Législatives : les six inconnues d’un second tour qui s’annonce historique

C’est la fin d’une campagne éclair, la plus courte de toute l’histoire des législatives de la Ve République, mais aussi sous haute tension, émaillée d’incidents. À minuit s’ouvrira une période de réserve, jusqu’à la fermeture des derniers bureaux de vote dimanche à 20 heures. Un peu plus de 43 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour choisir leur député dans les 501 circonscriptions (sur 577) qui nécessitent un second tour.

Un mois quasiment après le coup de tonnerre de la dissolution surprise de l’Assemblée nationale, le soir des élections européennes, les Français s’apprêtent donc à redessiner les équilibres politiques au sein du palais Bourbon. Après un premier tour marqué par un bond de la participation, et la très nette avance du Rassemblement national et ses alliés (33,22 % des voix) et du Nouveau Front populaire (28,06 des voix) sur le camp présidentiel (20.04 % des voix), le second tour prend une tournure inédite. Quels en sont les enjeux ?

Incertitude sur le niveau participation et ses effets

Le niveau de la participation sera décisif, en particulier dans la petite centaine de circonscriptions où il est très difficile d’anticiper l’issue du scrutin. Chaque voix comptera. Dimanche dernier, jamais la participation lors d’un premier tour de législatives (66,71 %) n’avait été aussi élevée depuis celles de 1997, elles-mêmes provoquées par une dissolution. La participation au second tour pourrait être encore plus importante qu’au premier nous indiquait jeudi Erwan Lestrohan, directeur d’études à l’Institut de sondages Odoxa, sur la base de mesures. Ce qui serait là une première depuis les législatives de 1997. L’institut Elabe anticipe une stabilité, Ipsos calcule l’indice de participation à 68 %.

Un signe montre que la participation devrait en tout cas demeurer soutenue : le nombre de procurations a encore progressé. Le ministère de l’Intérieur en a enregistré plus de 3,3 millions depuis le 10 juin, dont près de 2,5 millions encore actives pour le second tour. Au premier tour, 2,1 millions de procurations avaient été comptabilisées. Les premiers départs en vacances pourraient donc avoir une incidence marginale. C’est la première fois qu’un scrutin national est organisé à cheval sur le mois de juillet.

Le front républicain va-t-il fonctionner ?

Habituellement, plusieurs phénomènes se conjuguent dans un second tour, une démobilisation des électeurs des candidats éliminés et une surmobilisation des électeurs des candidats présents au second tour. Reste à voir dans quelles proportions. L’élément clé sera l’ampleur de la logique de front républicain, pour faire empêcher l’élection de députés du Rassemblement national. Ces dernières années, les consignes de vote barrage ont eu tendance à être de moins en moins suivies. En 2022, par exemple, beaucoup d’électeurs de gauche et ou de sympathisants d’Ensemble avaient boudé le scrutin, dans les cas où leur candidat n’était pas présent au second tour. Il faut également rappeler que les bulletins blancs et nuls seraient susceptibles de progresser d’un tour à l’autre, mais cet élément ne sera pas évidemment pas visible avant le dépouillement.

Le Rassemblement national peut-il obtenir la majorité absolue ?

Arrivé en tête dans 297 des circonscriptions (contre 110 en 2022), soit légèrement plus d’une circonscription sur deux, le RN est le mieux placé statistiquement pour devenir le premier groupe de l’Assemblée nationale. Selon les dernières enquêtes d’opinion, le parti à la flamme et ses alliés pourraient obtenir dimanche un contingent compris entre 175 et 250 députés, sachant que 37 ont été élus dès le premier tour. Les projections ont reflué par rapport aux projections, très incertaines, du 30 juin, qui plaçait le RN à quelques encablures d’une majorité absolue. Selon un sondage Ipsos publié ce vendredi, le RN et ses alliés pourraient recueillir entre 175 et 205 sièges, très loin de la majorité absolue fixée à 289 sièges. Selon notre sondage Odoxa, publié jeudi, RN serait attendu entre 210 et 250 sièges.

Les stratégies de désistements de candidats arrivés en troisième position, de gauche ou des marcheurs, ont conduit à diminuer drastiquement le nombre de triangulaires, une configuration de match à trois plus favorable pour le RN. De 306 au soir du premier tour, on n’en compte plus que 89. Durant l’entre-deux-tours, le profil de plusieurs candidats a par ailleurs mis dans l’embarras la campagne de Jordan Bardella, tout comme leurs mauvaises performances dans plusieurs débats télévisés locaux.

À toutes fins utiles, il convient de souligner que les instituts de sondage ont mal anticipé la puissance du vote RN, deux jours avant les législatives du second tour 2022. Les sondeurs prévoyaient entre 20 et 50 sièges. Le parti de Marine Le Pen en a obtenu finalement 89.

Jordan Bardella a souvent répété qu’il ne voulait pas de Matignon en l’absence de majorité absolue. Un discours à nuancer : Marine Le Pen a évoqué la possibilité d’un appoint avec le soutien d’une partie des LR, « dont certains ont exprimé par le passé une proximité avec nos options ». Le groupe LR, qui n’a pas suivi la stratégie d’alliance d’Éric Ciotti, pourrait terminer entre 26 et 60 députés, selon les sondages, soit au mieux un maintien.

Que peut espérer la gauche ?

