Espagne: la justice refuse d'amnistier Puigdemont, qui reste visé par un mandat d'arrêt

Carles Puigdemont à Elne, dans les Pyrénées-Orientales, le 10 mai 2024 (Matthieu RONDEL)
Carles Puigdemont à Elne, dans les Pyrénées-Orientales, le 10 mai 2024 (Matthieu RONDEL)

Un mois après l'adoption de la loi d'amnistie des indépendantistes catalans, la justice espagnole a tranché lundi sur le cas emblématique de Carles Puigdemont, à qui elle refuse d'appliquer la mesure, maintenant le mandat d'arrêt visant le dirigeant exilé en Belgique.

Le juge Pablo Llarena, du Tribunal suprême, a rendu "un arrêt dans lequel il déclare l'amnistie non applicable au délit de détournement de fonds dans le dossier visant l'ancien président de la Generalitat catalane Carles Puigdemont", a indiqué la plus haute instance judiciaire du pays.

Le mandat d'arrêt visant le président du gouvernement régional catalan depuis la tentative de sécession de la Catalogne en 2017 reste donc en vigueur, précise le tribunal dans sa décision, qui peut faire l'objet d'un recours dans un délai de trois jours à compter de la notification aux parties.

L'arrêt du Tribunal suprême fait l'effet d'un coup de tonnerre alors que la loi d'amnistie devait concerner au premier chef Carles Puigdemont, qui espérait pouvoir rentrer rapidement en Espagne. Elle constitue aussi un revers de taille pour le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez, à l'origine de cette mesure controversée.

Visé par un mandat d'arrêt depuis les évènements de 2017, M. Puigdemont a fui en Belgique, où il vit toujours, pour échapper aux poursuites de la justice espagnole, qui ont valu à plusieurs autres responsables séparatistes d'être incarcérés. Il a été inculpé pour des délits de détournement de fonds, désobéissance et terrorisme.

Dans son arrêt, le juge Llarena a estimé que l'amnistie s'appliquait bien au délit de désobéissance, mais qu'en revanche, "les comportements" reprochés à M. Puigdemont et à deux autres indépendantistes correspondaient "pleinement aux deux exceptions que prévoit la loi" en ce qui concerne le délit de détournement de fonds.

Le magistrat estime en effet qu'il y avait eu de la part de M. Puigdemont la volonté d'obtenir un bénéfice personnel, et que ses agissements ont eu un impact sur les intérêts financiers de l'Union européenne, ce qui rend l'amnistie inapplicable à ses yeux.

Le délit de terrorisme, dont est également accusé M. Puigdemont dans un cas distinct, n'est pas abordé dans cet arrêt.

- "Coup d'Etat des toges" -

Quelques minutes après l'annonce du Tribunal suprême, Carles Puigdemont a réagi sur le réseau social "X" via un message sibyllin ("La Toga nostra") assimilant les juges et leurs toges à la mafia sicilienne Cosa Nostra.

"Nous sommes face à un coup d'Etat des toges", a abondé lors d'une conférence de presse Jordi Turull, secrétaire général de son parti, Junts per Catalunya, en évoquant une "décision clairement politique". En refusant l'amnistie pour M. Puigdemont, "le pouvoir judiciaire s'attaque une fois de plus à la volonté du législateur", a-t-il dénoncé.

Le 30 mai, le Parlement espagnol a adopté cette loi d'amnistie pour les indépendantistes catalans, prix que le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a dû payer pour être reconduit au pouvoir en novembre grâce au soutien des deux partis indépendantistes catalans, qui exigeaient cette mesure en contrepartie.

Depuis, l'opposition de droite et d'extrême droite est vent debout contre cette loi, selon elle "inconstitutionnelle", et contre laquelle elle a organisé de nombreuses manifestations.

L'objectif des législateurs était que la justice commence sans tarder à annuler les mandats d'arrêt visant les indépendantistes ayant fui à l'étranger, et que ces annulations restent valides en attendant l'examen des recours déposés contre la loi, qui peut prendre des mois voire des années.

Mais avec plus de 400 personnes poursuivies ou condamnées pour des délits en lien avec la tentative d'indépendance de 2017 de la Catalogne ou avec les événements l'ayant suivie ou précédée, la tâche s'annonce ardue pour les tribunaux, qui doivent décider au cas par cas.

Les magistrats - dont beaucoup ne cachent pas leurs réticences voire leur franche opposition à cette mesure qui a dominé et radicalisé la vie politique espagnole depuis les élections de juillet 2023 - avaient deux mois à partir de son entrée en vigueur le 11 juin pour la mettre en application.

La semaine dernière, deux personnes, un ancien membre du gouvernement régional catalan et un policier, sont devenus les premiers bénéficiaires de la loi et ont été amnistiés.

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