Brevet: comment les taux de réussite des collégiens ont été gonflés pendant des années

Les recteurs avaient la possibilité d'augmenter la moyenne des élèves de leur académie afin de gonfler les taux de réussite au brevet. Une pratique, appelée le "correctif académique", qui sera pour la première fois interdite cette année, comme l'a annoncé Gabriel Attal ces derniers jours.

Une pratique méconnue. Chaque année, les notes du brevet sont gonflées artificiellement, et par conséquent le taux de réussite de cet examen national enfle, explique Le Figaro ce jeudi 21 mars. Ce bidouillage porte pourtant un nom et était jusqu'ici autorisé: on parle du "correctif académique".

"C'est la possibilité qu'avait un recteur d'augmenter l'ensemble des moyennes des élèves de son académie au diplôme national du brevet après la délibération du jury", explique Édouard Geffray, directeur général de l'enseignement scolaire à BFMTV.

"Pas d'inégalité de traitement"

Il détaille: "Autrement dit, les copies étaient corrigées, les notes étaient attribuées, les élèves avaient donc une moyenne et puis le recteur pouvait remonter par exemple toutes les moyennes d'un demi-point, ce qui avait pour effet, mécaniquement, d'augmenter le taux de réussite des élèves à l'examen".

À ne pas confondre donc avec les commissions d'harmonisation, plus connues, qui visent à gommer les disparités d'un correcteur à l'autre, "un paramètre d'égalité". Le correctif académique intervient lui après cette étape, via la main du recteur.

"Il n'y avait donc pas d'inégalité de traitement, c'est-à-dire que tous les élèves d'une académie étaient relevés à la même proportion, mais en revanche, il y avait une différence qui se créait entre la note donnée par les professeurs et la note, effectivement, attribuée à la fin, à l'élève", souligne Édouard Geffray.

Presque 6 points à Créteil, 5 points à Nice et Versailles...

Cette "très très vieille pratique" était utilisée "dans quasiment toutes les académies". Avec un gonflement du taux de réussite allant parfois jusqu'à 6 points supplémentaires, voire 16 points dans les départements et régions d'outre-mer.

Par exemple, d'après les chiffres d'une simulation effectuée par Matignon, transmis à BFMTV et au Figaro, en 2023, l'académie de Créteil a fait passer son taux de réussite de sa filière générale de 82.19% à 88.08% soit un écart de 5.89 points.

L'académie de Nice a rehaussé ce pourcentage de 5.12 points passant le taux de réussite de 83.99% à 89.11%. Celle de Versailles a également effectué une augmentation de 5 points ou encore celle de Limoges de 4.38 points. Même l'académie de Rennes, déjà réputée pour ses performances, a gonflé de 1.64 point son taux de réussite en 2023, atteignant le taux de le plus élevé de France avec 94.22%.

À l'inverse, des académies -où les difficultés scolaires sont plus prégnantes- n'ont quant à elle quasiment pas touché à leurs chiffres. Comme à Paris où 0.78 point a été rajouté pour atteindre 91.03%, ou encore à Amiens avec 0.07 point supplémentaire, à Reims avec 0.08 point de plus et à Lyon avec 0.23 point supplémentaire.

C'est dans les départements et régions d'outre-mer que cette artificialisation des notes est la plus importante. Si en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie, le taux de réussite a été respectivement gonflé de 0.81 point et de 5.12 points, à Wallis-et-Futuna, il a été augmenté de 16.22 points, passant de 75.68% à 91.89% de réussite.

"Désormais c'est fini, c'est interdit"

Gabriel Attal, alors ministre de l'Éducation nationale en décembre 2023, avait annoncé vouloir mettre fin à cette pratique. Un souhait confirmé le 14 mars dernier en tant que Premier ministre "assumant" que désormais "le taux de réussite au brevet va certainement diminuer".

