France-Afrique du Sud: Fabien Galthié, la mission de sa vie

France-Afrique du Sud: Fabien Galthié, la mission de sa vie

Depuis son intronisation le 13 novembre 2019 dans son village natal de Montgesty, Fabien Galthié a tout prévu. Tout était inscrit sur sa fameuse flèche du temps avec la finale de la Coupe du monde comme échéance. Un projet présenté aux joueurs avec un cadre de vie très précis et à respecter. Avec une ambition claire: gagner des matches (35 succès en 43 matches), gagner des titres (Grand Chelem en 2022) et redevenir une nation majeure du rugby mondial (2e nation mondiale).

Ce vendredi matin, lors de l’annonce de l’équipe, le sélectionneur des Bleus ne cachait pas son plaisir d’être là, à préparer ce match: "On essaye de bien profiter de ces instants, on essaie de bien les vivre ensemble, et d’avancer avec du plaisir, de la joie, du bonheur et de la détermination", expliquait-il, sourire aux lèvres.

"Jouer contre l’Afrique du Sud à Paris, au Stade de France, en quart de finale de Coupe du Monde, c’est magnifique, c’est merveilleux", lançait-il aux journalistes.

Une histoire tumultueuse avec le XV de France

"Plaisir", c’est un mot qui revient à chaque conférence de presse chez le sélectionneur des Bleus. Il savoure ces moments qu’il a attendus depuis si longtemps. Depuis ses premiers pas de coach en 2004 au Stade Français. Entraîner l’Équipe de France, c’était son rêve ultime. "J'ai le souvenir d'un grand technicien, d'un mec qui vit pour le rugby, qui pense, rugby à chaque minute. Et puis surtout le souvenir d'un mec qui était habité d'une mission qui était d'entraîner l'Équipe de France. Il ne pensait qu'à ça", se souvient Mourad Boudjellal, son président à Toulon en 2017.

"Il était persuadé et il a sûrement raison, d'être fait pour entraîner l'équipe de France", explique-t-il.

Le natif de Cahors a répété à longueur d’interview, avant son intronisation, qu’il voulait rendre à l’Équipe de France ce qu’elle lui avait apporté depuis toutes ces années. De la joie mais parfois aussi beaucoup de déception.

Car son histoire avec le XV de France est tumultueuse. Commencée en 1991, terminée en 2003. 64 sélections, 24 fois capitaine et 4 coupes du monde à son compteur. Mais, il a souvent été incompris par les sélectionneurs. Que ce soit Pierre Berbizier en 1995, qui préfère prendre Aubin Hueber et Guy Accoceberry. Une décision dure à digérer pour Galthié qui part en Afrique du Sud pour oublier. Il sera rappelé après la fracture du bras d’Accoceberry et finira même titulaire en demi-finale contre l’Afrique du Sud.

L’histoire se répète en 1999. Le duo Skrela-Villepreux préfère Pierre Mignoni et Stéphane Castaignède à la suite d’une bouderie du Columérin. Après une tournée catastrophique en juin 1999, il décide de rester en Nouvelle-Calédonie pour oublier. Rappelé pendant le Mondial, il prend le leadership sur cette équipe et fait partie des héros du miracle de Twickenham contre la Nouvelle-Zélande.

Son histoire en bleu va connaître un tournant avec l’arrivée de Bernard Laporte qui fait de Galthié son capitaine. Passionné par le jeu, il participe à l’élaboration du plan de jeu de l’Équipe de France. Il devient un autre joueur en rejoignant le Stade Français. Élu meilleur joueur du monde en 2002, champion de France pour son dernier match en juin 2003, il rêve d’une sortie triomphante avec le maillot bleu. Malheureusement, sa fin d’histoire sera tumultueuse et incomprise. Deux jours après la défaite en demi-finale contre l’Angleterre, il quitte ses coéquipiers pour rentrer en France à la suite d’un décès dans sa famille.

Une riche carrière d’entraîneur

Il va vite basculer de l’autre côté de la barrière à l’initiative de Max Guazzini qui lui propose de remplacer Nick Mallet sur le départ en 2004. "Je lui ai proposé de devenir entraîneur car je sentais qu’il y avait quelque chose en lui, le potentiel", explique l'ancien patron du Stade Français.

"Il était destiné à ça", estime Max Guazzini.

"Je me souviens du premier entraînement, il avait réuni les joueurs sous un arbre, il a parlé pendant une heure avec son cœur, sa passion, sa technique. Il est passionné par l’entraînement, il adore entraîner presque autant que le jeu, sinon plus", conclut-il. Rapidement il va imposer sa connaissance du jeu, sa capacité d’analyse, son côté stratège sa vision avant-gardiste en obtenant des résultats probants: un titre de champion en 2007 et deux finales dès sa première année.

Sa science du rugby est reconnue. Mourad Boudjellal se souvient d'"un technicien hors pair". "Si vous allez dîner avec Fabien Galthié, au bout de 5 minutes, vous avez la salière et la poivrière qui vont vous refaire une action d'il y a 10 ans dans les moindres détails. Il pense rugby et il essaye sans arrêt d'innover dans les tactiques rugby", raconte l'ancien boss du RCT.

Son côté décalé a également marqué ceux qui l'ont fréquenté. "Il est un peu perché raconte son ancien coéquipier Fabien Pelous. Mais pas dans le mauvais sens du terme. Il a toujours été habité par la victoire, par sa vision des choses, par une certaine idée du rugby. Et je crois que c'est ce qui a fait de lui le joueur qu'il a été et l'entraîneur qu'il est. Un entraîneur un peu différent quand même".

