Racisme, féminisme... Comment cette saison de la "Star Academy" est devenue politique
La Star Academy 2024, dont la finale se tient ce samedi 25 janvier, a été très politique, entre des candidats engagés sur des questions sociétales, le racisme dont a été victime la finaliste Ebony et les séquences mises en avant par la production.
"La politique, ce n'est pas la Star Academy", affirmait Éric Ciotti en janvier 2024. À quelques heures de la finale de cette saison 2024-2025, ce samedi 25 janvier, on peut toutefois dire que cette saison de la Star Academy a été très politique.
Cet ultime prime oppose Marine et Ebony dans un contexte très tendu… à l'extérieur du château de Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne). Au fil des semaines, le télécrochet de TF1 a donné lieu à des prises de paroles féministes et anti-racistes, de la part des candidats, du public et même de personnalités publiques.
Dès le début de la saison, l'émission a mis en avant un discours féministe, incarné notamment par l'une des candidates, Marguerite. Elle a ainsi moqué, avec deux autres candidates, ceux qui font du mansplaining - le fait pour un homme de donner des explications à une femme sur un ton paternaliste ou condescendant, sur un sujet qu'elle connaît pourtant bien. Ou ceux qui ont "peur d'aborder" des femmes depuis Metoo. Des revendications que l'on voit rarement à la télé, et encore moins dans une télé-réalité.
Dans une interview auprès de la youtubeuse Alix Grousset, Marguerite a assumé défendre le féminisme et "d'une manière générale tous ces questionnements sur le genre", ainsi que "la cause de la communauté LGBTQIA+". Commentant une prestation de deux autres candidates, elle avait d'ailleurs déclaré : "Voir deux femmes qui se chantent une chanson d'amour et qui se la chantent l'une à l'autre, ça me rend tellement heureuse."
Le racisme au cœur de cette saison
Cette saison a aussi été marquée par une déferlante de messages racistes visant l'une des finalistes, Ebony. Des insultes caractérisées par la sociologue des médias Marie-France Malonga auprès de Mediapart comme de la "misogynoir". Cette spécialiste de la représentation sociale et médiatique des minorités estime que "si elle est aussi maltraitée, c’est qu’elle est à la frontière de plusieurs identités : jeune, femme et noire".
"Ce qui doit déranger chez Ebony, c’est qu’elle n’offre pas la représentation de la femme soumise et qu’elle porte une revendication de ce qu’elle est", ajoute la chercheuse. "Et encore, une revendication qui reste, je crois, très raisonnable."
La candidate a notamment porté un propos sur les discriminations après sa demi-finale de samedi dernier, au cours de laquelle elle a interprété Ne me jugez pas de Camille Lellouche. "C'était un message pour dire, ne me jugez pas par rapport à ma couleur de peau", a-t-elle déclaré. "Quand on est une femme noire en vérité, il faut dire ce qui est, dans la société, la vie n'est pas comme les autres."
"J'espère que des petites filles noires ont entendu ce message et qu'elles n'écoutent pas les critiques, qu'elles sont fières de leur couleur de peau, qu'elles sont fières de leurs cheveux, qu'elles sont fières de là où elles viennent", a encore dit la jeune femme de 20 ans.
Ces convictions portées par les candidats ont contribué à la politisation du programme cette saison. "D'un point de vue sociologique, on a tendance à dépeindre la gen Z (les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, NDLR) comme des personnes qui recherchent du sens, qui ont davantage de prises de position d'un point de vue social, écologique", décrypte Elodie Kredens, autrice d'une thèse sur la réception de la télé-réalité.
"La télévision et les médias sont souvent le reflet de la société", abonde Virginie Spies, maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université d'Avignon. Que ces tendances se reflètent dans un casting sensible au racisme, à l'homophobie et au sexisme n'est donc pas surprenant pour la chercheuse.
Un public engagé
La portée politique de l'émission, au-delà du château, a gagné l'espace public. Les fans de la Star Academy sont très actifs (et virulents pour certains) sur les réseaux sociaux depuis la réédition du programme en 2022, une nouveauté par rapport aux premières saisons dans les années 2000. Les fans d'Ebony ont par exemple lancé une pétition pour dénoncer le racisme dont elle est victime, signée par plus de 5.000 personnes.
Elodie Kredens, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, souligne que les fans de la Star Academy ont toujours été très engagés pour leurs candidats préférés, auxquels ils s'identifient beaucoup - un phénomène alimenté par le fait de les regarder au quotidien. "Il y a un grand investissement émotionnel dans cette émission, on a l'impression que les candidats vont représenter des combats, comme Grégory Lemarchal pour la mucoviscidose", explique-t-elle. Les réseaux sociaux ont augmenté cette résonance: "la connexion va plus vite, des communautés se forment et vont se confronter en temps réel sur les réseaux sociaux".
