Prix Goncourt : « Le mage du Kremlin », un livre au héros pas si fictif

The Kremlin's Spasskaya tower and St. Basil's cathedral are photographed in Moscow, on February 3, 2022. - The Kremlin criticised, on February 3, 2022 German regulators for banning the German-language service of Russian state TV network RT. Russian Foreign Minister Sergey Lavrov said reciprocal measures were imminent. (Photo by Alexander NEMENOV / AFP) (Photo by ALEXANDER NEMENOV/AFP via Getty Images)

LITTÉRATURE - L’heure du verdict a bientôt sonné. Ce jeudi 3 novembre, les dix membres de l’Académie du Goncourt doivent couronner, comme le veut la tradition, depuis le restaurant Drouant, à Paris, l’un des quatre finalistes en lice pour leur prestigieuse récompense.

Alors que nous entrons dans le neuvième mois de guerre en Ukraine, l’un d’eux a tout particulièrement attiré l’attention de la presse. Il s’agit du premier roman de l’écrivain franco-suisse Giuliano da Empoli, Le mage du Kremlin, pour lequel il a reçu il y a quelques jours le Grand Prix de l’Académie française. Paru au mois d’avril chez Gallimard, il a été écrit avant le début de l’invasion russe.

Son récit, qui nous replonge dans l’histoire de la Russie depuis l’éclatement de l’URSS, c’est celui d’un homme aujourd’hui retiré des hautes sphères publiques. Cet homme, il était au cœur du pouvoir et avait les faveurs du tsar. Ancien producteur de téléréalité, il était devenu l’éminence grise de Poutine.

Celui qu’on appelait « le mage du Kremlin » ou « le nouveau Raspoutine » n’avait pourtant pas « de rôle bien défini au début, écrit Giuliano da Empoli. Il se manifestait dans le bureau du président quand les affaires courantes étaient expédiées.» Et depuis qu’il a disparu, les légendes courent au sujet de Vadim Baranov. Notre narrateur l’a retrouvé. Une nuit, tapis dans l’ombre de ses bibliothèques, il s’est confié.

Vadim Baranov ou Vladislav Sourkov ?

Attention à ne pas tomber dans le piège, c’est une fiction. Elle est toutefois inspirée de faits et de personnages réels, et plus précisément d’un homme : Vladislav Sourkov. Né en entre 1963 et 1965 (personne ne sait), Vladislav Sourkov est un homme d’affaires russe. Il n’est pas seulement considéré comme l’ancien homme de l’ombre de Vladimir Poutine, il est aussi, aux yeux de beaucoup d’historiens, le fondateur de l’idéologie et de la propagande du Kremlin, celui à qui on attribue les concepts de « démocratie souveraine » et de « verticale du pouvoir ».

Fan de rap, parolier pour un groupe de rock, grand amateur de théâtre avant-gardiste, écrivain à ses heures perdues… On le décrit comme un fin stratège au profil atypique. Mais voilà, depuis 2020 : silence radio. Il a disparu des radars. Est-il encore en vie ? Ou en résidence (très très) surveillée ? Mystère.

C’est en travaillant sur son essai Les ingénieurs du chaos, un texte traduit en douze langues, que Giuliano da Empoli s’est familiarisé au personnage, nous renseigne Le Monde. « Bien que j’aie tout de suite été frappé par [lui], j’ai choisi de ne pas l’insérer dans mon livre. La possibilité d’en faire quelque chose d’autre me trottait dans la tête. Il est tellement romanesque qu’il m’a libéré et poussé à devenir romancier », confie l’auteur, quatre années d’enquête sur Vladislav Sourkov au compteur.

Les points communs

Né en 1973 à Neuilly-sur-Seine, Giuliano da Empoli est un fin connaisseur du monde géopolitique. Écrivain donc, il a aussi été le conseiller politique de l’ex-président italien du conseil des ministres Matteo Renzi, en plus d’avoir occupé la fonction de maire adjoint à la culture à Florence. Il est aujourd’hui président d’un think tank baptisé Volta, à Milan. Du fait de son parcours et de ses lectures, il est passionné par les mécanismes, les stratégies internes et les rouages du pouvoir.

Dans Le mage du Kremlin, c’est ce qu’il a voulu retranscrire à travers le récit fictif de son héros, dont il a recontextualisé avec fidélité la véritable carrière politique, à l’image du dossier ukrainien dont Vladislav Sourkov fut chargé jusqu’en 2014, veille de l’annexion de la Crimée. Là où il prend des libertés, c’est sur la dimension tragique de son personnage à qui il prête des discours imaginaires, nous dit Le Monde, mais aussi sur ses origines. Le vrai Sourkov vient de Tchétchénie, pas de Russie. Il est né d’un père instituteur, pas aristocratique.

Si la plupart des romans en lice pour le Goncourt sont piochés parmi les titres de la rentrée littéraire précédant la remise du prix, celui-ci, paru au printemps dernier, fait figure d’outsider. Le brouillage des frontières entre réalité et fiction, la masse de connaissances qu’il nous transmet ou sa résonance avec l’actualité vont-ils jouer en sa faveur face aux romans de Makenzy Orcel, Cloé Korman et Brigitte Giraud ? Réponse ce jeudi.

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