Pourquoi certains "vrais" fans sont frustrés par le NBA Paris Game

Les premières images des joueurs des Cleveland Cavaliers sur le sol français ont fait naître en lui un sentiment étrange. Habitué à suivre sa franchise de cœur à des milliers de kilomètres (avec le décalage horaire qui va avec), Loïc, 22 ans, est partagé entre sa fierté de voir ses poulains débarquer sur le sol français… et la frustration de ne pas pouvoir participer à la fête.

"Me dire qu’ils sont à quelques centaines de kilomètres de moi, à 2h30 de train… C’est frustrant, confie ce fan des Cavs, amoureux de la franchise de l’Ohio depuis 2011 et l’arrivée d’un certain Kyrie Irving en NBA. Il y a un petit goût amer. Quand je vois les vidéos de Donovan Mitchell à l’entraînement à Paris, quand je vois Darius Garland sous la Tour Eiffel… Me dire que j’aurais pu y être pour pas grand-chose, ça me rend triste et en colère."

Comme Loïc, contraint de suivre ce match évènement depuis chez lui, à Besançon, ils sont nombreux à ne pas avoir leur précieux sésame pour ce NBA Paris Game 2024, qui oppose les Cleveland Cavaliers aux Brooklyn Nets ce jeudi à l’Accor Arena (20h). "Quand les Cavs sont arrivés en France, ça n’a pas été de la joie mais beaucoup de tristesse chez nos fans, assure Guillaume, 27 ans, administrateur du compte X (anciennement Twitter) Cavs Nation France. Ils étaient juste dégoûtés de savoir les joueurs si près sans pouvoir les voir. J’essaye quand même de le faire vivre comme une fête."

"Des sommes astronomiques pour toucher le plafond et la ventilation de l'Accor Arena"

Pour cette troisième édition du Paris Game, la rencontre a une nouvelle fois été plébiscitée, avec plus de 10.000 places vendues en quelques minutes en novembre dernier lors de l’ouverture de la billetterie. Malgré ce succès, quelques places étaient encore disponibles à la vente dans la dernière ligne droite cette semaine, offrant à Loïc et tous ces fans des Cavaliers ou des Nets restés sur le carreau l’opportunité d’être présents. Sauf qu’un obstacle de taille a douché leur enthousiasme: le prix des places, jugé exorbitant.

"Il y a un écrémage qui est terrible au niveau financier. Il faut débourser des sommes astronomiques pour être au fin fond des gradins de l’Accor Arena, tout ça pour toucher le plafond et la ventilation", juge Thomas, 26 ans et community manager du compte Cavs France, suivi par près de 30.000 abonnés sur X. "Venant de Montpellier, est-ce que j’ai vraiment envie de mettre des centaines et des centaines d’euros pour être tout en haut dans des catégories dégueulasses, avec une visibilité réduite? À ce prix là, autant rajouter quelques centaines d’euros et aller voir le match directement sur place. Ça a été le cas pour beaucoup de personnes", abonde Guillaume, son homologue de Cavs Nation France.

Lors de l'ouverture des préventes le 9 novembre, une session réservée aux clients d'une banque en ligne, les catégories de places les moins chères ont toutes été épuisées. Résultat: seuls les billets dépassant les 300 euros l'unité étaient encore disponibles à la vente au grand public, le 10 novembre. Au grand dam des amoureux de basket, qui n’ont pas hésité à partager leur colère sous les publications officielles de l'événement.

Ce mercredi, à un peu plus de 24 heures de la rencontre, il fallait être prêt à débourser entre 355 euros et 665 euros pour s’offrir l’une des quelques places restantes. Depuis la première édition du Paris Game, en 2020, les tarifs pratiqués ont toujours été vivement critiqués. La NBA, de son côté, s’est régulièrement défendue en mettant en avant "l’expérience unique" vécue par ses fans pour assister à la seule rencontre de saison régulière délocalisée en Europe. Et les travées de l’Accor Arena, toujours bondées quand le grand soir arrive, ne peuvent que lui donner raison.

"Squeezie, Mbappé et les Avengers… mais très peu de fans de basket"

Depuis 2020 et la première affiche de saison régulière dans la Ville lumière, une autre donnée a eu tendance à agacer certains fans: les invitations réservées aux influenceurs, qu’ils soient de la sphère basket… ou non. "C’est un évènement showbizz plus qu’un événement pour les fans. C’est plus un événement pour les Américains qui veulent voir le match à Paris plutôt que pour les fans de NBA en France, résume Guillaume (Cavs Nation France). On va avoir plein d’influenceurs qui n’y connaissent rien au basket. On va vraiment avoir tout le monde hein, on va avoir Squeezie, Kylian Mbappé et les Avengers… mais très peu de fans de basket."

