"Si personne ne rit, on coupe": comment les projections test façonnent les comédies françaises
En comédie, tout est affaire de timing. Il suffit souvent d'un tout petit rien, un gag trop court ou trop long, pour rater un rire. Pour être sûrs de faire mouche, de plus en plus de réalisateurs multiplient les projections test. Des séances secrètes où des spectateurs sélectionnés découvrent une version non terminée du film et donnent leur avis sur ce qui fonctionne ou non.
Ce système importé des Etats-Unis fait l'unanimité auprès des stars françaises de la comédie. "C'est très intéressant de voir comment un public qui ne connaît pas le film va réagir", plébiscite Christian Clavier, actuellement à l'affiche de Cocorico. Grâce à un questionnaire fourni en fin de projection, le public livre ses impressions et de précieuses indications pour peaufiner le rythme de la comédie.
Philippe Lacheau, Albert Dupontel ou encore Olivier Nakache et Éric Toledano s'appuient sur ce système depuis des années. Depuis 9 mois ferme, Dupontel multiplie les projections test. L'infatigable réalisateur en organise plusieurs dizaines jusqu'à ce qu'il soit complètement satisfait. Idem pour le duo d'Intouchables, qui enregistre les rires et les réactions des spectateurs pour peaufiner au millimètre près son montage.
"La projection test, dans le cadre d'une comédie, participe à enlever ce qui superficiel", résume Philippe Pollet-Villard, réalisateur de Tombés du camion, comédie sur les migrants avec Patrick Timsit et Valérie Bonneton (en salles le 27 février). "C'est le partage, c'est surprenant, c'est vivant." "Si personne ne rit, on coupe", s'amuse Ludovic Bernard, réalisateur d'Ici et là-bas avec Ahmed Sylla et Hakim Jemili (en salles le 17 avril).
"Un outil indispensable"
Si cette expérience est souvent "douloureuse, parce qu'on voit où ça ne rit pas", elle reste indispensable, confirme Jérémie Sein, réalisateur de L'Esprit Coubertin, une satire des JO au cinéma le 8 mai. "Ça m'a été très utile. Le premier tiers était beaucoup trop long. Les premiers rires arrivaient tardivement. J'ai tout remanié et à l'Alpe d'Huez, lors de l'avant-première publique, ça a ri au bout d'une minute trente."
"Ca rassure d'entendre les rires", renchérit Max Mauroux, réalisateur de Presque légal, teen movie décalé en salles le 17 juillet. "La limite de la comédie, c'est que les gags s'usent en les revoyant pendant qu'on travaille sur le montage. On devient un peu blasé. L'avantage de la projection test, c'est qu'on peut les voir fonctionner à neuf devant des yeux vierges."
Jusqu'à présent, ces projections se déroulaient après l'étape du montage, une fois le film terminé. "Ça n'avait pas beaucoup de sens. Le film était terminé donc on ne pouvait plus rien changer. Maintenant que c'est intégré au processus, on peut changer des choses qui sont de l'ordre du détail mais qui sont hyper importantes", se réjouit Kev Adams, star de Maison de retraite 2.
"On avait déjà fait des projections test sur le premier Maison de retraite et elles étaient très enrichissantes. Sur la suite, elles l'étaient encore plus", poursuit le comédien, également co-scénariste et co-producteur de ces comédies familiales dénonçant les dysfonctionnements des ehpad. "Les projections test, c'est une chance. C'est un outil qui doit devenir indispensable pour les comédies dans les années à venir."
Des blagues sauvées par le public
Claude Zidi Jr., qui a eu recours pour la première fois aux projections test sur Maison de retraite 2, estime que ce système permet d'accélérer le montage. Grâce aux retours des projections, le film a perdu dix minutes et gagné en fluidité. "Le premier montage faisait 1h52. C'était un peu long. On a coupé des queues de scènes, une petite vanne qui tombait à l'eau. Parfois on a ajouté des blagues, parfois on en a enlevé."
Certaines blagues que Kev Adams voulait enlever ont ainsi été sauvées grâce à l'enthousiasme du public. Notamment une réplique de Rico (Enrico Macias), senior dur d'oreille, à propos de Fleurette (Firmine Richard), qu'il tente de séduire: "On lui dit 'Sens toi à ton aise' et il comprend 'Tu veux que je la baise?' Je la trouve beaucoup trop virulente. Mais on a fait trois projections test où le public était mort de rire à chaque fois."