Pour l’union de la gauche, les chances de décrocher la majorité absolue sont encore plus éloignées. Aucune enquête d’opinion ne l’envisage. Le nombre de députés du Nouveau Front populaire (NFP) pourrait osciller dimanche soir entre 145 et 200, selon les projections réalisées par les instituts de sondage ces derniers jours. Comme le montre l’enquête Ipsos, il n’est pas impossible que le NFP puisse s’imposer comme la première force de l’Assemblée nationale, mais il ne s’agit pas du scénario central. La marge haute de la fourchette attribuée au NFP correspond à la marge basse du RN et de ses alliés. Le Nouveau Front populaire pourrait a minima devenir le premier ensemble de l’hémicycle, derrière le RN.

La gauche a en tout cas de très bonnes chances de progresser en sièges, par rapport aux dernières élections. Il y a deux ans, la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) entamait la 16e législature avec 151 députés. Mais il faudra également scruter avec attention l’évolution des équilibres internes dans la gauche. Le centre de gravité pourrait se déplacer. Dans l’Assemblée sortante, La France insoumise dominait la NUPES, avec la moitié des sièges (75 sièges), plus du double des socialistes (31 sièges). Dans deux jours, Insoumis et socialistes pourraient faire jeu égal.

Fragilisé par des revers, et non des moindres comme la défaite dès le premier tour du secrétaire national du parti Fabien Roussel, le groupe communiste est menacé de disparition. Mais la Gauche démocrate et républicaine (GDR) – c’est le nom du groupe – pourrait assurer le minimum vital de 15 sièges, avec des frondeurs LFI, d’autres élus de gauche ou encore des députés ultramarins.

Le camp présidentiel va-t-il limiter la casse ?

Pour la Macronie, la sanction pourrait être moins douloureuse qu’aux européennes. C’est peut-être son seul lot de consolation. Les députés Ensemble (Renaissance, Modem et Horizons) pourraient, si l’on se fie aux dernières enquêtes d’opinion, se retrouver entre 95 et 160 dimanche soir. Ce serait un recul massif, comparé à leur place dans l’Assemblée nationale sortante, où les trois partis alliés du centre occupaient 250 sièges, ce qui était déjà une sévère déconvenue après la solide majorité absolue de la législature précédente.

Au soir du premier tour, avant que la mécanique des désistements à gauche n’opère, les députés du camp présidentiel étaient promis à une portion congrue, limitée entre 70 et 100 sièges, selon la projection Ipsos du 30 juin. Les Marcheurs devraient sans doute remonter la pente, mais probablement pas assez pour avoir la main sur le devenir de l’Assemblée nationale et potentiellement du gouvernement. Si le reflux reste contenu, en ayant comme référence la déroute du Parti socialiste en 1993, tombé sous les 60 sièges, ces législatives devraient lourdement et durablement affaiblir l’autorité et l’influence du président de la République, incapable de presser à nouveau sur le bouton de la dissolution avant le 9 juin 2025, et désormais réduit à composer avec une Assemblée nationale majoritairement hostile. Même en situation de majorité relative de juin 2022 à juin 2024, son gouvernement avait évité toutes les motions de censure. Ce n’était pas passé loin avec celle du 20 mars 2023, déposée par le groupe hétéroclite LIOT en pleine réforme des retraites. Elle avait échoué à 9 voix près.

Que va-t-il se passer en cas d’Assemblée nationale sans majorité claire ?

Sans majorité claire à l’Assemblée nationale, une longue période de flottement pourrait suivre le dimanche électoral. La situation serait inédite, et la Ve République avancerait dans des terres inconnues, fleurant la crise de régime. Il faudra sûrement attendre quelques jours pour que la poussière retombe.

Il n’y aura pas pour autant de vide institutionnel. S’il est de tradition que le gouvernement en poste remette sa démission, celui-ci pourrait être maintenu dans un premier temps, le temps d’assurer les affaires courantes. Interrogé lors d’un dernier déplacement de campagne dans la capitale ce vendredi, le Premier ministre Gabriel Attal a indiqué que son gouvernement pourrait assurer la continuité de l’État « aussi longtemps que ce sera nécessaire ». Une précision importante à trois semaines du coup d’envoi des Jeux olympiques. Interrogé sur son départ ou non de l’hôtel de Matignon, Gabriel Attal a indiqué qu’il prenait « les choses étape par étape ».

Aucun texte n’oblige le président de la République à nommer un Premier ministre issu du camp majoritaire. Seule nécessité pragmatique : être en mesure de résister à une motion de censure, qui coaliserait toutes les oppositions, sans nul doute ultra-majoritaires. L’Assemblée nationale ne siégera pas avant le 18 juillet, date d’une session de droit, où s’installeront les groupes politiques et où s’organisera la désignation des postes clés de l’institution.

Une Assemblée nationale « plurielle », une coalition des « modérés » ou « arc républicain » : ces derniers jours plusieurs responsables ont plaidé pour faire émerger un vaste groupe, qui irait des macronistes aux communistes. Des accords de gouvernement, des plateformes communes, la Ve République en a très peu connu. Cette vaste coalition, réunissant des groupes que parfois tout oppose, semble pour le moment bien virtuelle.

À l’instar de ce qu’ont connu d’autres pays européens, la piste d’un gouvernement technique n’est pas à exclure. « Un gouvernement de techniciens et de hauts fonctionnaires, neutres, qui expédient les affaires courantes est peut-être l’option la plus envisageable », nous expliquait l’historien Christophe Bellon, en juin.

Le moment de vérité pour la future Assemblée nationale aura de toute façon lieu à partir de la fin septembre, avec l’examen du projet de loi de finances. Un texte sur lequel l’autorisation parlementaire est indispensable pour prélever les impôts. En cas de difficulté, les grands textes n’ont pas prévu la parade. Ce sera un crash test pour les institutions.