Hausse des violences, colonies... À l'ombre de Gaza, une "situation explosive" en Cisjordanie occupée

Le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme a "sonné l'alarme la plus forte possible" ce jeudi 16 novembre sur la situation "potentiellement explosive" en Cisjordanie occupée.

"Je suis profondément préoccupé par l'intensification de la violence et la grave discrimination contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est. À mon avis, cela crée une situation potentiellement explosive", a déclaré Volker Türk.

Dans ce territoire occupé depuis 56 ans, 475.000 colons - un nombre qui a pratiquement doublé depuis l'évacuation de Gaza en 2005 - vivent au milieu de près de 2,9 millions de Palestiniens.

Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre dernier, le bureau des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) recense en moyenne plus de six "incidents" (du vol de bétail aux violences physiques) par jour entre colons et Palestiniens, contre une moyenne de trois au cours des mois précédents. Selon le ministère de la Santé palestinien, au moins 190 personnes y ont été tuées.

Hausse exponentielle des colonies

Depuis la fin de la guerre des Six Jours et les résolutions qui actent des frontières entre Israël et l'État palestinien, les colonies de peuplement israéliennes se multiplient en Cisjordanie.

Une colonie peut aller de quelques maisons en préfabriqué à une ville de 20.000 habitants avec une université comme à Ariel. Ces colonies sont toutes considérées par l'ONU comme illégales au regard du droit international.

Depuis 1967, l'Assemblée générale des Nations unies a voté une dizaine de résolutions condamnant l’occupation de la Cisjordanie et les atteintes aux civils. En février 2023, le Conseil de sécurité a déploré le non-respect de ces résolutions et "l'expansion des colonies de peuplement".

Leur nombre a quadruplé en une trentaine d’années, entre les accords de paix d’Oslo de 1993, alors qu'Israël s’était engagé à ne plus autoriser de nouvelles installations, et 2021.

Légalisées par l'État hébreu directement

Selon l'association israélienne Peace Now, favorable à la reconnaissance d’un État palestinien, il existe trois grands types de colonies en Cisjordanie. Celles installées dans une visée nationaliste pour revendiquer une terre israélienne, celles dites ultraorthodoxes fondées dans un but religieux pour vivre en marge de la société moderne et celles qui attirent les habitants pour les loyers à moindre coût.

En droit israélien, ces installations ne sont autorisées que si elles émanent directement de l'État, explique à BFMTV.com Thomas Vescovi, chercheur spécialiste d'Israël et des territoires occupés. Les autres, les "avant-postes", sont établis sans l'aval des autorités mais sont souvent légalisées à postériori.

"L'extrême droite et les colons veulent d'ailleurs réformer la Cour suprême notamment pour faciliter l'installation des colons directement eux-mêmes", ajoute-t-il.

Un bond sous Netanyahu

L'expansion des colonies a fait un bon depuis l'arrivée au poste de Premier ministre de Benjamin Netanyahu. "La Cisjordanie constitue pour le gouvernement de Netanyahu depuis 2009 un territoire qui est un prolongement d'Israël mais qui reste à coloniser", détaille Thomas Vescovi.

Depuis son retour au pouvoir en décembre dernier, l'exécutif israélien est mené par une coalition regroupant la droite et l'extrême droite. Parmi eux figurent des nationalistes, comme le ministre de la Sécurité intérieure Itamar Ben Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich.

"Ces nationalistes religieux ne sont pas des démocrates, ils rêvent d'une théocratie, d'un État régi par la loi religieuse où les Palestiniens n'auraient aucun droit", explique à franceinfo Amélie Ferey, chercheuse à l'Institut français des relations internationales.

Entre 2021 et 2022, le nombre de nouvelles colonies israéliennes à Jérusalem-Est a plus que doublé, passant de 6.288 logements à 14.894, selon des chiffres de l'Union européenne.

"Harcèlement continu"

Les colonies représentent le "lien de frictions physiques entre la population palestinienne et les colons, le lieu où se cristallisent les violences. Leur défense sert de prétexte aux interventions multiples de l'armée israélienne", explique Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques, sur le site de l'Iris. "Tant que cette colonisation se maintiendra, les violences perdureront."