"Peut-être que c'est moi qui l'imagine trop violente dans l'écriture mais dans la bouche d'Enrico Macias, il y a un côté un peu doux, un peu fou, un peu décorrélé de la réalité", complète l'humoriste, qui s'est particulièrement investi dans la post-production du film. "Ça m'intéresse de savoir où le public a ri, les personnages qu'ils préfèrent ou pas. On a essayé d'être à l'écoute du public."
Kev Adams a ainsi rallongé "d'une dizaine de secondes" une séquence entre son personnage et une vieille femme perdant la raison. "Elle était plus courte dans le premier montage mais on l'a rallongée parce qu'on sentait que le public plébiscitait à fond cette scène. Ils nous disaient que ça leur faisait du bien de respirer avec de l'émotion au milieu de ces gags."
Mettre du gras
Florent Bernard a eu des retours similaires sur Nous, les Leroy, comédie dramatique sur un couple en plein divorce récompensée à l'Alpe d'Huez (en salles le 7 avril). "Mon premier montage était plus court que le film terminé. Je suis quelqu’un de très 'cut', de très 'speed'. C'est un peu l'école Internet", confie le créateur du Floodcast. "Après les premières projections test, mes producteurs m’ont dit de mettre du gras."
"À cause des rires, certaines punchlines peuvent passer inaperçu", précise encore Ludovic Bernard, réalisateur de plusieurs comédies populaires comme L'Ascension et Dix jours sans maman. "On s'en rend compte lors de ces projections et ça nous permet de revenir au montage pour décaler un peu le temps et de bien entendre la punchline pour obtenir un deuxième rire."
Cet outil se révèle également très précieux quand il est impossible de retourner certaines scènes comme aux Etats-Unis. "Faire des 'reshoots', ça veut dire réengager toute une équipe. On rentre dans des conventions. C'est très complexe", rappelle Kev Adams. "Par contre, rien ne nous empêche de tourner trop et ensuite de faire plusieurs projections test avec des scènes différentes pour laisser le public choisir."
Entre 15.000 et 18.000 euros
Malgré un budget restreint, Jérémie Sein a pu ajouter dans L'Esprit Coubertin quelques séquences drôlatiques avec le duo Dava pour combler des sautes de rythme repérées en projection test. "On pouvait se le permettre parce que c'était un tournage sur un plateau prêté par Canal. Et ça ne durait qu'une demi-journée. On n'aurait pas pu faire de vraies retakes. Ça nous a permis de retravailler l'écriture, ce qui est rare."
Le recours à ces projections test n'est pas systématique, souvent pour des raisons de budget. Il faut compter en effet "entre 15.000 et 18.000 euros" par séance auprès d'entreprises comme Do The Right Movie, indique Romain Bremond, producteur de Et plus si affinités, comédie multiprimée au festival de l'Alpe d'Huez. "On ne l'a pas fait sur ce film parce que c'est un petit budget, mais on l'a fait sur Dix jours sans maman".
Pour certains films, la production estime qu'il n'est pas nécessaire de les faire. C'était le cas pour Les Déguns, d'après une web-série marseillaise à succès. "C'est un film de niche, pour un public très particulier", confie son réalisateur Claude Zidi Jr. "Karim et Nono (les stars des Déguns, NDLR) savent exactement ce que le public veut. Ils le connaissent par cœur. Ils ont fait quatre saisons sur YouTube."
Parfait pour le marketing
Les questionnaires remplis à l'issue de ces projections aident aussi pour le marketing, précise Daniel Preljocaj, producteur de Et plus si affinités. "On est dans le film dès l'écriture. On n'a plus de recul. La projection test nous ramène vers le marché du public. Ça permet de mieux appréhender la cible. On peut avoir des intuitions sur notre cible mais on peut aussi minorer une catégorie susceptible de beaucoup aimer le film."
"Ça nous aide enfin pour la bande-annonce", ajoute Romain Bremond. "Ça nous permet d'identifier les séquences très efficaces et les personnages sur lesquels il y a beaucoup d'empathie ou pas. Dans 10 jours sans maman, le personnage préféré était le petit garçon puis Franck Dubosc. On savait donc qu'il fallait le mettre en avant. Il crée beaucoup d'empathie et d'envie du public." Résultat: 1,1 million de spectateurs en salles.
Ces projections ne sont pas toutefois infaillibles, prévient Caroline Bonmarchand, productrice de L'Esprit Coubertin et d'Énorme avec Jonathan Cohen et Marina Foïs: "Ca permet d'arrive à un consensus, mais le consensus, ça ne fonctionne pas au cinéma. Il faut avoir une croyance forte en notre projet et y aller à fond. Savoir que 75 % des personnes ont aimé la bande-annonce, ça ne va pas nous aider à rendre le film meilleur."