Différent, cassant même parfois. Beaucoup d’interlocuteurs n’ont pas voulu parler du personnage. Et la liste des joueurs qu’il a rabaissés, parfois méchamment, est très longue entre ses passages à Paris, à Montpellier ou à Toulon. Stéphane Glas, qui a joué avec lui, qui a été entraîné par lui puis qui a fini par être son adjoint à Montpellier, se souvient.

"Il a ce côté parfois très dur avec les joueurs", explique-t-il.

"Si les joueurs faisaient une mauvaise semaine, ou étaient un peu faibles de caractère, les semaines pouvaient être difficiles pour eux. Par contre, il donnait toujours des explications et c’est important dans le management", se souvient l'ancien international.

Car Galthié est certes talentueux mais surtout très travailleur. Il a toujours eu du mal à supporter que les joueurs travaillent moins que lui à son époque. Toutes ses aventures n’ont pas été une réussite. Notamment son passage à Toulon, qui restera pour lui son plus grand échec, ou la fin de son parcours à Montpellier, terminé devant les prud’hommes. Un épisode très douloureux pour lui. Mais avant cette triste fin, il avait installé le MHR sur la carte du rugby français avec notamment la finale de 2010. Fulgence Ouedraogo, son capitaine de l’époque, est élogieux.

"Pour moi c'est le meilleur entraîneur que j'ai eu", juge l'ancien troisième ligne international.

"C'est celui qui m'a fait passer un cap. C'est quelqu'un de pointilleux, qui réfléchit beaucoup sur son rugby. Il nous avait imposé la 'rush défense' notamment. C’était surprenant mais c’était une de nos forces, les adversaires n’arrivaient pas à jouer contre nous", se souvient-il.

La quête "Équipe de France"

Durant toutes ces aventures, l’Équipe de France a toujours été son objectif ultime. Trois fois postulant, trois fois recalé. En 2007, où Marc Lièvremont, entraîneur sans expérience du haut niveau, lui est préféré. En 2011, où Philippe Saint-André est choisi à sa place. Et la pire désillusion en 2015 où il présente un projet béton, quasiment le même qu’aujourd’hui. Les dés étaient pipés dès le départ, le poste était promis à Guy Novès. Un coup très dur à digérer pour Galthié qui, à ce moment-là, avait fait une croix sur les Bleus.

Puis en 2019, Bernard Laporte, son ami et président de la FFR, vient le chercher, d’abord pour compléter le staff de Jacques Brunel puis devenir sélectionneur après la Coupe du monde au Japon. Pour l’ancien ministre, c’était une évidence. "C'est quelqu'un que j'apprécie, quelqu'un de droit, de vrai, quelqu'un qui connaît parfaitement le rugby, qui est passionné. Donc quand il a fallu changer de sélectionneur ou même quand il a fallu mettre des gens autour de Jacques Brunel [sélectionneur du XV de France en 2018-2019], puisque notre staff n'était pas assez étoffé, j’ai pensé tout de suite à Fabien", raconte son lointain prédécesseur au poste.

"C'est une évidence. Quand je parle avec des joueurs, ils sont ravis de ce qui se passe en Équipe de France", confie-t-il.

Pour Bernard Laporte, peu d'entraîneurs peuvent rivaliser avec le niveau d'exigence de Fabien Galthié. "C'est très chiadé, c'est très professionnel. En Équipe de France, on doit chercher de l'innovation, on doit chercher ce qui se fait de mieux. Et c’est le cas! Quand je parle avec des joueurs, ils me disent: 'Quand on vient en Équipe de France, on sait qu’on va se régaler. Les entraînements sont chiadés, sont programmés, sont étudiés. Tout est fait pour qu'on soit dans les meilleures conditions'".

Aussi populaire qu'Antoine Dupont

Oui, Fabien Galthié et son staff ne laissent rien au hasard. Tout est programmé depuis quatre ans, pour arriver à décrocher ce titre qui échappe au rugby français depuis 1987, malgré trois finales. D’ailleurs le staff a un rôle prépondérant dans la réussite. Il a su parfaitement s’entourer et s’appuie énormément sur Laurent Labit, William Servat, Karim Ghezal ou Raphaël Ibañez.

Un entourage qui arrive aussi à canaliser parfois le côté décalé de Galthié ou les coups de colère. Un entraîneur beaucoup plus apaisé, mais qui a toujours une double personnalité en fonction des semaines. Taciturne avant l’Italie, enjoué ce vendredi en présentant le quart de finale contre les Boks. Pour Mourad Boudjellal, "c'est Dr Jekyll et Mr Hyde". "Les années lui ont été bénéfiques et là c'est un autre Fabien Galthié qui est en Équipe de France. Il a un bel effectif mais c'est un autre Fabien Galthié, avec un bon entourage. Il s'est transformé, ce n’est pas par hasard qu'il a acheté ses lunettes. Pour créer un autre personnage", explique-t-il.

Des lunettes de soudeur plongeur qui donnent un style au sélectionneur. Il est d’ailleurs en train de créer une mode. On voit de plus en plus de supporters autour du stade affublés de ces étranges montures. Il a su se muer en personnage apprécié du grand public, souvent autant acclamé qu'Antoine Dupont lors de la présentation des équipes. Et sa cote de popularité ne devrait pas s'arrêter de grimper si le 28 octobre prochain, il soulève le trophée Webb Ellis.

Article original publié sur RMC Sport