"Une situation inadmissible": un procès terroriste suspendu et renvoyé faute de magistrats disponibles
Le renvoi du procès de douze personnes devant la cour d'assises spéciale de Paris figure comme énième exemple du manque de moyens donnés à la justice depuis des années, alors que la profession ne cesse de crier son ras-le-bol. Le procès qui jugeait Clément Baur et Mahiedine Merabet, soupçonnés d'avoir projeté un attentat pendant la campagne présidentielle de 2017, et de 10 autres personnes, a été suspendu et renvoyé jeudi, faute de magistrats disponibles.
"Je tiens à présenter en mon nom propre toutes mes excuses pour cette situation que je trouve inadmissible", a déclaré jeudi Corinne Goetzmann, la présidente de la cour d'assises spéciale, avant de prononcer le renvoi des débats.
Pas de magistrat remplaçant
La première alerte a été donnée lundi. Ce jour-là, alors que le procès entamait sa quatrième semaine de débats et que la cour allait aborder le dernier volet, la présidente de la cour d'assises spéciale, composée uniquement de magistrats professionnels, avait prévenu qu'une assesseure était souffrante. Elle avait dû suspendre les débats jusqu'à jeudi matin, le temps de savoir si la magistrate pourrait se remettre afin d'assister à la fin du procès, avant de renvoyer les débats à une date ultérieure. La juge n'a pas pu reprendre sa place, et personne n'a pu la remplacer.
"Pour que cette magistrate soit remplacée, il aurait fallu qu'un assesseur remplaçant soit prévu dès le début du procès, détaille Me Raphaël Kempf, l'avocat de l'un des accusés Mahiedine Merabet. Pour juger, ils doivent avoir assisté à l'ensemble des débats."
Corinne Goetzmann a expliqué aux différentes parties avoir demandé, lors de l'organisation de ce procès terroriste, un assesseur remplaçant. Une demande qui lui avait été refusée. Elle a donc déploré jeudi "le manque de moyens de la justice". "Il est inadmissible que nous soyons mis devant le fait accompli de l'incapacité de l'institution judiciaire à faire face à un procès d'une telle ampleur et d'une telle gravité", s'est émue la magistrate.
"Cette situation donne une image déplorable de l'institution judiciaire, déplore Me Kempf. Ces faits ont été qualifiés de très graves et nous ne sommes pas en capacité de procéder correctement à un jugement."
"Il est parfaitement scandaleux qu'on ait refusé un assesseur supplémentaire à la présidente de la cour d'assises, abonde Me Nicolas Brillatz, qui défend, avec Me Paul Faucon, Clément Baur, lui aussi accusé d'association de malfaiteurs terroriste. Il me semble que ce procès a été considéré comme important puisqu'on a réussi à mettre des conditions de sécurité importantes, on a fait le choix de faire juger les faits par cinq magistrats professionnels."
Pas de nouvelle date d'audience fixée
Concrètement aucune date n'a pu être fixée pour ré-audiencer ce procès, les sessions de cour d'assises étant déjà bien remplies. "À l'origine, notre client aurait dû être fixé sur son sort le 3 février. Aujourd'hui, le 3 février, il ne saura même pas quand il sera jugé. Psychologiquement, les conséquences sont très dures", dénonce Me Nicolas Brillatz.
"Notre client s'était préparé sur ce procès, il avait travaillé à révéler son intimité devant la cour, devant la salle", poursuit le conseil.
Me Nicolas Brillatz redoute que le second procès soit "artificiel". "Les mêmes questions vont être reposées, poursuit-il. Ce qu'on pensait acquis aux débats, on va devoir se battre lors d'une nouvelle audience." "On casse une dynamique, celle de participer à l'œuvre de justice", regrette Me Raphaël Kempf, rappelant que son client a accepté de s'exprimer dès le premier jour de son procès.
Jeudi, l'avocat a plaidé pour une demande de mise en liberté de Mahiedine Merabet, incarcéré depuis six ans, un nom notamment du délai raisonnable à être jugé. La cour d'assises spéciale a rejeté cette demande.