Macron à Bruxelles, un sommet particulier sous la menace d'une cohabitation

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président français Emmanuel Macron échangent lors d'un sommet européen à Bruxelles le 27 juin 2024 (Olivier HOSLET)
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président français Emmanuel Macron échangent lors d'un sommet européen à Bruxelles le 27 juin 2024 (Olivier HOSLET)

Dans quelle posture sera la France au sommet européen suivant? La question a été dans tous les esprits jeudi à Bruxelles, les alliés d'Emmanuel Macron redoutant une cohabitation avec l'extrême droite aux multiples inconnues.

Les élections législatives françaises des 30 juin et 7 juillet n'ont "pas officiellement" été au menu du conseil européen qui s'est tenu dans la capitale belge, "mais bien sûr, c'est ce dont tout le monde parle", a déclaré durant la journée le Premier ministre hongrois Viktor Orban.

"La France est décisive en Europe, et de grandes choses peuvent s'y passer dimanche" lors du premier tour, a-t-il ajouté.

Le dirigeant nationaliste savoure le moment: il a souvent croisé le fer avec Emmanuel Macron, dont le camp libéral est donné défait dans les sondages, loin derrière le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella, mais aussi derrière une coalition de la gauche.

Le chancelier allemand Olaf Scholz s'était lui dit dimanche "préoccupé par les élections en France". Le social-démocrate a souhaité la victoire des "partis qui ne sont pas celui de Le Pen".

D'autant que le RN a posé les jalons d'un bras de fer en cas de cohabitation entre le chef de l'Etat, en poste jusqu'en 2027, et un éventuel Premier ministre d'extrême droite issu des ses rangs.

Jordan Bardella a fait savoir son intention de nommer le futur représentant de la France à la Commission européenne s'il remporte les législatives et arrive à former un gouvernement.

- "Honorifique" -

Comme pour lui couper l'herbe sous le pied et bien montrer qu'il s'agit à ses yeux d'une prérogative présidentielle, Emmanuel Macron a annoncé dès jeudi à ses alliés libéraux européens sa volonté de reconduire le Français Thierry Breton comme commissaire, selon des sources européennes.

Devant la presse, le président s'est borné à dire que le commissaire sortant avant "l'expérience et les qualités" requises, sans aller jusqu'à le désigner formellement.

Des proches du président reconnaissent un certain flou juridique en la matière, que les précédents ne permettent pas de trancher. Lors des cohabitations 1986-88 et 1997-2002, chaque tête de l'exécutif avait choisi l'un des deux commissaires européens attribués à la France. Mais il n'y a désormais plus qu'un siège à Bruxelles.

Marine Le Pen a, de son côté, relativisé le "domaine réservé" qui donne au chef de l'Etat la prééminence sur les questions de diplomatie et de défense en cas de cohabitation. "Chef des armées, pour le président, c'est un titre honorifique puisque c'est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse", a-t-elle estimé.

Interpellé en marge du sommet, Emmanuel Macron a d'abord refusé d'entrer dans "un débat de constitutionnalistes", mais pour aussitôt dénoncer l'"arrogance" de l'extrême droite qui "s'est déjà répartie" tous les postes et se voit "déjà dans la place".

Sous couvert d'anonymat, plusieurs macronistes reconnaissent qu'une cohabitation avec le RN ne serait pas un long fleuve tranquille, y compris sur ces dossiers.

- Voix plus "limitée" -

Ce qui est en jeu, c'est notamment le rapport à l'Ukraine, que le président français s'est engagé à soutenir face à l'invasion russe.

Mais l'aide militaire de trois milliards d'euros promise à Kiev pour cette année ne dépend pas de lui, reconnaît un spécialiste des questions internationales du camp présidentiel. "Les Ukrainiens sont inquiets" car le RN, régulièrement épinglé par le passé pour sa proximité avec la Russie, ne s'est "rallié que du bout des lèvres au soutien à Kiev", prévient-il.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a toutefois dit croire, dans des déclarations à l'AFP, que "les Français continueront à soutenir l'Ukraine quelle que soit la situation politique".

Au-delà, c'est la question de l'influence d'Emmanuel Macron en Europe qui se pose. D'autant que ses candidats ont déjà essuyé une lourde défaite face au RN aux élections européennes du 9 juin, et que Renew, leur groupe libéral au Parlement européen, a été rétrogradé à la quatrième place derrière celui de la Première ministre ultraconservatrice italienne Giorgia Meloni.

A l'Elysée, on fait mine que rien n'a changé. L'accord conclu entre la droite, les socialistes et les libéraux pour se partager les "top jobs" de l'Union européenne montre que le président reste "au centre" des "équilibres", assure un conseiller.

Les diplomates européens se montrent circonspects.

"Pour nous l’interlocuteur reste Emmanuel Macron", dit l'un d'eux. Un autre admet une certaine inquiétude face à "l'instabilité" potentielle dans "l'un des plus grands et plus influents Etats membres de l'Union européenne".

"La voix de la France va être sûrement limitée, ce n'est plus Macron qui a les cartes en main", lâche plus franchement un soutien historique du chef de l'Etat.

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