Projet d'attentat avant l'élection de 2017: un procès, des mystères et un étrange duo de jihadistes
Le 18 avril 2017, l'ambiance est électrique en France. Nous sommes à moins d'une semaine du premier tour de l'élection présidentielle. Ce jour-là, deux hommes sont interpellés dans le 3e arrondissement de Marseille, au terme de plusieurs semaines d'enquête. Clément Baur et Mahiédine Merabet, âgés respectivement de 24 et 30 ans à l'époque, sont soupçonnés de préparer un attentat "imminent". Parmi les cibles repérées par le duo, un meeting de Marine Le Pen, prévu le lendemain dans la cité phocéenne.
Les deux hommes doivent comparaître, à partir de lundi 30 octobre et jusqu'au 1er décembre, devant la cour d'assise spéciale de Paris pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Dans ce procès, dix autres personnes, soupçonnées à des degrés divers de les avoir aidés, notamment dans la fourniture d’armes, seront jugés à leurs côtés.
Mais ce n'est pas la première fois cette année que les deux hommes se retrouveront derrière la vitre du box des accusés. En janvier dernier, leur premier procès avait été ajourné, après trois semaines d'audience, faute de magistrats disponibles.
Un agent de la DGSI cyberinfltré
Dans l'appartement "d'étudiant" que louent Clément Baur et Mahiédine Merabet, rue de Crimée à Marseille, les enquêteurs découvrent un véritable arsenal: le fusil mitrailleur Uzi, trois pistolets de calibre 7,65 mm, des centaines de munitions et un sac de boulons. Plus de 3,5 kilos de TATP, un explosif artisanal prisé des jihadistes, sont aussi retrouvés. Si une grande quantité sèche encore sur des étagères pendant la perquisition, une partie, "équipée d'une mèche d'allumage", est prête à l'emploi, peut-on lire dans l’ordonnance de mise en accusation.
"Il est peu contestable que ces boulons allaient servir à la confection d’une bombe létale, la projection de multiples boulons en suite d’une explosion de TATP pouvant avoir des effets dévastateurs", détaille le document.
Les murs de la pièce principale de l'appartement, que le duo a occupé pendant quinze jours avant son arrestation, sont "décorés" de photographies d'enfants morts ou blessés et d'articles de presse sur les bombardements en Syrie, "pour ne pas oublier", dira Merabet plus tard. C'est une vidéo, filmée par ce dernier six jours plus tôt, qui a précipité l'arrestation des deux hommes.
Le 12 avril, Mahiédine Merabet envoie une vidéo à l'un de ses contacts. Sur une table, il a disposé des dizaines de munitions de manière à écrire "la loi du talion" (réciprocité entre la peine reçue et le crime commis, NDLR), au côté d'un fusil mitrailleur, d'un drapeau de l'État islamique et la Une du Monde du 16 mars 2017 avec une photo du candidat François Fillon, suivie d'un montage d'enfants victimes de bombardements en Syrie.
Mahiédine Merabet ne le sait pas, mais son contact, destinataire de la vidéo, est en réalité un agent de la DGSI, le renseignement français, cyberinfiltré dans les réseaux jihadistes. Le même jour, sur la messagerie cryptée Télégram, Clément Baur, lui, prévient qu'il "va y avoir du gros". "Dis leur que bientôt... Et il faut que ça soit revendiqué in sha Allah", ajoute-t-il.
Un "coup d'éclat médiatique"
Lors de l'exploitation des supports numériques, les enquêteurs découvrent, qu'entre le 5 et le 14 avril, les deux complices ont effectué de nombreuses recherches "de cibles" potentielles sur Marseille. Parmi la liste, des clubs libertins, un sauna, des bars, un restaurant cacher mais également plusieurs recherches sur le Front national, et notamment le meeting de Marine Le Pen, prévu le 19 avril 2017 au Dôme, la plus grande salle de spectacle de la cité phocéenne.
Lors de leurs auditions, le duo conteste tout projet d'attentat meurtrier. "Franchement, ça nous a traversé l'esprit", déclarera d'abord Clément Baur, avant de rétropédaler et d'affirmer ne pas se souvenir de ces recherches. Les deux hommes finiront par reconnaître avoir voulu faire un "coup d'éclat médiatique" en faisant exploser une grenade artisanale à proximité "du quartier où il y avait le meeting", mais sans viser de civils.
