Moon de « Drag Race France » nous a parlé sans détour d’Aurore Bergé, de transphobie et de santé mentale

Moon, candidate de « Drag Race France » saison 2 sur France Télévisions.
Moon, candidate de « Drag Race France » saison 2 sur France Télévisions.

LGBT+ - Lipsyncs, runways, Snatch Game... Cette saison, la compétition est rude dans Drag Race France et chaque départ est un crève-cœur. Ce vendredi 28 juillet, sept d’entre elles sont encore en lice. Sept drag-queens parmi lesquelles un nom a su tirer son épingle du jeu au fil des épisodes : Moon.

Mini-frange, ongles démesurément longs, looks monochromes. Derrière sa candeur, son humour ou ses commentaires spontanés et bienveillants, celle-ci s’est démarquée dès le début par son esthétique de « belle créature », loin des standards de cette franchise venue des États-Unis.

Moon est Suissesse (ou plutôt « Suisseuse », pour reprendre ses mots). Là-bas, « notre drag est très queer, pas vraiment binaire », nous dit celle qui n’en loupe pas une pour se moquer de son pays. Cambrioleuse à l’assaut des grosses fortunes le temps d’un défilé, elle s’en prend aux Instagrameuses à la montagne le temps d’un autre. « Comme je suis loin d’être la drag la plus riche, je me suis dit que j’allais être la plus badass », lance la fière représentante genevoise.

Derrière le personnage, il y a Ava Matthey. Ava Matthey est une femme trans. Un point qu’elle a tenu à préciser sans détour à la minute où elle et ses concurrentes ont fait tomber leur costume. « Mon corps est devenu tellement politisé. C’est un sujet qui allait forcément revenir à un moment donné », nous explique-t-elle.

Une décision « vitale »

Aujourd’hui âgée de 31 ans, elle a compris toute petite que quelque chose « n’allait pas dans [son] expression de genre ». Et pourtant, le chemin de l’acceptation a été long. « Je ne me suis pas battue avec ma famille, mais avec moi-même », nous explique Moon. À cette époque, les seules images qu’elle a des femmes trans sont des actrices porno, un futur dans lequel elle ne se projetait pas.

Passé la vingtaine, elle fait la rencontre de personnes queers. Ses questions autour de la transidentité se précisent. Ses réponses, aussi. Moon prend alors la décision d’entamer sa transition. « C’était vital, nous confie cette dernière. Ce n’était pas une idée qui me passait par la tête. C’était ça et rien d’autre. »

Avant d’enchaîner les rendez-vous avec les médecins et d’entamer son traitement hormonal, Moon a souffert d’une grave dépression, doublée de pensées suicidaires, comme elle l’a raconté face à la caméra dans le troisième épisode de Drag Race France. « Le plus dur de tous les épisodes à regarder, nous précise-t-elle. Le soir, après le tournage dans ma chambre d’hôtel, j’étais en pleurs, me demandant pourquoi j’avais parlé de ça. »

Elle ne regrette pas. La quantité astronomique de messages de remerciements la conforte dans l’idée qu’il faut libérer la parole autour de la santé mentale. « La communauté queer, c’est dur, concède-t-elle. On vit une période très stressante. Chaque commentaire est épuisant. » Des mot qui font écho à ceux de Sara Forever, autre queen de la saison qui, dans un long message sur son compte Instagram a dénoncé la vague de haine dont elle est victime actuellement en ligne.

Une transphobie ordinaire

Dans Drag Race France, le témoignage de Moon a, lui, été suivi par celui de Mami Watta, autre candidate de cette édition qui, consciente de sa transidentité, s’est dit être incapable de l’exprimer comme elle l’entend par crainte des répercussions avec sa famille. « Ça m’a brisé le cœur d’entendre ça, poursuit Moon. C’est un privilège d’être heureuse en étant soi-même car je sais que beaucoup de personnes sont à ce même stade de leur raisonnement, qu’elles veulent y aller mais ne le peuvent pas. »

Le principal frein porte un nom : transphobie. En France, en 2022, le nombre de cas de violences (physiques ou verbales) à l’encontre de personnes trans rapportés auprès de SOS Homophobie a augmenté de 35 % par rapport à 2020 et de 27 % par rapport à 2021. « Elle est partout, cette transphobie. Elle est devenue ordinaire », constate Moon.

Mégenrer quelqu’un, c’est-à-dire utiliser un pronom qui n’est pas celui souhaité par la personne, n’a rien d’anodin. Cela peut anéantir, démoraliser, « que ce soit un samedi matin, en sortant de chez soi pour s’acheter des cigarettes, ou après avoir refait ses seins. Ça te fait perdre confiance. Tu te demandes pourquoi tu fais tout ça », nous confie-t-elle. Il est clair, pour Moon, qu’il faut apprendre à « déconstruire le regard ».

Comme le rappelle SOS Homophobie, les commerces et administrations représentent 20 % des contextes de transphobie les plus communs, devant Internet, la famille et l’entourage.

Le silence des pouvoirs publics

Les initiatives locales, à Genève comme partout ailleurs, ne manquent pas pour lutter contre les LGBTphobies, mais restent la plupart du temps mises en place par des associations LGBT+. « Si on ne le fait pas, ça n’avancera pas », regrette Moon. Que font les pouvoirs publics ?

Comme devant le déferlement de haine face à la campagne du planning familial mettant en scène un homme enceint, ils sont plutôt discrets chez nous, en France. Plus récemment, le remaniement ministériel a vu monter la députée LREM Aurore Bergé à la tête du ministère des Solidarités. La même Aurore Bergé qui, en 2022, a demandé à exclure les hommes trans de l’entrée dans la Constitution du droit à l’IVG. La même année, elle recevait à son bureau Dora Moutot et Marguerite Stern, deux personnalités publiques pour qui les femmes trans ne sont pas des femmes.

« Comment une personne ouvertement transphobe peut être au pouvoir ? C’est fou, réagit Moon, désemparée. C’est terrifiant de voir des gens aussi importants se hisser contre nous. On essaye de se protéger de plus en plus, mais c’est dur. On se sent de plus en plus persécutées dans les pays dans lesquels on vit. »

« Foutez-nous la paix »

Même si ce n’est pas une finalité, la représentation compte. Et si les séries télé font un effort grandissant, dans la presse, rien n’est encore gagné. Dans un grand entretien pour Le Monde, le sociologue et spécialiste des questions LGBT+ Arnaud Alessandrin rappelle que le « débat » autour des transidentités est encore mal posé, les médias préférant souvent interroger des « psychanalystes et des chroniqueurs, dont l’avis ne se fonde pas sur des données établies ».

Un point de vue partagé par Moon, qui cite un récent documentaire de la RTS sur les détransitions de genre pour lequel aucune personne concernée n’a été interviewée. En France, aussi, le sujet a été beaucoup traité. Une agitation médiatique qui pose question, alors même que le phénomène, qui consiste à arrêter temporairement ou définitivement son processus de transition, concerne moins d’1 % des personnes trans. « Pour parler de choses contre nous, il y a tout le monde », déplore Moon.

Mais voilà, malgré cet environnement « fucked up », la candidate de Drag Race France ne veut plus se laisser abattre : « Vivre sereinement quand on est une personne trans ne veut pas dire vivre facilement. Tu peux être sereine avec toi-même et savoir où tu vas dans la vie, sans penser que tout va être facile. » Rien ni personne ne l’empêchera d’avancer comme elle l’entend : « On a toujours été là. Au pire, foutez-nous la paix. »

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