"Pucelle", la BD drôle et féroce qui dénonce les violences faites aux femmes

Florence Dupré La Tour publie le deuxième tome de Pucelle, hilarante BD autobiographique qui dénonce les violences faites aux femmes au cours de l’adolescence.

Il y a un an, Florence Dupré La Tour rencontrait le succès avec le premier tome de Pucelle, album autobiographique dans lequel elle décortique avec un humour très aiguisé son éducation rigoriste et les tabous autour des règles et du sexe. La dessinatrice revient ce vendredi 21 mai avec le deuxième tome, Confirmée, où elle dénonce "avec rage" les violences faites aux femmes au cours de l’adolescence.

Si elle s’inspire de son enfance, Florence Dupré La Tour insiste pour se distinguer de son personnage: "Tout ce qui est raconté dans l’album est à 100% vrai, mais rien n'est réel." Malgré le poids des restrictions et des non-dits, son enfance avait été un paradis. L’adolescence, débutée en Guadeloupe avant un retour à Lyon, se révèle un véritable enfer.

Entre les règles édictées par une mère en train de basculer dans l’intégrisme religieux, et les douleurs menstruelles de plus en plus présentes, la jeune femme est livrée à elle-même, en proie à un mal-être constant qui la pousse à vouloir "en finir avec les flots-rances". Un jeu de mot sur son prénom qui résume bien son adolescence, explique Florence Dupré La Tour:

"Ces flots-rances, ce sont ceux qui se déversent chaque mois et qui la torturent. Elle pense que tout est normal, puisque personne lui dit que c’est une maladie et qu'il n’est pas normal de souffrir. Personne ne l’emmène chez le médecin. Sous cette expression les 'flots-rances', il y a beaucoup plus de violences subies que les simples douleurs menstruelles."

"Ce qui est nommé existe"

Son corps grandit et "elle sent bien que le fait d’être femme va l’emmener dans des territoires de plus en plus violents et hostiles." Rapidement, le regard des hommes change. Il devient salace, animée par "le désir d’une femme hâchée, morcelée", "sans présence", "une femme sans tête (...) un cadavre":

"Mon personnage entre dans l’univers des jeunes adultes. Elle ne se sent pas adulte, mais les hommes autour d’elles lui montrent qu’elle est sexuée, et donc adulte. On sent les regards, l’appétit - et on ne peut manger que des choses mortes. Cette façon de réifier le corps des femmes est d’une violence extrême."

Avec Pucelle, Florence Dupré La Tour livre un album pour apprendre à nommer les violences subies par les femmes depuis toujours. "Ce qui est nommé existe", rappelle la dessinatrice. "À partir du moment où on nomme, on peut se battre contre ce qui est nommé, on peut s’en saisir. Mais rien de cela n'était nommé à la fin des années 90 et au début des années 2000." Elle ajoute:

“Face aux non-dits familiaux et aux non-dits de société, cette jeune fille va intérioriser le fait que tout cela soit normal, et qu’elle doit accepter de subir sans broncher, mais bien entendu les choses ne sont pas si simples et son univers intérieur, son paysage mental, est transformé, il devient très sombre, et comme elle doit exprimer ces choses-là d’une manière ou d’une autre elle va trouver un moyen, le dessin, un langage non-verbal. le bon langage en réalité."

La découverte de la lubricité

Autre chose intériorisée, mais qui ne demande qu’à sortir: le désir, découvert d’abord à travers la masturbation. Une activité secrète, qu’elle pratique sous sa couette, pour échapper au regard inquisiteur du Christ, et se trouve être un de ses rares moments de répit, entre deux douleurs menstruelles:

La jeune Florence se construit aussi dans un univers où toute représentation violente ou sexuelle est bannie. Elle évolue dans une certaine ignorance qui est troublée le jour où son professeur montre en cours un film de propagande anti-avortement. S’en suit plusieurs rencontres - une BD lubrique signée Gotlib, un film porno - qui lui “retournent le cerveau” et scellent le rapport de cette jeune fille naïve "à la lubricité":

"Elle n’a jamais vu le sexe d’un homme. Elle n’ose pas regarder son propre sexe... Elle n’a aucune idée visuelle, ni même aucune idée réaliste de la manière dont fonctionne la sexualité. Le choc est total et la terreur devient maximale. C'est très difficile de se laver le cerveau quand il a été modelé. Il est très difficile de s’extraire de structures, d’éducation."

"Un traitement caricatural"

Pour cette raison, son trait est en perpétuelle évolution. "Je veux toujours être mouvante", dit la dessinatrice. "Pour moi, c’est la condition de la vie et d’un dessin vivant. J’ai très peur de la rigidité de l’esprit." Pour cette raison également, ses personnages sont tous marqués par une hyper-expressivité.

Les yeux sortent de leur orbite, comme dans Total Recall, ce thriller de SF avec Schwarzie qu’elle regardait en cachette de ses parents: "On ne sait jamais d’où viennent les influences, mais c’en est sans doute une", réagit l’autrice, qui réinterprète tous les événements de son enfance de manière métaphorique "pour en rire et apporter un contrepoids à la lourdeur de ce qui est écrit dans cet album":

"J’utilise un traitement caricatural des expressions des personnages, mais pour moi c’est une façon réaliste de raconter ces émotions, qui sont très, très fortes. Si je devais être sincère dans la traduction visuelle de ce que j’ai vécu, ce serait très différent: je n’avais aucune émotion, ou alors très, très peu."

Avec Pucelle, elle se réapproprie sa propre histoire - et appelle ses lecteurs à en faire de même. Au-delà de la découverte du désir, son personnage découvre avant tout qu’être adulte signifie être seul. Elle en fait l’expérience avec sa sœur jumelle, avec qui elle a une relation fusionnelle, et qui va s’éloigner lors de l’adolescence. Une histoire qu’elle racontera dans un prochain album intitulé Jumelle.

Pucelle, tome 2, Confirmée, Florence Dupré La Tour, Dargaud, 232 pages, 21 euros.

Article original publié sur BFMTV.com

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