Dans le traitement de la NBA en France, les comptes communautaires dédiés au suivi de l’actualité de chaque franchise ont une place prépondérante. Gérés par des fans, ils sont énormément suivis sur les réseaux sociaux et font partie intégrante du paysage. "C’est dommage de se dire qu’on soit obligé de courir un peu partout pour avoir des places alors qu’on passe toutes les nuits éveillés pour faire vivre les matchs en direct. C’est un peu frustrant, mais ça fait partie du jeu, indique Baptiste (26 ans), CM du compte Nets France (plus de 12.000 abonnés sur X). Sur les 15.000 places, qu’est-ce que ça coûte de prendre une cinquantaine de places pour les fans, pour les comptes communautaires? Après, la NBA est une entreprise qui pense à son portefeuille, c’est totalement logique."

Après un long suspense, il a finalement reçu son invitation pour assister au match. La bonne nouvelle est tombée à quelques heures du match ce jeudi, et elle est venue tout droit... des Brooklyn Nets en personne, avec qui il était en contact depuis plusieurs semaines.

Comme ses camarades qui gèrent les comptes de Cavs France et de Cavs Nation France, Baptiste a également été invité par la NBA à assister aux entraînements et aux conférences de presse des deux franchises. Mercredi, ils ont donc pu approcher ceux dont ils ont pris l’habitude de conter les exploits à distance. "C’est même mieux, peut-être, que de voir les joueurs pendant le match, où on est loin. Là, on était tout près d’eux", savoure Baptiste.

Le match n'est qu'un prétexte

"On ne va pas cracher dans la soupe", appuie Guillaume, qui s’estime déjà chanceux d’avoir reçu des invitations pour assister aux différents événements médiatiques programmés en amont du match. Dans l’ensemble, tous sont conscients de l’enjeu de ce NBA Paris Game. "La NBA veut toucher des nouveaux publics. C’est sûr qu’entre inviter Seb La Frite ou inviter Cavs France, en termes de retombées économiques ou de nouveaux abonnés, il y a une différence énorme, concède Thomas. Nous, on touche un public de connaisseurs avant tout, donc des gens qui continueront de regarder la NBA quoi qu’il arrive. Forcément, on le regrette un peu, mais on comprend la logique qu’il y a derrière."

L’intérêt sportif du match, et par ricochet l’identité des deux franchises sélectionnées, est secondaire. La rencontre est seulement la vitrine, voire un prétexte pour que tout l’éco-système NBA aille à la rencontre de ses sponsors. Avec ses nombreux stands dédiés aux partenaires, la NBA House, installée pendant quatre jours (10-13 janvier) au Carreau du Temple, en plein centre de Paris, en est la meilleure illustration. "On trouve que le succès de la billetterie est extraordinaire. Mais l’impact et l’intérêt de ces rencontres à Paris, c’est avant tout la plateforme qui est mise en place pendant une semaine, décrypte Julien Lepron, expert basket à l’Observatoire du Sport Business. Quand vous regardez le programme de la semaine, le match est la porte d’entrée. Mais c’est avant tout une plateforme qui est produite en Europe pendant toute la semaine."

Dans cette optique de développer son business en France, son marché le plus important sur le Vieux Continent, la NBA est sans cesse à l’écoute des nouvelles opportunités. Et si cela doit passer par les comptes tenus par les fans des franchises, elle n’hésitera sans doute pas. "Des invitations à l’avenir pour les comptes communautaires? Honnêtement, j’y crois. On est moins loin qu’avant, avance Guillaume de Cavs Nation France. Il y a l’effet Victor Wembanyama qui est énorme. On sent une volonté de la NBA d’aller de plus en plus vers la France. Il y a une vraie connexion en train de se créer entre la France et les Etats. NBA Europe est récemment venue tâter le terrain en nous proposant un partenariat au niveau des League Pass."

"Il y a encore plein de choses à régler. C’est seulement la troisième édition du Paris Game, conclut de son côté Baptiste (Nets France). Ce sont des choses à mettre en place. On sait que la NBA n’est pas fermée à l’idée de faire évoluer son entreprise. Si on continue de proposer des choses, peut-être qu’un jour ils nous écouteront." Rendez-vous dans un an, avec la venue annoncée d’un certain Victor Wembanyama?

Article original publié sur RMC Sport