Que reprochent Élisabeth Borne et Gérald Darmanin à la Ligue des droits de l'Homme?

Une première salve il y a une semaine venant de Gérald Darmanin, puis une seconde vague de dénonciations mercredi de la part d'Élisabeth Borne. Que se passe-t-il pour la Ligue des droits de l'Homme (LDH), cette association centenaire qui défend notamment le droit à manifester, soit dans le viseur du gouvernement depuis quelques jours?

"J'ai beaucoup de respect pour ce que la LDH a incarné. Je ne comprends plus certaines de ses prises de position", a lancé la Première ministre mercredi lors d'une séance au gouvernement au Sénat. Élisabeth Borne répondait alors à la sénatrice communiste Éliane Assassi au sujet de ce que l'élue qualifie de "menaces d’une gravité insupportable", après les propos une semaine plus tôt du ministre de l'Intérieur.

Les actions en justice de la LDH remises en cause

Alors auditionné par la commission des Lois sur le maintien de l'ordre lors des manifestations contre le projet de réforme des retraites, le locataire de Beauvau avait déclaré que "la subvention donnée par l'État" à la LDH "mérite d'être regardée dans le cadre des actions qui ont pu être menées". Une sortie qui a provoqué un tollé, notamment à gauche.

"On peut imaginer que le fait que la LDH ait une activité d'observateur dérange", note auprès de BFMTV.com Anne-Sophie Simpere, ancienne chargée de plaidoyer à l’ONG Amnesty International et autrice avec Pierre Januel du livre Comment l’État s’attaque à nos libertés (2022, Plon).

En effet, l'organisation dispose d'observateurs - dont le statut est reconnu à l'international - présents sur les manifestations pour, notamment, constater d'éventuelles violations des droits ou violences commises par les forces de l'ordre. Lors du rassemblement à Sainte-Soline le 25 mars dernier, contre le projet de mégabassine, la LDH a dénoncé d'éventuelles entraves faites aux secours pour intervenir auprès de Serge D., blessé grièvement à la tête lors des affrontements avec les gendarmes. "Le travail de toute l'organisation, c'est de pointer toutes violations, ce n'est jamais agréable pour les gouvernements", poursuit Anne-Sophie Simpere.

"Nous sommes les boucs émissaires des répressions violentes et disproportionnées du gouvernement", déplore auprès de BFMTV.com le président de la LDH.

Face aux sénateurs, la Première ministre, qui assure que la question de la privation de subvention n'est pas à l'ordre du jour, a toutefois tenu à rappeler que l'organisation avait déposé un référé-liberté, une procédure en urgence, pour faire annuler les arrêtés pris par la préfecture des Deux-Sèvres, juste avant le rassemblement de Sainte-Soline, visant à interdire "le transport d'arme par destination". "Cet arrêté interdisait le port d'arme, évidemment qu'à la Ligue nous condamnons absolument le port d'arme par les manifestants, porter une arme est un délit", clame Patrick Baudouin, le président de la LDH.

"Concernant le port d'arme par destination, le Conseil constitutionnel a rendu en 2015 une décision qui censurait cette notion trop extensive", rappelle l'avocat spécialisé en droit pénal international.

"Les ambiguïtés de la LDH face à l'islam radical"

La LDH prône le respect des droits pour se défendre face aux allégations formulées par Élisabeth Borne. Cette dernière est allée plus loin que son ministre de l'Intérieur, évoquant les "ambiguïtés" de la LDH "face à l'islam radical", créant cette "incompréhension" de la locataire de Matignon à l'encontre des actions menées par l'organisation. Sont visés notamment l'appel de l'organisation à participer à la controversée "marche contre l'islamophobie" ou, quelques années plus tôt, l'absence de la LDH sur le banc des parties civiles dans le procès des attentats contre Charlie Hebdo et l'Hypercacher.

Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR, a dénoncé une "sorte d’extrême gauchisation" de l'organisation appelant à "remettre en cause les financements de la LDH si ses actions ne sont pas conformes à son objet social". Lui aussi dénonce les "ambiguïtés" de l'association rappelant au passage que la Ligue avait attaqué la "dissolution politique" en 2020 du CCIF, le Collectif contre l'islamophobie en France, soupçonné d'être proche des milieux musulmans conservateurs.

"L'islam radical véhicule une idéologie contraire aux valeurs de la Ligue, il est évident que ce que nous dénonçons va à l'encontre des propos ou de la vision des femmes rétrograde de l'islam radical", se défend Patrick Baudouin, qui voit dans cette attaque un lien avec les tensions entre son organisation et Gérald Darmanin au moment de l'expulsion à l'été 2022 de l'imam Hassan Iquioussen. À cette époque, la préfecture du Nord avait refusé de renouveler son titre de séjour jugeant ses discours "haineux envers les valeurs de la République, dont la laïcité".

"J'avais fait le tour des plateaux pour dire que nous dénoncions cette expulsion, que rien ne justifiait cet arrêté. Nous condamnons les propos odieux d'Hassan Iquioussen, il était possible de le poursuivre pénalement", plaide Patrick Baudouin.

Mais Gérald Darmanin en avait fait "un étendard politique de son combat contre l'islamisme" selon lui. Formulant un référé-liberté auprès du tribunal administratif, la LDH - qui revendique 75% de victoire dans leur action en justice - avait obtenu gain de cause en première instance, faisant annuler l'arrêté d'expulsion. Le Conseil d'Etat avait finalement invalidé cette décision.

Un fort soutien en faveur de la LDH

Depuis les premières déclarations formulées à l'encontre de la Ligue des droits de l'Homme, 1000 personnalités, élus, écrivains, historiens, politologues, ont apporté leur soutien à l'organisation dans une tribune lancée par L'Humanité. "Tout le monde est un peu en insécurité après une telle déclaration de Gérald Darmanin", s'est élevé dans les colonnes du journal Henri Leclerc, avocat et président d'honneur de la LDH, dénonçant le "chantage" aux subventions fait par le gouvernement.

Une pratique qui s'inscrit, pour Anne-Sophie Simpere, "dans la logique de la loi contre le séparatisme" votée en 2021. Le texte prévoit en effet de mettre fin aux subventions en cas de non-respect du contrat d'engagement républicain signé entre les associations et l'État. "Nous savions que ça pourrait toucher toutes les associations, rappelle l'experte. Le fait d'avoir une loi qui permet de s'en prendre aux associations quel que soit le domaine interroge sur l'image que la France renvoie au niveau mondial."

Article original publié sur BFMTV.com