"On n'était pas au courant": les syndicats enseignants réagissent au gonflement des chiffres du brevet

Gonfler artificiellement les moyennes des élèves au brevet et par conséquent les taux de réussite. C'est une "très très vieille pratique" en vigueur dans la plupart des académies appelée le "correctif académique".

D'après les chiffres d'une simulation effectuée par Matignon, transmis à BFMTV et au Figaro, en 2023, le taux de réussite de la filière générale de l'académie de Créteil a par exemple été rehaussé de presque 6 points, passant de 82.19% à 88.08%.

De même dans l'académie de Nice ou de Versailles où le taux de réussite a été augmenté de 5 points environ. Ou encore dans l'académie de Rennes -déjà réputée pour ses performances- qui a gonflé de 1.64 point son taux de réussite en 2023, atteignant le taux de le plus élevé de France avec 94.22%.

Dans les départements et régions d'outre-mer, à Wallis-et-Futuna, cette artificialisation a même atteint 16.22 points, faisant passer le taux de réussite de 75.68% à 91.89%.

"On n'était pas au courant"

Cette possibilité "qu'avait un recteur d'augmenter l'ensemble des moyennes des élèves de son académie au diplôme national du brevet après la délibération du jury", comme l'explique Édouard Geffray directeur général de l'enseignement scolaire à BFMTV, est censée prendre fin en 2024. C'est du moins ce qu'a annoncé Gabriel Attal en décembre 2023, lorsqu'il était encore ministre de l'Éducation nationale. Un souhait confirmé le 14 mars dernier, en tant que Premier ministre, "assumant" que "le taux de réussite au brevet va certainement diminuer".

Cette annonce laisse les syndicats concernés, et que nous avons interrogés, plutôt sceptiques. Premièrement car elle a révélé à certains de ces groupes l'existence de cette pratique.

"On n'était pas au courant, au départ, on a eu du mal à comprendre ce que c'était vraiment", affirme Jérôme Fournier, le secrétaire national du syndicat SE-Unsa.

Même son de cloche du côté de Laurent Gomez, secrétaire national du Sgen-CFDT. "Nous, on est au courant que pour l'harmonisation des notes", assure-t-il.

Les commissions d'harmonisation sont en effet plus connues et visent à gommer les disparités d'un correcteur à l'autre. Le correctif académique intervient lui après cette étape, via la main du recteur.

Le secrétaire général du syndicat national des collèges et des lycées (SNCL), Norman Gourrier, se dit quant à lui averti de la situation et affirme se battre pour mettre fin à cette artificialisation des notes "depuis le départ". "On retire la propriété de notation aux professeurs", déplore ce dernier qui voit dans l'interdiction du "correctif académique" une manière de restaurer "l'autorité du professeur".

Le directeur général de l'enseignement scolaire, Édouard Geffray, explique en effet que mettre fin au correctif académique a pour but de "redonner de la valeur" au brevet" mais aussi de rétablir la confiance avec les professeurs.

"Qu'entre professeurs, il y ait une harmonisation, ça c'est normal mais qu'ensuite on repasse derrière eux pour éventuellement rehausser les notes artificiellement, ça, ça ne l'est pas", déclare-t-il.

"Il y a une instrumentalisation de l'école"

Pour le syndicat SE-Unsa, l'interdiction a "du sens" car "l'évaluation doit être juste et comprise des élèves". "Un examen ce n'est pas quelque chose que l'on cache et que l'on modifie", abonde son secrétaire national Jérôme Fournier qui déplore toutefois que "la communication politique passe avant l'efficacité éducative".

"On n'aime pas la manière dont le Premier ministre utilise le brevet. Il ne cherche pas à savoir si ces mesures sont utiles pour les élèves, il veut seulement faire baisser les résulats car il estime que plus les chiffres sont bas, plus l'examen a de la valeur", souligne le syndicaliste.

"Une instrumentalisation" également dénoncée par le syndicat SGEN-CFDT qui s'étonne de la communication des chiffres aux médias par Matignon.

"Il y a une instrumentalisation de l'école à des fins électorales", affirme son sécrétaire national Laurent Gomez qui soupçonne Gabriel Attal de "chasser sur les terres du Rassemblement national" en mettant en avant "l'importance du diplôme". Un diplome qu'il "sacralise" alors qu'il "n'a pas de valeur sur le marché du travail" et que "les problèmes de l'école ne sont pas là".

"Le Premier ministre joue au pompier pyromane", ajoute-t-il.

Avec moins de défiance, le SNCL voit plutôt dans l'annonce du Premier ministre "une occasion pour le gouvernement de regagner la confiance des professeurs" et de montrer que les annonces faites "ne sont pas que du vent."

"C'est la première mesure du 'Choc des savoirs' (une campagne lancée par Gabriel Attal en décembre 2023 destinée à renforcer le niveau des élèves, NDLR) que l'on va pouvoir percevoir sur le terrain, voir si elle est appliquée ou pas", déclare son secrétaire général Norman Gourrier.

Il souligne dans le même temps l'importance d'assurer la communication auprès des familles pour expliquer "pourquoi au sein d'une fratrie" des différences notables pourront être perçues dans les résultats. Et préciser que "les élèves ne sont pas moins bons mais que c'est seulement un curseur qui se rééquilibre".

Et les moyens?

La fin du "correctif académique" survient avec la réforme du brevet annoncée par le chef du gouvernement. Dès 2025, l'obtention du brevet sera obligatoire pour entrer en classe de seconde au lycée. Et l'examen comptera pour 60% de la note finale, contre 50% actuellement, les 50% restants étant issus du contrôle continu.

Si un élève n'a pas son brevet mais est accepté en classe de seconde, il aura la possibilité d'intégrer "une prépa seconde". Soit "une année de sas", "une classe faite pour consolider les acquis", se préparer à la seconde en abordant quelques notions en amont ou encore améliorer ses méthodes de travail, explique le directeur général de l'enseignement scolaire, Édouard Geffray.

Un dispositif expérimenté pour les élèves volontaires à la rentrée 2024, dans 100 lycées, dans toute la France, un par département. Ce système laisse également perplexe les syndicats.

"Je doute que les élèves se portent volontaires, personne n'ira. Puis il n'y a pas de texte qui permet de généraliser le dispositif après l'année prochaine", constate Jérôme Fournier du SE-Unsa déplorant également qu'il n'y "ait pas de programme établi, pas de référentiel".

Se pose également la question des moyens consacrés à sa mise en place. "Dans quels locaux? Avec quels professeurs? Étant donné que le ministère arrive tout juste à trouver des professeurs pour assurer les stages de réussite (des stages de remise à niveau proposés durant les vacances aux élèves, NDLR)", questionne Norman Gourrier du SNCL.

Il ajoute: "Il aurait fallu un moratoire d'une année pour estimer les besoins, le budget nécessaire pour la rentrée 2025, et trouver les créneaux horaires nécessaires. Le problème c'est que le ministère veut aller plus vite que la musique".

Article original publié sur BFMTV.com