Non, une nouvelle version d'une étude refusée par le Lancet en 2023 ne prouve pas le lien entre vaccination et décès

Plus de quatre ans après l'arrivée du Covid, suivie de la mise au point de plusieurs vaccins largement utilisés dans le monde, ces injections font toujours l'objet d'infox persistantes, assurant qu'elles sont à l'origine de nombreux décès, en particulier dus à des myocardites. En juillet 2023, des internautes assuraient qu'une étude prouvait que 74% des décès suite à un vaccin Covid étaient causés par ce dernier, en majorité de problèmes cardio-vasculaires. Près d'un an plus tard, de nouvelles infox à ce sujet sont relayées sur les réseaux, assurant que la même étude, "censurée" par The Lancet, aurait finalement été publiée dans une autre revue. Certains renvoient à une autre étude, publiée en janvier par des auteurs communs à la première, et d'autres à l'étude originale finalement publiée fin juin, mais actualisée. Dans les deux cas, ces études ne prouvent pas plus que les vaccins ont tué en masse en provoquant des myocardites, selon les spécialistes interrogés par l'AFP.

"En 2023, The LANCET a censuré et annulé un article révolutionnaire sur les lésions et les autopsies causées par les vaccins COVID-19 en moins de 24 heures, après 100 000 téléchargements. Il vient de passer l'examen par les pairs et sera PUBLIÉ ! 74% des morts subites sont dues au vaccin COVID-19 ! Il va falloir rendre des comptes, les politiques, les médias, les médecins de plateaux TV, l'UE etc ...", écrit le 19 juin sur X Silvano Trotta, dans une publication partagée plus de 1500 fois, avec une copie d'écran de l'étude "censurée" en 2023.

<span>Capture d'écran de X le 24 juin</span>
Capture d'écran de X le 24 juin

Le même type de message est aussi présent sur Facebook depuis la mi-juin, comme dans ce message du 24 juin: "Nous avons constaté que 73,9 % des décès étaient directement dus ou contribués de manière significative à la vaccination contre le COVID-19. Nos données suggèrent une forte probabilité d'un lien de causalité entre la vaccination contre le COVID-19 et le décès. C'est une victoire de la SCIENCE sur la CENSURE !!"

Ces publications en français se font l'écho, pour la plupart, d'un message en anglais publié par William Makis, l'un des auteurs de l'étude. Son post sur X  le 19 juin a été partagé à plus de 3.700 reprises en cinq jours seulement. Comme nous le verrons plus loin, il est connu pour ses publications trompeuses à propos des vaccins Covid.

<span>Capture d'écran de X le 24 juin</span>
Capture d'écran de X le 24 juin

Une étude jamais publiée dans The Lancet

Silvano Trotta et d'autres soutiennent donc que l'étude dont ils s'étaient fait le relais en juillet 2023, selon eux "censurée", a finalement été validée par les pairs et la littérature scientifique.

Mais comme l'écrivions en juillet, l'article en question, intitulé "A Systematic Review of Autopsy Findings in Deaths after COVID-19 Vaccination" n'a pas été publié dans The Lancet (et ne pouvait donc pas être retirée), contrairement à ce qu'ils affirment.

Elle avait été mise en ligne sur un serveur de prépublication associé à la revue, où les chercheurs peuvent télécharger leur travail pendant que ce dernier est examiné par les pairs avant, éventuellement publication. Depuis 2018, The Lancet collabore avec Social Science Research Network (SSRN) pour proposer aux auteurs un espace de prépublication dédié appelé "Preprints with The Lancet" (archivé ici ).

Contacté par l'AFP, le Lancet Group avait confirmé que l'article avait été retiré du serveur, invoquant une méthodologie ne permettant pas d'étayer les conclusions. Le groupe avait aussi insisté: les prépublications "disponibles via le SSRN ne sont pas des publications du Lancet ou ne sont pas nécessairement en cours de révision avec une revue du Lancet".

Parmi les publications trompeuses de juin 2024, certaines renvoient vers le lien d'une étude différente de celle de 2023, publiée en janvier 2024 dans la revue ESC Heart Failure (archive). Elle n'a pas le même titre puisqu'elle s'intitule "Résultats d'autopsies dans les cas de myocardites fatales induites par les vaccins Covid". Autre différence immédiatement visible: elle n'est signée que par quatre des neuf auteurs de la première étude.

Mais surtout, comme l'a relevé auprès de l'AFP le Pr Mahmoud Zureik, professeur d'épidémiologie et de santé publique et directeur de l'agence Epi-phare, qui surveille l'ensemble des produits de santé en France, "cette étude n’a plus rien à voir avec la première puisqu’au lieu de 240 décès on en a 28, ils ont clairement revu leur ambition à la baisse".

Effectivement, en 2023, les auteurs écrivaient "un total de 240 décès (73,9%), [des 325 autopsies examinées en tout, NDLR] ont été indépendamment attribués à un effet direct ou significativement induit de la vaccination Covid". Maintenant, ils évoquent seulement "28 cas d'autopsie" examinés, parmi lesquels ils concluent que "l'ensemble de ces 28 décès ont été très probablement dus à la vaccination Covid", donc un score de 100%.

<span>Capture d'écran d'extraits des études publiées en juillet 2023 et janvier 2024</span>
Capture d'écran d'extraits des études publiées en juillet 2023 et janvier 2024

D'autres messages sur les réseaux sociaux après le 21 juin 2024 partagent le lien d'une nouvelle publication de l'étude originale de juillet 2023, cette fois-ci dans la revue Forensic Science International (archive). Il s'agit bien de l'étude originale, et elle a bien été relue par des pairs, et acceptée par le journal. Elle a fait l'objet d'une actualisation, indique ses auteurs, mais il n'est pas possible de détailler les différences entre la version originale et la nouvelle, puisque celle de juillet 2023 n'a pas été archivée dans sa version complète.