Sur les 235 attaques de colons contre des Palestiniens recensées par l'Ocha depuis le 7 octobre, dont plusieurs mortelles, "plus d'un tiers ont été faites avec la menace d'une arme ou des tirs". Et dans près de la moitié des cas, les forces de sécurité israéliennes "accompagnaient ou soutenaient activement les assaillants", poursuit l'Ocha.

"Ça peut être des raids de l'armée israélienne ou des exactions par des groupes de colons dans les zones rurales", résume Thomas Vescovi.

Dans les villes cisjordaniennes, des affrontements ont régulièrement lieu entre des groupes palestiniens et les forces armées israéliennes. Dans les campagnes, où sont majoritairement installés les colons, "il y a un processus de harcèlement continu pour pousser les Palestiniens à partir d'un lieu et donc considérer ce dernier comme colonisé", détaille Thomas Vescovi.

Il cite par exemple le cas d'un paysan qui viendrait régulièrement sur une colline pour faire paître ses bêtes et qui se fait quasi systématiquement violenter. "Il va finir par ne plus revenir et la colline sera colonisable", illustre le chercheur.

"Ils viennent la nuit, ils coupent les tuyaux, ils percent les réservoirs d'eau et ils nous disent 'vous avez 24 heures pour partir'", raconte en ce sens à l'AFP Bassel, un habitant du village de Touwani, limitrophe de la colonie de Ma'on, instaurée au début des années 1980.

Impunité

"Les colons se sentent impunis", affirme Thomas Vescovi. Selon l'ONG israélienne Yesh Din, sur plus de 1.000 cas de violence des colons soumis à la justice israélienne qu'elle a étudiés entre 2005 et 2021, 92% des affaires ont abouti à non-lieu.

Il y a une semaine, sur les lieux d'une attaque contre une policière israélienne à Jérusalem - dont l'assaillant a été aussitôt abattu - le ministre israélien de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir a affirmé: "tolérance zéro: en cas de doute, pas de doute".

Pour Iyad Haddad, de l'ONG israélienne B'Tselem, "les cas de Palestiniens tués par balles que nous avons examinés prouvent que l'armée israélienne et les colons ont désormais les mains libres pour tirer sur des Palestiniens en Cisjordanie, d'une façon inédite".

Le tournant du 7 octobre

Depuis les attaques du Hamas et les représailles israéliennes, la Cisjordanie connaît une flambée de tensions et de violences. D'après un rapport du 1er novembre de l'Ocha, près de 2.000 Palestiniens ont été déplacés sur ce territoire.

Les services de renseignements israéliens ont eux recensé 120 crimes haineux commis par des Israéliens en Cisjordanie depuis le 7 octobre, dont au moins quatre meurtres, selon des chiffres du quotidien israélien Haaretz. Aucun de ces crimes n’a donné lieu à des poursuites, indique la même source.

"Le 7 octobre a libéré deux sentiments: d'abord, l'opinion publique est, à raison, traumatisée et va donc détourner le regard de la Cisjordanie. Ensuite, jusqu'à présent, l'armée était juste de connivence, mais maintenant, il n'y a plus de tampon car beaucoup de colons y ont été recrutés, car les autres ont été envoyés à Gaza ou à la frontière libanaise", détaille Thomas Vesovi.

"On est dans une situation explosive car ils n'ont aucune protection et donc ont le sentiment qu'il faut s'armer rapidement pour se protéger", complète-t-il.

Selon le chercheur, la Cisjordanie constitue déjà, avec la bande de Gaza, un "deuxième front" dans le conflit actuel, et ce "depuis deux ans". "On n'en parle pas car les affrontements ne sont pas généralisés et le nombre de morts par jour est faible", explique-t-il.

Réactions internationales

Les États européens et américains ont condamné à plusieurs reprises la hausse des violences de colons israéliens contre les civils palestiniens en Cisjordanie. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a appelé ce jeudi Israël à prendre des mesures "urgentes" pour mettre fin à ces violences.

Il y a quelques semaines, la France a condamné les "violences inadmissibles" perpétrées par des colons israéliens contre des Palestiniens en Cisjordanie occupée, selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

"La France condamne fermement les attaques de colons qui ont conduit à la mort de plusieurs civils palestiniens au cours des derniers jours à Qusra et el-Sawiya, ainsi qu’au départ contraint de plusieurs communautés", écrivait-il.

Article original publié sur BFMTV.com