"Désormais c'est fini, c'est interdit. Maintenant, c'est la vérité des notes. Il n'y a plus que la note donnée par le professeur, harmonisée par des correcteurs [...] Maintenant, la règle est claire pour tout le monde, elle est écrite dans un texte", insiste le directeur général de l'enseignement scolaire. 2024 sera ainsi la première année où l'artificialisation des notes au brevet ne sera pas appliquée.

Le but? Redonner de la "valeur" à ce diplôme, "redonner du sens à l'examen pour dire à l'élève ce que vaut son travail". Mais aussi rétablir la confiance avec les professeurs.

"Qu'entre professeurs, il y ait une harmonisation, ça c'est normal mais qu'ensuite on repasse derrière eux pour éventuellement rehausser les notes artificiellement, ça, ça ne l'est pas", déclare Édouard Geffray.

C'est en effet ce qui était dénoncé, "depuis le départ", par le SNCL, le syndicat national des collèges et des lycées qui voit dans l'interdiction du "correctif académique" une manière de restaurer "l'autorité du professeur".

"C'est la première mesure du 'Choc des savoirs' (une campagne lancée par Gabriel Attal en décembre 2023 destinée à renforcer le niveau des élèves, NDLR) que l'on va pouvoir percevoir sur le terrain, voir si elle est appliquée ou pas", déclare son secrétaire général Norman Gourrier à BFMTV.com. "C'est une occasion pour le gouvernement de regagner la confiance des professeurs, de nous montrer que ce n'est pas que du vent."

Il souligne dans le même temps l'importance d'assurer la communication auprès des familles pour expliquer "pourquoi au sein d'une fratrie" des différences notables pourront être perçues dans les résultats. Et préciser que "les élèves ne sont pas moins bons mais que c'est seulement un curseur qui se rééquilibre".

Un brevet réformé

La fin du "correctif académique" survient avec la réforme du brevet annoncée par Gabriel Attal. Dès 2025, l'obtention du brevet sera obligatoire pour entrer en classe de seconde au lycée. Et l'examen comptera pour 60% de la note finale, contre 50% actuellement, les 50% restants étant issus du contrôle continu.

Si un élève n'a pas son brevet mais est accepté en classe de seconde, il aura la possibilité d'intégrer "une prépa seconde". Soit "une année de sas", "une classe faite pour consolider les acquis", se préparer à la seconde en abordant quelques notions en amont ou encore améliorer ses méthodes de travail.

"L'idée, c'est vraiment de mettre le pied à l'étrier, on vous consolide, on vous permet de bien aborder la suite des événements [...] Autrement dit, vous arriverez avec un coup d'avance là où aujourd'hui parfois, vous arrivez avec un coup de retard", image Édouard Geffray.

Une initiative saluée par le secrétaire général du SNCL qui pose toutefois la question des moyens consacrés à sa mise en place: "dans quels locaux? Avec quels professeurs? Étant donné que le ministère arrive tout juste à trouver des professeurs pour assurer les stages de réussite (des stages de remise à niveau proposés durant les vacances aux élèves, NDLR) ".

"Le problème c'est que le ministère veut aller plus vite que la musique. Il aurait fallu un moratoire d'une année pour estimer les besoins, le budget nécessaire pour la rentrée 2025, et trouver les créneaux horaires nécessaires pour les redoublants ou ces classes passerelles", suggère Norman Gourrier.

Et le baccalauréat dans tout ça? D'après le directeur général de l'enseignement scolaire, Édouard Geffray, cette pratique s'y appliquait beaucoup moins. "En théorie, c'était possible d'agir sur une discipline, une spécialité du bac, mais on l'interdisait ponctuellement, lorsqu'on voyait qu'il y avait des tentations, on disait non, on rappelait régulièrement les règles", affirme-t-il.

Un discours qui diffère du côté du secrétaire général du SNCL. Ce dernier assure que le "correctif académique" s'appliquait aussi massivement au baccalauréat. De quoi générer la colère des professeurs, convoqués pour corriger les copies, à l'été 2022. "On ne joue pas avec les notes", écrivait alors le syndicat Snes-Fsu à ce sujet dans un communiqué.

Article original publié sur BFMTV.com