Les images d'un avion militaire français au Bénin ? Il s'agit d'un aéronef belge

Les relations entre les autorités nigériennes et béninoises sont tendues depuis le coup d’Etat militaire au Niger qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum en juillet 2023. Depuis un mois, le Niger accuse notamment son voisin béninois d'abriter des "bases militaires françaises" sur son territoire, en vue de le déstabiliser. Des accusations balayées par la France et le Bénin. Dans ce contexte, des images montrant un avion sur un tarmac prétendent qu'il s'agit d'un "avion militaire français", venu décharger "des hommes et du matériel militaire". Mais c'est faux : cet aéronef est belge, ont assuré à l'AFP les autorités belges et béninoises. En utilisant un outil de suivi de vols, l'AFP a pu retracer ses déplacements, en provenance de la République démocratique du Congo (RDC) et à destination de la Belgique en passant par le Bénin. Son numéro d'immatriculation est bien rattaché à l'armée de l'air belge.

Près d'un an après le coup d'Etat qui a porté au pouvoir un régime militaire au Niger, les autorités nigériennes et béninoises traversent une grave crise diplomatique, caractérisée par des tensions bilatérales croissantes entre ces deux pays frontaliers d'Afrique de l'ouest.

 

Alors que les derniers soldats français déployés au Niger ont quitté le pays le 22 décembre 2023, mettant fin à plus de dix ans de lutte antijihadiste française au Sahel, le régime militaire au pouvoir à Niamey soupçonne le Bénin de mener des opérations avec la France pour déstabiliser son territoire (lien archivé ici).

Le Premier ministre nigérien, Ali Mahaman Lamine Zeine, accuse notamment son voisin d'abriter "des bases françaises" dans sa partie nord afin "d'entraîner des terroristes qui doivent venir déstabiliser notre pays". Ces accusations ont toujours été réfutées par le Bénin comme par la France.

Dans ce contexte, plusieurs rumeurs circulent sur les réseaux sociaux d'Afrique francophone, attisant parfois colère et ressentiment entre nigériens et béninois. L'AFP a par exemple récemment recontextualisé des vidéos, utilisées -- à tort -- pour faire croire à la présence de bases militaires françaises au Niger (voir article ici).

Dans la même lignée, Sylvain Dodji Afoua -- qui se fait appeler Egountchi Behanzin --, un Français d'origine togolaise suivi par plus de 300.000 internautes sur Facebook, a lui aussi évoqué dans un post "la présence de bases militaires françaises au Bénin".

Son association, la Ligue de défense noire africaine, a été dissoute en 2021 par le ministère de l’Intérieur français estimant qu’elle appelait à "la haine et à la discrimination". Sur les réseaux sociaux,  cet influenceur dit "panafricaniste" s’est mué ces dernières années en ardent défenseur des régimes militaires au Sahel arrivés au pouvoir après des coups d'Etat successifs. Il ne cache pas non plus sa proximité avec la Russie.

Le 29 mai dernier, il a publié sur son compte Facebook une vidéo de 18 secondes et une photo d'un avion posé sur un tarmac, prétendant qu'il s'agissait d'un "avion militaire français". D'après lui, il s'agirait d'une "preuve" confirmant l'existence de "bases militaires françaises au bénin".

"(...) le mardi 28 mai 2024, nous avons reçu une vidéo montrant la présence d’un avion de transport de troupes de l’armée française débarquant des hommes et du matériel à l’aéroport de Cotonou [capitale économique du Bénin, ndlr] à 18h58", avançait-il ainsi, à la fois sur Facebook et sur X (liens 1,2).

Un jour plus tard, le 30 mai, l'influenceur est revenu à la charge en publiant de nouvelles images (lien archivé ici).

"Selon nos informations, l'avion militaire français de transport qui avait atterri à l'aéroport de Cotonou le mardi 28 mai 2024 aux alentours de 18h58 est reparti ce jeudi 30 mai 2024 vers deux heures du matin après avoir déchargé des hommes et du matériel militaires à l'abri des regards dans un hangar de l’aéroport", avançait-il alors à nouveau.

Plusieurs utilisateurs ont également relayé ces assertions, diffusées des centaines de fois au total sur les deux réseaux sociaux, depuis la fin du mois de mai (liens 1,2,3...).

<span>Capture d'écran prise sur X (à gauche) et Facebook (à droite) le 10 juin 2024</span>
Capture d'écran prise sur X (à gauche) et Facebook (à droite) le 10 juin 2024

Cependant, les autorités béninoises, l'ambassade de Belgique au Bénin et le ministère français des Armées ont assuré à l'AFP que l'avion présent sur ces images est un engin militaire belge. L'AFP a également retracé les déplacements de cet aéronef, parti de République démocratique du Congo (RDC) pour rejoindre la Belgique, en faisant escale au Bénin.

De la RDC à la Belgique

Pour retracer les déplacements de cet avion, l'AFP a utilisé l'outil de suivi de vols Flightradar24.

