Législatives 2024 : quand donner procuration génère des tensions entre voisins, amis ou parents d’élèves

Trouver une personne de confiance à qui faire procuration n’est pas chose aisée pour tout le monde.
boonchai wedmakawand / Getty Images Trouver une personne de confiance à qui faire procuration n’est pas chose aisée pour tout le monde.

LÉGISLATIVES - « Mes voisins sont complètement d’extrême droite, et je n’aurai pas confiance de leur donner ma procuration en leur disant que je vote plutôt dans l’autre sens. » Comme pour Gabriel, un jeune homme que nous avons contacté, ces nouvelles élections législatives mettent dans l’embarras beaucoup de Français. Ceux qui ne pourront pas se rendre dans leur bureau de vote le jour J doivent trouver une personne de confiance à qui donner procuration. Ce qui n’est pas toujours une mince affaire.

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Avec seulement trois semaines d’écart ente la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, et le premier tour des élections, le 30 juin prochain, de nombreux électeurs ne pourront se rendre aux urnes - car ayant déjà des occupations de prévues. Mais beaucoup comptent bel et bien exercer leur droit de vote, si l’on en croit ces chiffres.

En l’espace d’une semaine, entre le lundi 10 juin - au lendemain de la dissolution de l’Assemblée Nationale - et le lundi 17 juin, plus de 400 000 procurations ont été établies par le ministère de l’Intérieur. Soit 6,5 fois plus que lors des précédentes législatives de 2022 sur la même période avant le 1er tour (de J-20 à J-14).

Un problème de confiance

Plusieurs écueils de taille se posent néanmoins pour ces électeurs : ils doivent, d’une part, éviter les conversations embarrassantes sur les choix de vote avec la personne à qui ils confient leur procuration. D’autre part, il faut trouver quelqu’un en qui ils ont suffisamment confiance pour placer le bulletin demandé dans l’urne. Et cela pourrait bien être plus difficile qu’il n’y paraît pour certains électeurs, qui ont même lancé des appels sur X.

C’est exactement le cas de Gabriel. Alors qu’il part en vacances avec sa famille au moment des élections, il ne pourra pas se rendre dans son bureau de vote lors du premier tour, situé dans sa ville natale où il ne vit plus. « Je n’ai pas de famille proche pour voter à ma place puisque mes parents n’y seront pas. Je n’ai plus d’amis là-bas. Les seules personnes que je connaisse sont des voisins ou des connaissances », explique-t-il. Ces mêmes voisins qui votent donc à l’extrême droite, à l’inverse de ses convictions.

C’est alors un problème de confiance qui se pose. « Je fais confiance à mes voisins sur plein de choses », nous assure-t-il. Sauf… pour des questions de politique. « Je ne serais pas sûr de ce qu’ils votent. Ils ont un intérêt à mettre un autre bulletin. Et qu’est-ce qu’ils me doivent en échange à part de la droiture républicaine ? Je n’aurais pas de compte rendu », nous confie-t-il. Pour lui, le risque est trop grand par rapport à l’enjeu.

Des électeurs de confiance

Pour Marie, une étudiante parisienne de 18 ans, la situation est sensiblement similaire. Alors qu’elle rentre chez ses parents en Auvergne avant le premier tour, elle ne connaît personne qui vote dans son bureau à Paris : « J’avais des possibilités, mais ce sont des personnes que je ne connais pas bien et ça me gênait de les faire se déplacer dans mon bureau de vote. »

Elle se tourne alors vers la plateforme du parti pour lequel elle souhaite voter, qui la met en relation avec une personne de confiance, mais qu’elle ne connaît absolument pas. « Nous nous sommes appelés, et il a été un peu décontenancé. Il m’a demandé comment je pouvais être sûre de lui faire confiance », nous raconte-t-elle. Elle admet avoir « quand même une sorte de méfiance », car elle ne pourra jamais être « à 100 % sûre de la personne ».

Gabriel a également pensé à se tourner vers le parti pour lequel il souhaite voter, afin d’avoir un « parrain de confiance ». « Je fais davantage confiance à un inconnu pour qui mon vote à un intérêt », glisse-t-il. Il a aussi pensé à suspendre ses vacances et faire l’aller-retour jusqu’à son bureau de vote. Mais aucune solution ne lui convenait parfaitement. Jusqu’à ce qu’il apprenne que la sœur d’un ami sera sur place, à qui il donne alors sa procuration.

Aucun des deux n’a envisagé un recours au site Plan Procu, qui a été présenté comme le « Tinder du vote » car il met en relation les électeurs afin de faciliter les démarches pour les procurations. Mais Libération a ensuite démontré des liens entre cette plateforme et la Macronie, plusieurs membres de son conseil d’administration ayant travaillé par le passé pour des élus du camp présidentiel. Qui plus est, même si cela n’a pas été prouvé, des associations ont signalé des militants d’extrême droite qui s’y inscriraient dans le but de récupérer la procuration d’électeurs de gauche.

« Des conversations que je n’ai pas l’habitude d’avoir »

Comme Marie, Caroline* ne pouvait pas voter par elle-même au deuxième tour. « Je me suis dit que j’allais chercher une personne qui vote dans le même bureau que moi, dans le 15e arrondissement. Pour moi, la seule solution, c’était de trouver des parents d’élève de la même école que mon fils », détaille cette mère de famille. Des gens « de confiance », mais qui ne sont pas des « intimes ». « Leur demander de prendre ma procuration a créé des conversations que je n’ai pas l’habitude d’avoir avec eux », explique-t-elle.

Les premières personnes à qui elle demande lui répondent qu’elles ne sont pas inscrites sur les listes électorales. « Je leur ai dit que c’était important d’être inscrit, et j’ai senti que la conversation n’allait pas aboutir, et qu’on allait s’embrouiller », se rappelle-t-elle. À d’autres parents à qui elle fait la même requête, elle reçoit en retour, sur le ton de l’humour : « Je pourrais prendre la procuration, mais ça dépend pour qui tu votes. »

Sentant que ces conversations pourraient vite dériver en dispute, Caroline lâche l’affaire. « Je n’ai pas envie de m’embrouiller avec des gens que je croise tous les matins (...) Pour donner une procuration, il faut être dans une relation de confiance et d’intimité, et savoir que ça ne va pas mettre en péril une relation potentiellement un peu fragile, où il y a des sujets sensibles », se justifie-t-elle. Pour pouvoir voter, et pour d’autres raisons, Caroline et son compagnon écourteront finalement leur week-end le 7 juillet prochain. Un mal pour un bien.

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