carrière fracturée, c’est pas l’âge l’égal qu’il faut bouger, il faut inciter les gens à travailler plus longtemps mais dans une option de libre choix", expliquait-il à l'époque.

Mais à la présentation de son programme en 2022, fini l'ambition d'âge pivot, d'âge d'équilibre ou d'allongement de la durée de cotisation, cette fois, Emmanuel Macron évoque un départ à la retraite fixé à 65 ans. Alors que le taux d'emploi des seniors, évoqué comme condition à une réforme en 2019, reste faible : 57,3% au troisième trimestre 2022 pour 55-64 ans, contre 82,6% pour les 25-49 ans, selon l'Insee.

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