"Cela vient mettre en lumière des lignes de fracture entre les téléspectateurs, mais comme il en existe dans la démocratie", affirme Elodie Kredens à BFMTV.com. Pour Virginie Spies, "ce qui est intéressant dans cette saison, c'est qu'elle reflète des tensions qu'on peut avoir aujourd'hui dans la société française, la polarisation".
Ces derniers jours, la mobilisation a même dépassé les communautés de fans, avec des prises de parole de personnalités publiques. Comme la judokate médaillée olympique Clarisse Agbegnenou, qui a écrit mardi dans une story Instagram, "arrêtez de regarder la couleur de peau et sachez reconnaître le talent de la personne", en partageant des photos d'Ebony.
Le sujet a mobilisé jusqu'à La France insoumise, dont le coordinateur national du parti, Manuel Bompard a déclaré sur X : "Soutien à Ebony, victime d’une vague de haine raciste. Son talent fera taire les racistes".
Les choix de la production
Le rôle de la production de l'émission n'est pas anodin. C'est elle qui choisit, dans son montage, de mettre en avant les propos engagés de ses candidats. Ce qui n'a pas toujours été le cas dans l'histoire de la télé-réalité en France. Dans Loft Story en 2001, "dès qu'on parlait politique, religion ou quoi que ce soit (...) ils coupaient au montage", déplorait ainsi Steevy, l'un des candidats, en 2003.
Pour Elodie Kredens, ce changement de cap répond à une logique commerciale: "Ce qui fait aussi le succès des émissions de télé-réalité, ce sont les buzz. Il y a un côté très feuilletonnant dans la Star Academy, qui répond à des logiques de narration : il faut des héros, des contre-héros, une quête. Il y a du conflit, des prises de position. La production n'a pas intérêt à lisser le récit que proposent ces jeunes-là".
Porter un message politique implique de se couper d'une partie de l'opinion. Or, "le marché est tellement étendu aujourd'hui que les grandes chaînes essaient de ne pas être dans la polémique, car elles risquent de perdre des annonceurs", souligne Virginie Spies, spécialiste de l'analyse des médias audiovisuels.
Ces émissions sont donc sur une ligne de crête : "parler de l'histoire du pays" en se montrant à la page des évolutions sociétales, comme le formule Virginie Spies, mais éviter de trop cliver au risque de perdre une partie de l'audience.
Quelles actions face aux propos haineux ?
Si la production de la Star Academy a mis en avant des séquences inclusives et des paroles féministes et antiracistes, elle reste plutôt en retrait vis-à-vis des réactions haineuses qu'elles ont engendré. En décembre, l'émission a toutefois publié un communiqué, affirmant que les "propos haineux" qui circulent sur les réseaux sociaux à l'encontre des élèves sont "inadmissibles et punissables par la loi".
"TF1 et Endemol France signaleront toute campagne de haine à l'encontre des candidates et candidats et se réservent le droit d'engager toute action en justice", était-il ajouté. Rien n'a filtré depuis sur d'éventuelles plaintes déposées et la production de l'émission n'a pas répondu à nos sollicitations.
En revanche, l'association SOS Racisme a annoncé cette semaine dans un communiqué avoir "signalé ces attaques racistes (contre Ebony, NDLR) auprès du procureur de la République du Tribunal judiciaire de Paris".
Pour Virginie Spies, maintenant que les équipes de la Star Academy ont choisi de mettre ces sujets en avant, "il faut qu'elles aillent au bout de l'action". "Sur les années à venir, ça nécessite une régulation des réseaux sociaux. Ils provoquent quelque chose de politique, mais ils ne donnent pas de réponse. S'il y a de la politique, il faut être politique", estime-t-elle.
Et quid du rôle des candidats après l'émission ? Si Ebony a parlé du racisme en France, elle ne se doute probablement pas de l'ampleur qu'a pris l'affaire en dehors du château, où elle vit coupée du monde depuis trois mois, et du symbole qu'elle représente désormais. "Ces jeunes filles, quand elles vont sortir, qu'est-ce qu'elles vont faire de ce qu'on leur a, malgré elles, demandé de porter ? Est-ce qu'on ne les pousse pas à tort à porter une charge qui les dépasse ? Il faut avoir les épaules pour se dire 'je vais incarner la lutte contre le racisme'", souligne Elodie Kredens.