De l'URSS à l'OTAN: l'Albanie met en valeur son passé militaire

Des avions militaires russes et chinois parqués dans la cour du musée de l'armée albanaise à Bërzhitë, près de la capitale Tirana, le 20 avril 2024 (Adnan Beci)
Des avions militaires russes et chinois parqués dans la cour du musée de l'armée albanaise à Bërzhitë, près de la capitale Tirana, le 20 avril 2024 (Adnan Beci)

Un seul coup d'œil peut tout embrasser; les chars soviétiques, les avions russes, les lance-torpilles chinois. Un nouveau musée permet une plongée inédite dans les archives militaires de la dictature albanaise, l'une des plus fermées au monde.

L'armée du pays, qui espère maintenant rejoindre l'Union européenne, a décidé d'ouvrir un musée à Bërzhitë, tout près de la capitale Tirana, pour dévoiler tous ses mystères, 30 ans après la chute de l'autocrate paranoïaque Enver Hoxha.

À l'intérieur du bâtiment, la balade entre les armes soviétiques et les missiles chinois raconte comment le petit pays des Balkans, jadis surnommé la "Corée du Nord" de l'Europe, a rompu avec Moscou pour s'allier avec Pékin, pour finalement rejoindre l'OTAN en 2009.

"Tout témoigne de la diplomatie turbulente du défunt dictateur Enver Hoxha qui s'était fâché avec la terre entière, l'Occident bien sûr, mais aussi l'ex-Yougoslavie, l'URSS et la Chine", détaille Edmond Collaku, historien et responsable des collections du musée.

"C'est un espace public qui raconte l'histoire politique du pays à travers l'histoire de l'armée albanaise", explique à l'AFP le directeur du musée, Arben Skenderi, un artiste reconnu en Albanie.

Char T-54, avion Mig-15, qu'ils soient soviétiques ou leurs pendants chinois des années 1960, missiles, lance-torpilles... Plus de 80% des armes exposées au musée appartiennent à l'époque de la dictature communiste (1945-1990).

Pendant ces années qui ont fait de l'Albanie l'un des pays les plus fermés au monde, le régime consacrait au moins 20% de son budget à la défense, achats d'armes, mais aussi fortification du pays avec la construction de 170.000 bunkers.

- Peuple-soldat -

En 1955, l'Albanie a d'abord adhéré au pacte de Varsovie, alliance militaire conçue par l'URSS dans le cadre de la Guerre froide comme un contrepoids à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

Mais la lune de miel avec Moscou a vite été remplacée par une alliance avec la Chine, jusqu'à un violent divorce dans les années 1970. Entre-temps, Pékin avait eu le temps de livrer des quantités impressionnantes d'armes.

"L'Albanie communiste était l'un des pays les plus militarisés de la région par rapport à sa superficie et à sa population... sous le slogan +le peuple tout entier doit être un peuple de soldats+, l'Albanie comptait, dans les années 1980, 61.000 militaires actifs, 260.000 soldats de réserve et plus de 400.000 volontaires - pour 3,5 millions d'habitants", détaille M. Collaku.

"L'armée communiste disposait de 1.050 chars et 240 avions et hélicoptères russes et chinois, quatre sous-marins, plus de 200.000 armes automatiques, environ 400.000 fusils et autant de pistolets, au moins 25.000 mitraillettes et mitrailleuses, des mortiers de différents calibres et 1,6 milliard de cartouches d'armes légères", précise à l'AFP Fejzo Nebiaj, un ancien responsable militaire.

Pour montrer sa force, l'Albanie de l'époque s'est aussi mise à développer sa propre industrie militaire: fusils, mines et munitions +Made in Albania+ ont leur place dans le musée, sous les lumières glaciales du pavillon de la Guerre froide, réchauffées par les souvenirs de quelques visiteurs.

"Ces armes faisaient partie de notre éducation. À l'école, on savait tous démonter et remonter les yeux fermés une kalachnikov", lance en souriant Arjana Dede, enseignante de 72 ans, qui regarde des enfants grimper sur les chars et les canons, héros de film imaginaire.

Les documents d'archives montrent qu'à la fin des années 1980 l'Albanie paranoïaque, alors fâchée avec tous ses vieux alliés, possédait 200.000 tonnes de munitions pour se préparer à un conflit, lui aussi imaginaire.

Avec la chute de la dictature en 1991, Tirana a fait de l'entrée dans l'OTAN, dont le drapeau trône dans le musée, une priorité absolue.

"En avril 2009, l'Albanie est devenue membre de l'Alliance atlantique et elle est bien déterminée à remplir toutes ses obligations envers cette organisation ; politiques, institutionnelles ou militaires", confie à l'AFP Gjergj Methoxha, directeur général des Politiques de la Défense auprès du ministère albanais de la Défense.

Tirana a inauguré, début mars, une base aérienne tactique de l'OTAN qui, selon le Premier ministre Edi Rama, "constitue un élément supplémentaire de sécurité pour les Balkans occidentaux".

Trois drones Bayraktar TB2, fleuron de l'industrie militaire turque, et deux hélicoptères américains Black Hawk figurent aussi sur l'inventaire des forces armées albanaises, qui sont en train de se doter de missiles antichars Javelin.

"Dans les pires et dans les meilleurs moments, l'Albanie a été et sera toujours un pays pacifique. Mais les armes servent également à la paix", estime Aferdita Andoni, 76 ans, venue visiter le musée pour raviver le passé.

Bme/cbo/fv/ybl