Malgré cette publication en bonne et due forme, la validité scientifique de l'étude reste très contestable.

Des auteurs connus de la sphère conspirationniste

Le profil de trois des auteurs des deux études - Roger Hodkinson, William Makis, Peter A McCullough - pose déjà question.

Peter McCullough est un cardiologue américain qui a déjà fait l'objet de vérifications de l'AFP pour avoir diffusé des informations erronées sur les vaccins Covid-19. Ses affirmations non étayées sur les dangers des vaccins lui ont valu des mesures disciplinaires de la part de l'American board of internal medicine (ABIM). Roger Hodkinson a lui prétendu que la pandémie était un canular, des affirmations abondamment reprises sur les réseaux sociaux en 2020. Quant à William Makis, il a par le passé répandu des affirmations non fondées selon lesquelles des médecins mouraient de la vaccination anti Covid-19.

Des précédents qui incitent Brian Ward, un professeur de médecine expérimentale qui étudie les effets indésirables des vaccins à l'Université McGill au Canada, à la prudence et à la méfiance. "La façon dont ils utilisent le mot 'indépendamment' ici signifie simplement que chacun s'est assis dans une pièce à part pour parvenir à une conclusion personnelle avant de partager leurs classifications (largement prédéterminées) les uns avec les autres", estime-t-il dans un courriel daté du 12 juillet 2023.

Deux études qui ne permettent pas de lier vaccination et mortalité

Reprenons d'abord l'étude de janvier 2024, que des internautes présentent à tort comme la même que celle de juillet 2023. Sur le fond même de l'étude, elle présente une première limite "évidente" selon le Pr Zureik: elle porte sur "28 cas d’autopsie qui seraient liés à la vaccination Covid. Normalement quand on travaille sur aussi peu de sujets, on compense par des informations très détaillées sur chacun d’eux : on connaît leur comorbidités, les circonstances précises des décès, or les auteurs n’apportent pas ces informations".

C'était déjà une critique apportée à l'étude de 2023 par Zhou Xing, professeur d'immunologie à l'Université McMaster, au Canada, qui déplorait qu'elle ne semble pas tenir compte de l'état de santé et de l'âge des personnes décédées pour expliquer leur décès survenu après la vaccination.

Sur la méthode d'analyse aussi, le cardiologue Florian Zores, qui a répondu à l'AFP le 21 juin, exprime ses réserves: "Les auteurs cherchent dans la littérature [scientifique, NDLR] les cas publiés d'autopsies ayant montré des myocardites liées à la vaccination. Et trouvent... des myocardites liées à la vaccination. Sans analyser le nombre de personnes vaccinées ou le nombre d'autopsies en dénominateur. Donc ils trouvent 100 % de ce qu'ils cherchent, mais ça ne veut pas dire comme le prétendent certains sur les réseaux sociaux que 75% des vaccinés font des morts subites".

Comme exemple des failles méthodologiques de l'étude, Florian Zores notent que dans cet article de 2022 par exemple (archive), dans lequel ils puisent des données liées à la vaccination, les auteurs ne retiennent des 51 cas de myocardites relevés que les 3 cas de myocardites associés à la vaccination.

Les deux études de 2023 et 2024 co-signées par Peter Mc Cullough se basent sur d'autres recherches, rappelle par ailleurs le Pr Zureik, dont "les auteurs disent eux-mêmes qu'on ne peut pas déduire de leurs travaux de lien direct entre la vaccination et les myocardites, donc les décès".

Les myocardites, un effet secondaire très rare de la vaccination Covid à ARNm

Les allégations sur les myocardites post-vaccinales sont légion depuis 2021, et ont fait l'objet de plusieurs articles de vérification de l'AFP, ici notamment sur des publications qui affirmaient à tort, que 10% des personnes vaccinées étaient touchées, ou là sur d'autres qui assuraient sans fondement qu'un million de Français étaient concernés.

Les myocardites, une inflammation du muscle du coeur, sont reconnues depuis l'été 2021 comme des effets indésirables pouvant survenir suite à une vaccination contre le Covid-19 par un vaccin à ARN messager (archive).

"Le problème c’est d’avoir dit les vaccins n’ont pas d’effet indésirable, bien sûr qu’ils en ont, peu nombreux et peu fréquents! Mais ils protègent d’un risque de forme grave pour soi, mais aussi pour les autres", explique le Pr Zureik, précisant: "La vaccination Covid donne des myocardites, avec un risque très faible, puisqu’il faut des dizaines de milliers de doses pour un cas. Donc avec 7 milliards de doses dans le monde, on peut pas exclure qu’il y ait eu des décès dus à des myocardites suite à des vaccinations".

Autre élément d'interrogation selon lui: "certains cas relevés par les études de 2023 et 2024 sont survenus après des vaccinations non à ARN messager, or aucune étude jusqu’à présent n’a montré de myocardites après des vaccins pareils".

Enfin, rappelle le directeur d'EpiPhare, "En terme de bénéfice du vaccin, si on prend la période avant la vaccination, il y a eu en France plus de 30.000 hospitalisations de -50 ans, dont plus de 400 morts au moins dans cette tranche d’âge. Ces chiffres ont littéralement fondu après la vaccination".

25 juin 2024 avec nouvelles publications trompeuses mentionnant une nouvelle validation de l'étude de 2023