"J'avais confiance": un pharmacien condamné pour avoir reçu des cadeaux des laboratoires Urgo témoigne

Ce pharmacien, qui est également vice-président de l’Association des pharmacies rurales, a été condamné à 17.500 euros d'amende. Il a du contracter un prêt sur cinq ans afin de la payer.

Un système très bien huilé. En janvier 2023, les laboratoires Urgo avaient été condamnés à une amende de 1,125 million d'euros, dont 625.000 avec sursis, pour avoir offert des cadeaux à des pharmaciens.

Les investigations menées dans le cadre de cette affaire avaient mis en lumière un modus operandi simple: la remise d'objets de valeur ou de loisirs à certains pharmaciens, en contrepartie de l'abandon de remises commerciales pouvant être consenties à leurs officines.

Selon la justice, ce système avait "permis aux laboratoires de fidéliser une clientèle avec des marges commerciales plus conséquentes et aux professionnels de santé d'obtenir des avantages personnels."

Parmi ces professionnels, l'actuelle ministre de la Santé Agnès Firmin-Le Bodo, qui à ce titre été entendue ce mercredi 10 janvier en audition libre dans les locaux de la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) de Rouen.

"Je me suis fait couillonner"

Dans les colonnes du Parisien, Marc Alandry, pharmacien dans l'Aude et vice-président de l'Association des pharmacies rurales, qui a lui-même été condamné pour avoir reçu près de 14.000 euros de gratifications, souhaite dénoncer ce système et faire amende honorable. "Je ressens une profonde injustice. J'en veux terriblement à Urgo qui a mis les pharmaciens de France dans la merde!", commence-t-il.

Selon le pharmacien, tout commence au détour des années 2010, lorsqu'un commercial du laboratoire lui explique qu'il peut "avoir des points à la place de sa remise" qui lui est habituellement allouée. "Il me montre alors son catalogue avec des photos d’objets" qui correspondent à différentes sommes de points. Un aspirateur Dyson plus tard, Marc Alandry est tombé dans un engrenage qu'il aura bien du mal à quitter.

Ce dernier, qui insiste sur le fait que le commercial d'Urgo lui a promis "une pratique encadrée", assure s'être trompé sur l'origine et la raison de ces cadeaux.

"J’ai cru que ces cadeaux étaient une façon de récompenser notre fidélité. J’avais confiance en lui et je me suis fait couillonner", martèle-t-il.

Changement de politique en 2022

Dans un premier temps, Marc Alandry a acquis plusieurs objets dédiés à sa vie professionnelle de pharmacien: "J'ai choisi un fauteuil ergonomique pour une de mes employés", "un téléphone portable professionnel" ou encore "un beau présentoir design", liste-t-il, toujours dans le quotidien régional.

Les choses vont commencer à s'envenimer lorsque le pharmacien va accepter des cadeaux à usage personnel. "J'ai commandé une montre de luxe pour les 20 ans de mon fils en 2018. Dans leur catalogue, elle était affichée à 2.500 euros mais elle en valait 1 000 de plus dans le commerce. [...] J'en ai commandé une seconde de la même valeur pour ma femme", admet-il.

C'est en 2022, alors que la justice commence à s'intéresser aux agissements d'Urgo, que le vent tourne. "Mon commercial a changé de secteur. [...] Sa successeure nous a dit qu’il n’y avait plus de catalogue, que la politique de la maison avait changé."

17.500 euros d'amende

Mais le mal est déjà fait. En 2023, Marc Alandry reçoit une convocation de la répression des fraudes. Lors de son audition, il se rend compte que le commercial avec qui il traitait auparavant avait utilisé ses points à des fins personnels. "Il y avait des bouteilles de champagne alors que je ne bois pas d'alcool, un smartphone dernier cri que je n’avais jamais commandé", se rappelle-t-il.

"J’ai écopé d’une amende de 17.500 euros. J’ai dû faire un prêt sur cinq ans pour la payer. La juge m’a dit que je ne méritais pas de faire ce métier", s'attriste-t-il.

Selon lui, sa situation n'est pas unique. "J’ai eu des pharmaciennes en pleurs au téléphone, un autre qui voulait se suicider. Beaucoup m'appellent pour savoir quoi faire", pointe-t-il auprès du quotidien.

Si certains professionnels "ont choisi une fois une trottinette pour leur gosse", d'autres ont en revanche "accumulé les cadeaux." "Il semblerait aussi que des pharmaciens aient commandé des compresses pour dix ans qu’ils stockaient dans des hangars pour accumuler des points et bénéficier d’une voiture d’Urgo", termine-t-il.

Pour sa part, Agnès Firmin-Le Bodo s'est toujours défendue d'un quelconque "conflit d'intérêt" dans cette affaire. Selon nos informations, la ministre est soupçonnée d'avoir bénéficié d'environ 20.000 euros de cadeaux non déclarés de la part des laboratoires Urgo. Ce qui la place, selon une de nos sources, parmi les pharmaciens de Seine-Maritime ayant touché le plus d'avantages.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - La nouvelle ministre de la Santé, Agnès Firmin-Le Bodo, visée par une enquête pour cadeaux non déclarés