Pour la prix Nobel Claudia Goldin, le « travail cupide » nourrit les inégalités salariales entre les sexes

 En combinant approche historique et théorie économique, l’Américaine Claudia Goldin, lauréate du prix Nobel d’Economie, a scruté à la loupe l’emploi des femmes, mettant en lumière les ressorts des inégalités salariales.
valentinrussanov / Getty Images En combinant approche historique et théorie économique, l’Américaine Claudia Goldin, lauréate du prix Nobel d’Economie, a scruté à la loupe l’emploi des femmes, mettant en lumière les ressorts des inégalités salariales.

TRAVAIL - Un Nobel d’économie est « très important » pour ceux « qui essayent de comprendre pourquoi il reste de grandes inégalités » entre les genres. C’est comme ça qu’a réagi lundi 9 octobre auprès de l’AFP l’Américaine Claudia Goldin, récompensée par le prestigieux prix pour ses travaux sur l’évolution de la place des femmes sur le marché de l’emploi.

Parmi les concepts développés par l’économiste de 77 ans, première femme nommée à la tête du département économique de Harvard, on retrouve notamment celui du « greedy work », ou « travail cupide » en français. C’est l’un des thèmes principaux développés dans son livre Career and Family : Women’s Century-Long Journey Toward Equity (Carrière et famille : Le parcours centenaire des femmes vers l’équité en français), publié en 2021.

Elle s’y intéresse à l’écart de salaire entre hommes et femmes, et surtout aux raisons de cet écart. Et part du constat que les horaires de travail longs et non-flexibles sont souvent la norme dans les emplois à forte pression et à rémunération élevée, où les promotions sont importantes, ou dans les secteurs où les salaires sont considérablement inégaux. Or, ces types d’emplois expliqueraient en grande partie l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes aux États-Unis.

Le principe est simple : les entreprises seraient prêtes à payer davantage pour s’assurer une disponibilité et une flexibilité face au travail sans limite ou presque. Or, les femmes, qui assument la plupart du travail domestique et d’aidantes dans leur vie privée - que ce soit auprès de leurs parents ou de leurs enfants -, seraient de fait moins flexibles ou se tourneraient vers des emplois qui nécessitent moins de flexibilité.

« Les femmes travaillent là où l’on exige moins de leur temps »

« Elles sont, de manière disproportionnée, professeurs auxiliaires plutôt que titulaires, elles travaillent dans des cabinets comptables et juridiques plus petits que les hommes, et elles occupent des postes dans la finance comme les ressources humaines, qui exigent moins d’heures qu’un emploi tel que la banque d’investissement, expliquait Claudia Coldin dans une interview donnée à la Harvard Business Review en 2021. Elles bénéficient de divers avantages dans leur travail, mais elles gagnent moins aujourd’hui et gagneront souvent encore moins à l’avenir. »

Les raisons de l’accroissement de cette inégalité, qui a, selon elle, commencé dans les années 80 et explosé dans les années 2000, sont encore « explorées » par la recherche. Et l’objectif d’égalité au sein des couples est souvent rattrapé par la réalité économique.

« Plutôt que de voir les deux personnes renoncer à des emplois mieux rémunérés pour des emplois plus flexibles, un seul membre du couple devra le faire, et c’est souvent la femme, note-t-elle. Par conséquent, s’il s’agit d’un couple hétérosexuel, l’inégalité entre les sexes s’accroît généralement lorsque la femme prend du recul par rapport à sa carrière. Même pour les couples de même sexe, le travail cupide servira à bouleverser l’équité du couple, mais n’ajoutera pas à l’inégalité entre les sexes. »

Le Covid a-t-il remis en cause le prix de la flexibilité ?

La pandémie de Covid a eu de nombreuses conséquences sur le monde du travail et les pratiques de chacun, notamment des conséquences qu’elle estime « positives » sur ce rapport à la flexibilité. « Autrefois, pour réaliser une fusion-acquisition en Corée, il fallait se rendre à Séoul, ou pour conclure une affaire au Japon, il fallait se rendre à Tokyo, détaillait-elle dans une interview auprès de Behavioral Scientist. (...) Mais si vous pouvez en fait le faire par Zoom, si vous pouvez établir la confiance nécessaire à la fusion et à l’acquisition, si vous pouvez établir la relation nécessaire à la signature du contrat, et que vous n’avez pas à voyager, alors ce que vous avez fait, c’est augmenter la productivité de l’emploi flexible. »

Parmi les solutions proposées pour réduire le prix du « travail cupide », elle suggère de partager plus équitablement le travail domestique et tout ce qui touche au « care » (s’occuper des autres), tout en reconnaissant que cela prendra du temps. « Changer les normes de genre à la maison et dans la société est la partie la plus difficile », affirmait-elle ainsi auprès du Behavioral Scientist. Autre levier de changement : passer par des politiques publiques, en réduisant le prix des soins, soit pour les enfants, soit pour les personnes âgées. Et là aussi, cela risque d’être long.

À voir également sur Le HuffPost :

Le prix Nobel de la paix 2023 remis à Narges Mohammadi pour son combat pour les droits des femmes en Iran

Le Français prix Nobel de physique explique pourquoi il est parti enseigner aux États-Unis