Les publications diffusées sur les réseaux sociaux prétendent que l'engin visible sur les images a débarqué "des hommes et du matériel à l’aéroport de Cotonou à 18h58".

Ce jour-là, un vol à destination de Cotonou est parti de Lubumbashi, en République démocratique du Congo (RDC).

<span>Capture d'écran prise sur le site de suivi Flightradar24 le 11 juin 2024 </span>
Capture d'écran prise sur le site de suivi Flightradar24 le 11 juin 2024

L'avion a décollée de RDC à 13H00 (temps universel coordonné) et a commencé sa descente vers la ville portuaire béninoise autour de 17h16. Sur Flightradar24, le suivi prend fin à 17h38 lorsque l'avion est passé sous la barre des 2.000 pieds (environ 609 mètres). L'heure exacte de son atterrissage est indisponible.

<span>Capture d'écran prise sur le site de suivi Flightradar24 le 11 juin 2024 / Encadré rouge ajouté par la rédaction de l'AFP</span>
Capture d'écran prise sur le site de suivi Flightradar24 le 11 juin 2024 / Encadré rouge ajouté par la rédaction de l'AFP

D'après l'outil de suivi, le même avion est cependant reparti de Cotonou deux jours plus tard, le 30 mai, à destination de Bruxelles.

<span>Capture d'écran prise sur le site de suivi Flightradar24 le 11 juin 2024 / Encadré rouge ajouté par la rédaction de l'AFP</span>
Capture d'écran prise sur le site de suivi Flightradar24 le 11 juin 2024 / Encadré rouge ajouté par la rédaction de l'AFP

Le modèle de l'avion et son numéro d'immatriculation sont indiqués en haut à droite de la fiche de suivi des vols. Il s'agit d'un Airbus A400M Atlas CT-05 immatriculé BAF 658. Sur le site Flightradar24, ce modèle est répertorié comme un aéronef appartenant à l'armée de l'air belge, Composante Air (lien archivé ici).

"Les initiales 'BAF' signifient 'Belgium Air Force'", a expliqué à l'AFP Thibaut Mallet, administrateur du site web spécialisé sur les questions de défense Midshipnews (lien archivé ici). "Un avion militaire français qui s'inscrirait dans le trafic civil serait indiqué sous 'FAF' pour 'Force aérienne française'", précise-t-il.

Commercialisé par le constructeur français Airbus, ce modèle d'avion de transport militaire permet de déplacer des équipements militaires ou bien du personnel (lien archivé ici).

Un avion français ? Les autorités béninoises, belges et françaises démentent

Cet avion s'est donc déplacé de RDC, jusqu'au Bénin, avant de rejoindre la Belgique. Pourquoi serait-il un avion militaire français, comme le prétendent les publications que nous vérifions ?

L'AFP a sollicité les autorités béninoises à ce sujet. D'après le gouvernement béninois, à qui nous avons montré les images diffusées sur les réseaux sociaux, il s'agit d'"un courrier militaire de l'armée de l'air belge reliant la RDC à la Belgique en A400M". Cet engin était "en provenance de la RDC (28/05/24) et à destination de la Belgique (30/05/24)", ont ajouté les autorités béninoises dans une réponse écrite à l'AFP le 10 juin.

Selon elles, cet avion était "en escale de 48h pour ravitaillement et relève des quelques instructeurs (...) Ce genre de liaison de l'armée belge est quasi mensuel. Il en est de même des liaisons militaires américaines, et des autres pays européens qui en font la demande."

L'AFP a également pris contact avec l'ambassade de Belgique au Bénin. "Nous vous informons qu’un avion militaire belge en provenance de la RDC s’est posé à Cotonou en fin de journée le 28/05 pour une escale technique (seul l’équipage a débarqué, pas de matériel) et il est reparti le 30/05", a-t-elle assuré le 4 juin.

"Nous confirmons que des avions militaires belges se posent régulièrement à l’aéroport de Cotonou dans le cadre de notre coopération bilatérale de défense avec le Benin. Cette coopération consiste principalement en des formations des Forces Armées Béninoises (FAB) par la Défense Belge, toujours sur demande des FAB", a ajouté l'ambassade belge deux jours plus tard, renvoyant vers un document sur la coopération militaire entre la Belgique et le Bénin (lien archivé ici).

"Concernant l'aéronef présent sur les photos et la vidéo il ne s'agit pas d'un aéronef de l'armée de l'air et de l'espace française", a quant à lui affirmé le ministère français des Armées, contacté par l'AFP le 7 juin.

Recomposition des alliances

Au Niger, le régime de Niamey a réorienté sa politique étrangère, en commençant par dénoncer des accords de coopération militaire avec la France, ancienne puissance coloniale jusque là indéfectible allié. Les derniers soldats français ont d'ailleurs quitté le pays fin décembre.

Après avoir chassé ces derniers, le régime militaire au pouvoir au Niger exige désormais le départ des forces américaines, un désengagement qui a déjà débuté et qui devra s'achever avant le 15 septembre (lien archivé ici).

Le Niger s'est depuis tourné vers d'autres partenaires, en particulier la Russie.