Paris 2024 : Pierre de Coubertin mérite-t-il l’hommage que le CIO lui rend à La Sorbonne ?

SPORT - Le 23 juin 1894, dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, le baron Pierre de Coubertin, alors âgé de 31 ans, pose les jalons de l’œuvre de sa vie : faire renaître les Jeux olympiques avec des sports modernes. Il n’est donc pas étonnant qu’un hommage lui soit rendu 130 ans plus tard, dans cette même salle, tandis que dans un peu plus d’un mois doit s’ouvrir Paris 2024.

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Mais celui considéré par tous comme le père fondateur des Jeux olympiques modernes, reste une figure controversée. Il est aujourd’hui accusé de racisme, de misogynie et de complaisance avec les nazis à l’occasion des JO de Berlin de 1936. Retour sur la vie de cet aristocrate controversé.

Pierre de Coubertin est né le 1er janvier 1863 à Paris d’une famille d’aristocrate. Après avoir échoué aux concours pour intégrer l’école militaire de Saint-Cyr, il part au Royaume-Uni et aux États-Unis. Au cours de ses voyages, il découvre l’importance accordée au sport dans les écoles de ces deux pays. Lui vient alors ce grand projet : réinstaurer les Jeux olympiques, mais avec des sports modernes. Il tente une première fois de faire part de son idée en novembre 1892, lors du cinquième congrès de l’union des sports athlétique. Mais c’est un échec, on entend même des rires moqueurs dans la salle, Pierre de Coubertin ne convainc pas.

Le baron n’abandonne pas pour autant et va user de son réseau pour persuader de l’importance de son projet. C'est chose faite un an et demi plus tard, lorsque le 23 juin 1894 à La Sorbonne est créé le Comité international olympique (CIO).

Il en devient le président en deux ans plus tard et organise les premiers Jeux de Paris de 1900, qui passent totalement inaperçus, à côté de l’Exposition universelle. Vexé, Coubertin se battra pendant vingt ans pour les ramener dans sa ville, en 1924. Après quoi il prendra sa retraite, au grand soulagement d’un CIO qui n’en peut plus de ses manières d’autocrate.

Misogynie et racisme

Un siècle plus tard, les Jeux Olympiques sont de retour à Paris, mais son arrière arrière petite-nièce, Diane de Navacelle de Coubertin, regrette que le baron ne soit pas suffisamment célébré : « Paris 2024 n’a pas fait grand-chose autour de Pierre de Coubertin, ni pour le valoriser ni pour le faire connaître », déclare-t-elle ainsi à l’AFP.

Si sa famille essaye aujourd’hui de le réhabiliter, il ne faut pas pour autant oublier sa misogynie, car le baron était fermement opposé à la participation des femmes à ses Jeux :

« Une petite olympiade femelle à côté de la grande olympiade mâle. Où serait l’intérêt ? (...) Inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-olympiade féminine », écrivait-il dans la Revue Olympique de juillet 1912.

Qu’à cela ne tienne, dix ans plus tard, la sportive Alice Milliat organisa les premiers Jeux féminins au Bois de Vincennes. Et bien qu’il autorisa la participation de quelques femmes aux JO de Paris de 1924, il durcit le ton dans un discours radiodiffusé le 4 août 1935, en vue des JO organisé à Berlin l’année suivante :

« Je n’approuve pas personnellement la participation des femmes à des concours publics. Ce qui ne signifie nullement qu’elles doivent s’abstenir de pratiquer un grand nombre de sports, mais sans se donner en spectacle. Aux Jeux olympiques, leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs. »

Quant aux accusations de racisme, c’est à cause de ses Mémoires conservées aux archives du Comité olympique international, où il écrit : « Dès les premiers jours, j’étais un colonialiste fanatique… Les races sont de valeur différente, et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance. »

Complaisance avec les nazis

Mais on lui reprocha surtout, après sa mort, son admiration sans retenue pour l’organisation grandiose des Jeux de Berlin en 1936 par le régime nazi. « Il a laissé les Nazis s’emparer des Jeux et organisé les JO à deux reprises en 1936 : à Garmisch-Partenkirchen en hiver et à Berlin durant l’été », explique Aymeric Mantioux, journaliste et auteur de Pierre de Coubertin, l’homme qui n’inventa pas les Jeux olympiques, aux éditions du Faubourg.

« Il l’a fait en donnant sa bénédiction et il l’a fait parce qu’il considérait que les jeux de Berlin, tels que l’envisageaient les Allemands et les Nazis étaient l’acmé de sa vision des Jeux Olympiques. Et je pense que c’est une alliance opportuniste, je ne pense pas que ça soit une alliance idéologique », précise-t-il au HuffPost.

Pour Diane de Navacelle de Coubertin, son ancêtre voyait cela comme « un couronnement de l’œuvre de sa vie », reconnaît-elle. « Alors oui, il en est heureux, et émerveillé » . D’autant que le Reich le courtise en organisant, en vain, sa candidature au Nobel de la Paix. Hitler propose même de lui envoyer un train privé pour le ramener de Genève, où il réside, à Berlin. Ce que Coubertin, fort heureusement, refusa.

Il mourra un an plus tard, en 1937, « trop tôt pour être confondu dans l’opprobre, mais trop tard pour être absous de lourdes connivences », résume son biographe Daniel Bermond.

« Il faut certes le replacer dans un contexte historique, mais même à son époque, il n’a jamais été à l’avant-garde, il n’a jamais été un progressiste, et sur certains sujets il est plutôt réactionnaire, en tout cas conservateur », conclut l’historien du sport Patrick Clastres.

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