Mais pour les enquêteurs, la thèse ne tient pas. "Certains objets retrouvés dans l’appartement laissent penser que la mise en scène du passage à l’acte terroriste était sérieusement envisagée. On trouve en effet un masque noir de type Anonymous et une Go-Pro qui, dans le contexte, font immanquablement penser à une opération terroriste autofilmée", détaille l'ordonnance de mise en accusation. Et au vu de la quantité de TATP retrouvée, les enquêteurs s'interrogent même sur "le nombre d'actions violentes envisagées". Pendant ces quatre semaines d'audience, la cour d'assise tentera notamment de comprendre comment le duo s'est constitué.
Le parcours "atypique" de Clément Baur
C'est en 2015 que Clément Baur et Mahiédine Merabet se rencontrent, à la prison de Lille-Sequedin. Les deux hommes partagent la même cellule du mois de février à celui d'avril. Mais ils sont loin d'avoir le même parcours. Le premier vient d'être condamné pour présentation de faux documents. Le second est un délinquant multirécidiviste, écroué pour trafic de stupéfiant.
Le parcours de Clément Baur est "atypique" et "difficile à reconstituer". Né dans le Val-d’Oise, il se serait converti à l’islam à 14 ou 15 ans, mais les contours restent flous, même pour le principal intéressé.
"Moi-même en prenant du recul, je ne comprends pas très bien comment j'en suis arrivé là", expliquera Clément Baur sur sa conversion à l'islam.
Passionné par les langues, il apprend de manière autodidacte à parler russe et arabe. À peine majeur, le jeune homme quitte le domicile familial et vit dans la clandestinité, sous une autre identité et une autre nationalité. Il se fait passer pour un réfugié tchétchène, y compris auprès de ses épouses, prénommé Ismaïl Djabrailov, affirmant être né au Daghestan.
Au fil des investigations, les enquêteurs découvrent que Clément Baur est connu sous quatre autres identités. Un procédé difficile à comprendre "alors qu'il n'est recherché dans aucun pays pour aucun crime ni délit". En l'espace de quelques années, Clément Baur dépose plusieurs demandes d'asile en tant que réfugié tchétchène en Belgique, en Allemagne... et même en France.
Au fil de son parcours sinueux, les enquêteurs sont convaincus que Clément Baur a fréquenté la cellule terroriste de Verviers en Belgique, celle d’Abdelhamid Abaaoud, le chef opérationnel des commandos du 13-Novembre, et qu'il a été en contact en Allemagne avec Anis Amri, l’auteur de l’attentat au camion sur le marché de Noël de Berlin en 2016.
"La France cristallise chez lui des pulsions agressives"
En prison, le jeune homme contribue à l'éducation religieuse de son codétenu. C'est même "la première personne à l'avoir mis dans le bain" de l'islam radical, dira plus tard Mahiédine Merabet. Car chez Clément Baur, "le salafisme est devenu un idéal névrotique obsessionnel", selon un expert psychologue mandaté au cours de l’enquête.
"La France cristallise chez lui des pulsions agressives, sublimées par l’idéal djihadiste", ajoute le psychologue.
Face à sa radicalisation, ses parloirs sont mis sur écoute: "Baghdadi, il a raison, il faut pas parler avec eux (les Français), il faut juste les rafaler, les exploser", dira-t-il par exemple à son père. À l'inverse, Mahiédine Merabet, lui, est déjà bien connu de la justice, avec pas moins de douze condamnations pour des faits allant du vol aggravé à la séquestration ou l’enlèvement.
Après leur séjour en prison, les deux hommes reprennent contact sur les réseaux sociaux. Le duo se reforme en octobre 2016 et vit sous le même toit à Roubaix pendant quelques semaines. À l'époque, Mahiédine Merabet est suivi par les services de renseignement pour des soupçons de radicalisations. En décembre, après une simple perquisition administrative, ils quittent le Nord précipitamment et s'installent à Nancy. Ils y resteront quelque mois, avant de partir pour Marseille, fin mars 2017.
"Il est remarquable que Mahiédine Merabet et Clément Baur aient pris la voie de la clandestinité au mois de décembre 2016 alors qu’au moment où ils choisissent cette option, ils ne sont absolument pas recherchés pour un quelconque délit. La préparation d’un acte terroriste grave semble être la seule explication rationnelle à cette fuite clandestine", peut-on lire dans l’ordonnance de mise en accusation.
Les deux hommes encourent jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle et 350.000 euros d'amende.